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Face à l'«open space», le droit à la sollaboration

L'accélération de nos sociétés se traduit, entre autres, par une perméabilité croissante des sphères privée et professionnelle, souvent au détriment de la vie privée, que le travail peut assez naturellement envahir. Curieusement toutefois, les cadres ne plébiscitent pas une stricte séparation des sphères: ils cherchent au contraire à contrôler les instants qu'ils choisissent de consacrer au travail, et ceux qu'ils vouent à leur vie privée, et à organiser de leur plein gré le passage d'une sphère à l'autre.
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L'accélération de nos sociétés se traduit, entre autres, par une perméabilité croissante des sphères privée et professionnelle, souvent au détriment de la vie privée, que le travail peut assez naturellement envahir. Curieusement toutefois, les cadres ne plébiscitent pas une stricte séparation des sphères: ils cherchent au contraire à contrôler les instants qu'ils choisissent de consacrer au travail, et ceux qu'ils vouent à leur vie privée, et à organiser de leur plein gré le passage d'une sphère à l'autre.

La nomadisation des technologies de l'information a, par exemple, maintes fois été incriminée dans l'immixtion du travail dans la sphère personnelle. Inversement, la contamination de la sphère professionnelle collective par l'exhibition d'informations personnelles est moins facilement débattue. À tort, car c'est dans une juste distance que me semblent devoir se vivre le collectif de travail et se concevoir l'organisation du travail.

Or, cette juste distance, ce besoin d'intimité sont questionnés par la collectivisation croissante des espaces de travail. Les avantages théoriques de l'open space et ses variantes (plateau ouvert, bureau semi-cloisonné, simple bureau partagé, etc.) ont ainsi été exposés de longue date: fluidité de l'information, travail collaboratif, moindres coûts immobiliers, meilleur contrôle des salariés... Ils pourraient toutefois, in fine, s'avérer de mauvais calculs...

La productivité et la créativité s'y effondrent, s'accommodant assez mal des niveaux sonores et de l'agitation inhérents à la promiscuité, qui plongent le salarié dans l'over-communication et affectent la concentration, directement et par la fatigue qu'ils occasionnent. En matière de santé psychologique, chacun finit par intérioriser le contrôle et la surveillance, réels ou fantasmés, exercés par l'autre. Pour se protéger, les petites stratégies du quotidien sont nombreuses: dresser des murs symboliques de dossiers, sortir ses écouteurs et écouter de la musique, etc., dont la seule finalité est de reconstituer une bulle protectrice autour de soi, révélatrice d'un sentiment d'agression...

Mais cette «montée de murs» me paraît aussi et surtout être le symptôme d'un autre phénomène: tout travailleur éprouve, régulièrement, le besoin de s'isoler, non pour gérer une affaire privée comme le craint tout manager un brin paranoïaque ou misanthrope, pour accomplir sa tâche. Au besoin de collaboration que proclame, en l'exagérant, le règne de l'espace paysager, répond un besoin que je qualifierais de «sollaboration«».

Comme l'indique son étymologie (solus, «seul»), il s'agit d'un besoin de s'extraire temporairement du monde, d'une aspiration au calme, à la tranquillité, à la sérénité, à la prise de recul, à l'introspection et à la réflexion, ou plus simplement d'échapper aux multiples pressions pour simplement accomplir la partie concrète de sa tâche et, dans le meilleur des cas, prendre le temps de faire du "beau travail".

Ainsi présentée, la sollaboration a sans doute quelque parenté conceptuelle avec la philosophie de la lenteur ou le slow management, voire avec certains mouvements contestant l'ordre capitaliste. Dénuée, pourtant, de toute portée politique, la sollaboration vise à réconcilier le beau travail et la performance, dût-elle aller à l'encontre des mythes du « tout communication » et de l'ouverture à 360 degrés. Je la conçois comme l'une des deux modalités du travail (avec la coopération), et comme un impératif, en ce sens qu'il incombe à l'employeur, lorsque son activité s'y prête, de mettre en place les conditions matérielles et organisationnelles propices à la sollaboration. En ce sens, l'on pourrait presque parler, du point de vue du travailleur, d'un droit à la sollaboration et d'un devoir de collaboration.

Dès lors, la sollaboration se répercute nécessairement sur l'organisation concrète du travail. D'une part, elle invite à revisiter la question du temps de travail, ou plutôt du temps de présence physique dans l'entreprise. Ici, les outils de communication nomades sont un facteur de souplesse, même si l'on a déjà abondamment souligné combien travailler hors les murs peut s'avérer aliénant, au point de constituer un remède finalement pire que le mal.

Plus intéressante me semble la piste de l'aménagement des lieux de travail. À défaut de pouvoir octroyer à chacun un bureau individuel, l'employeur peut essayer de scinder le plateau grâce à des parois végétales pour créer un espace véritablement paysager, ou aménager une salle de pause confortable et à l'écart, pour que les plages de convivialité des uns n'empiètent pas sur les moments de travail des autres...

À l'inverse, si l'environnement de travail est exclusivement occupé par des espaces de travail collaboratifs, il n'est pas saugrenu de proposer que des salles ou des bureaux soient mis à la disposition de qui voudrait s'isoler des espaces sollaboratifs en somme! Le paradoxe est alors qu'il s'agit de recréer des bureaux individuels là où ils ont été supprimés il y a quelques années...

L'espace collectif restera pourtant sans doute longtemps la règle. Plus pragmatiquement, l'entreprise peut donc choisir de revisiter sa politique en matière de civilité. Les nuisances des espaces collectifs sont bien connues: la conversation trop bruyante, la réunion improvisée, même de nature professionnelle, tenues à proximité d'un collègue non concerné violent littéralement le besoin d'intimité et de concentration.

Une charte du bon usage des appels téléphoniques peut également être co-construite, prévoyant un espace isolé pour les appels personnels et précisant quelques mesures simples de vivre-ensemble: passer en mode vibreur et bannir les sonneries tonitruantes, parler bas, proscrire les conversations en mains libres sur haut-parleur (y compris professionnelles, dès lors qu'un des occupants du bureau n'est pas concerné), etc.

Ce droit à la sollaboration, complémentaire à la coopération, me semble de nature, par sa simplicité et la diversité des situations qu'il embrasse, de sous-tendre de nombreux axes d'amélioration du travail.

Côte pile, la sollaboration : à elle la prise de recul, la réflexion stratégique et tactique initiale, la créativité individuelle, la veille et la lenteur du travail bien fait.

Côté face, la coopération : à elle la mise en débat du travail, la réflexivité, la créativité collective, la tactique opérationnelle ou la prise de décision.

À mon sens, le soubassement ne peut en être qu'un pacte moral fort, garantissant simultanément la performance organisationnelle et l'épanouissement personnel par la reconnaissance mutuelle entre employeur et employé, mais aussi et surtout entre collègues.

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