Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Tirade sur la condition académique et son angoisse postmoderne

Tirade sur la condition académique et son angoisse postmoderne
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

J'assiste ces jours-ci à une conférence universitaire qui porte sur l'intersection où l'art, l'activisme et la politique publique se rejoignent en rapport avec la question autochtone du Canada.

Je dois dire que je n'ai pas une approche morale judéo-chrétienne envers les différents enjeux politiques et sociaux. Donc, pour tout dire, les causes dites « sociales » ne m'émeuvent pas plus qu'il le faut. Je dirais même que j'y vois un certain narcissisme moral de certains académiciens et de leurs disciples (étudiants à la maitrise, au doc, etc.) Pire, j'y vois même une hypocrisie judéo-chrétienne comme Nietzsche la décrit: on se plie en quatre pour adopter la cause d'un groupe « minoritaire », « opprimé », « défavorisé » ou (surtout) « colonisé » non pour le bénéfice d'autrui, comme Jésus qui se sacrifie pour les péchés de l'humanité sur la croix, mais bien pour notre estime de soi résultant de cette satisfaction qu'on ressent en aidant les opprimés. Mais surtout, cette hypocrisie morale sert à s'élever au niveau de sauveur, de messie postmoderne qui, comme Jésus, mais pas tout à fait, car notre sacrifice est égoïste même si nous prétendons nous sacrifier pour les damnés de la terre.

Au-delà d'une pensée nietzschéenne, il y a quelque chose de frappant dans une conférence de ce genre dans la condition psychologique des personnes présentes en relation avec le sujet exploré (la condition autochtone) et notre époque dite « postmoderne» et surtout de son angoisse. Le philosophe danois du 19e Søren Kierkegaard définit cette angoisse postmoderne comme étant une condition spirituelle d'insécurité et de désespoir. Cette définition de Kierkegaard me semblait particulièrement à propos pour comprendre l'état d'esprit collectif des intervenants et académiciens présents durant cette conférence.

Être le seul dans un groupe de plus de 30 personnes qui ne ressent pas la même compassion exagérée et surréelle a l'effet d'isoler cette personne, car on ne ressent pas cette illusion qui est créée chez celui qui ressent cette compassion.

Comme quelqu'un qui se trouve à une certaine distance d'une tornade voit mieux les effets et l'ampleur de cette même tornade que celui qui se trouve dans l'oeil de la tempête, celui qui ne ressent pas les mêmes émotions et qui n'utilise pas le même discours voit se développer quelque chose de spécial dans une conférence sur l'art autochtone, l'activisme et le changement social. Celui qui observe en athée, en cynique, en infidèle, en non-croyant, et même en hérétique (une personne philosophiquement conservatrice quoi) peut observer les interactions révélatrices entre les croyants postmodernes. Il voit à quel point leurs interactions sont le résultat de la formation d'un culte qui nourrit et régénère l'angoisse spirituelle des postmodernes et qui, paradoxalement, se doit de préserver cette angoisse.

Dans leur empressement à vouloir comprendre et sauver les autochtones du colonialisme, les académiciens « blancs » peuplant les réserves des départements d'études autochtones, ethniques et postcoloniales ont abandonné toute auto-critiques de leur analyse et de leur méthode. La référence à la religion (et à la passion du Christ...) qui demande de croire avant tout n'est pas inexacte. Au-delà de l'analyse rationnelle et académique, ce qui importe peu dans leur cas, les postmodernes ont abandonné toute auto-critique dans leur quête pour déconstruite ces « affreuses » institutions occidentales et sa culture patriarcale et d'assimilation sans oublier cet état canadien colonial, angoisse postmoderne oblige. Le croyant doctrinaire qui prend aussi la forme de l'inquisiteur ne doute pas de sa propre foi. C'est sa foi aveugle qui le rend supérieur intellectuellement et, surtout, moralement, à ses yeux.

Le culte devient même officiel par le titre des participants. On s'en rend compte rapidement quand, en faisant un tour de table des élèves présents, ces derniers annoncent leurs champs d'études et de recherches comme étant à l'intersection de l'intersection de plusieurs champs d'études qui sont déjà à « la pointe » d'un sujet pointu. Par conséquent, le savoir devient fragmenté et dogmatique comme le dit Edgar Morin. Le professeur en science politique de Harvard, Harvey Mansfield, lui, parle de « narrowness of specialization of knowledge. »

Tout ça n'est pas pour dire que la cause autochtone n'est pas juste ou ne mérite pas notre attention. Au contraire, le sort des premières nations est aussi le nôtre et donc, par conséquent, un pays comme le Canada se doit de porter l'attention nécessaire aux conditions de vies des autochtones et à leur place dans la société canadienne. Mais là n'est pas le sujet de cette tirade. L'objectif est plutôt de jeter un regard sur l'angoisse postmoderne de certains de nos académiciens. Il faudrait peut-être faire la sociologie des croyants judéo-chrétiens laïcisés postmodernes qui nous moralisent par leur discour accusateur et victimaire tout en se spécialisant dans la spécialité d'une spécialité. Mais il semblerait qu'un tel champ de recherche sociologique formerait en lui-même une ultra-spécialisation du savoir, donc cela serait contradictoire à mon argument. Vous voyez comment ont y échappe jamais?

Le plus triste dans tout ça c'est qu'une grande culture guerrière autochtone est réduite à n'être qu'un sujet de dissertation doctorale pour des étudiants en quête d'une cause à défendre. Dans leur angoisse et leur peur postmoderne de n'avoir aucune cause, aucun damné prêt à être sauvé, ces mêmes étudiants non autochtones ont transformé, pacifié et efféminé une tradition millénaire.

Le journaliste et activiste antiesclavagiste afro-américain du 19e, Frederick Douglass, avait déclaré, en réponse à la question de ce que l'Amérique devrait faire des Afro-Américains peu après la Guerre de Sécession, « ne faite rien de nous, si le « nègre » ne peut se tenir sur ses deux jambes alors qu'il tombe, mais tout ce que je demande c'est qu'on lui donne une chance de se tenir debout en le laissant seul! »* Douglas avait compris que la liberté ne peut venir que de soi-même, par nos propres actions et surtout en devenant responsable de son sort. L'angoisse spirituelle qui afflige l'occident et qui se ressent dans nos universités semble demander que l'on se précipite à la rescousse d'autrui, mais pour notre propre rédemption.Il semblerait que les paroles de Frederick Douglass pourraient servir de remède à cette angoisse postmoderne qui ressemble à l'homme athée qui se voit devenir messie.

* Traduction libre de la citation de Frederick Doublass: "Everybody has asked the question. . ."What shall we do with the Negro?" I have had but one answer from the beginning. Do nothing with us! Your doing with us has already played the mischief with us. Do nothing with us! If the apples will not remain on the tree of their own strength, if they are wormeaten at the core, if they are early ripe and disposed to fall, let them fall! I am not for tying or fastening them on the tree in any way, except by nature's plan, and if they will not stay there, let them fall. And if the Negro cannot stand on his own legs, let him fall also. All I ask is, give him a chance to stand on his own legs! Let him alone!"

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.