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Et si la Loi 101 sauvait... l'anglais?

Les tensions linguistiques ne sont pas récentes au Québec, ni au Canada. Les frictions entre la langue de Shakespeare et de Molière ont eu des conséquences partout «d'un océan à l'autre», mais en particulier ici, où René Lévesque a fait adopter la Loi 101 pour protéger l'effritement graduel du français. Mais voilà que ce débat linguistique sur la langue d'usage d'une société fait aussi parler de lui à Richmond, en Colombie-Britannique, ainsi que chez nos voisins américains.
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Les tensions linguistiques ne sont pas récentes au Québec, ni au Canada. Les frictions entre la langue de Shakespeare et de Molière ont eu des conséquences partout «d'un océan à l'autre», mais en particulier ici, où René Lévesque et le Parti québécois ont adopté la Loi 101 en 1977 pour protéger l'effritement graduel du français, et finalement l'établir comme la langue d'usage dans la vie publique, gouvernementale et des affaires de la province.

Mais voilà qu'après 250 ans de discussions ici même au Québec, le débat linguistique sur la langue d'usage d'une société apparait nul par ailleurs qu'à Richmond, en Colombie-Britannique, ainsi que chez nos voisins américains.

Ann Merdinyan et Kerry Starchuk, deux résidentes de Richmond ont déposé une pétition devant le Conseil de la ville le 18 mars dernier, demandant que l'anglais domine dans l'affichage des commerces et des centres commerciaux de la ville. Merdinyan et Starchuk demandent que l'anglais prime sur le chinois (le cantonnais ou le mandarin), alors que plus de la moitié de cette banlieue de Vancouver est originaire de Chine,et que les commerçants de certains secteurs de la ville proposent un affichage presque unilingue, en chinois.

Merdinyan et Starchuk ont finalement perdu leur cause. La ville de Richmond a décidé qu'il n'était pas nécessaire de légiférer sur la question de la langue d'affichage. Du même souffle, elle a toutefois mentionné que la question devrait être analysée et donner lieu à une discussion entre les communautés.

Des réactions (en anglais) au débat linguistique à Richmond

Le billet Philippe Labrecque se poursuit après la galerie

Sans grande surprise, les chroniqueurs du National Post, Chris Selley et Barbara Kay ont applaudi la décision de la ville de Richmond - leur aversion à Loi 101 oblige - de ne pas imposer une loi municipale qui ressemblerait à la Charte de la langue française que Selley décrit comme "une folie législative". Barbara Kay indique pour sa part que les "lois du marché" vont redresser la situation d'elle-même, car si les marchands de langue chinoise veulent aller chercher une clientèle anglophone, ils afficheront en anglais, ce qui à long terme assurerait un équilibre linguistique et le retour de l'anglais comme langue d'usage et des affaires à Richmond.

Comme si la logique économique du marché libre s'appliquait au domaine linguistique sans trop de problèmes et que l'histoire d'un pays et d'un peuple n'était que secondaire aux lois du marché et du profit, Kay ne voit pas, ou refuse de voir, que la problématique à Richmond ne tient pas qu'à la langue parlée. Elle est aussi le résultat d'une politique d'immigration et d'intégration en lambeaux, Richmond n'étant qu'un microcosme du Canada.

Un pays qui a pratiqué une politique d'immigration permissive, et d'inspiration idéologique plus que pratique pendant longtemps, et qui grâce au multiculturalisme n'a plus les outils pour assimiler une vague d'immigration après l'autre comme cela était possible avant 1982, ne peut que se retrouver avec une situation comme celle de Richmond. Où le Chinois devient la langue d'usage et où on nous dit que les lois du marché dicteront la situation linguistique du pays.

Kay n'a pas tout faux dans son analyse des bienfaits économiques en relation avec l'adoption d'une langue, communément ou individuellement. La chroniqueuse du National Post a sûrement même des partisans chez une certaine droite québécoise qui demande l'enseignement bilingue dès le primaire, dans l'espoir d'augmenter les opportunités des Québécois sur le marché du travail étant donné que le français ne serait pas une langue suffisante pour faire fortune. Comme quoi la langue se marchandise comme un produit ou un service.

Douglas Todd du Vancouver Sun se demande quand «l'anglais ou le français sont devenus arbitraires au Canada?». Todd voit le lien entre l'immigration et l'intégration qui se fait en grande partie par la langue, sans quoi Richmond et le Canada ne pourraient avoir une cohérence municipale et nationale digne de ce nom. Suivant la même logique, Todd demande une politique linguistique qui exigerait un certain niveau d'anglais aux nouveaux arrivants pour aider à construire une identité commune aux Canadiens. Il s'inspire même du Québec comme exemple à suivre, à l'opposé de Kay et Selley.

Todd poursuit en indiquant que Richmond démontre la montée des enclaves ethniques. Alors que le Canada n'en comptait que six en 1976, on en dénombre aujourd'hui plus de 260. La question ne se limite donc pas à Richmond ou à la Colombie-Britannique. Toutes les métropoles du Canada, des États-Unis et de l'occident sont concernées.

La situation linguistique de Richmond n'est donc pas le résultat du hasard, ni un cas isolé. Camille Laurin, le père de la Loi 101, et ses concepteurs avaient bien compris qu'une politique linguistique devait s'appliquer aux immigrants pour maintenir une cohésion sociale et ainsi réussir l'intégration des immigrants. Rien de cela n'est possible sans une langue commune et une situation linguistique stable, en particulier dans une province au lourd passé comme le Québec.

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La Loi 101 au Québec

Alors que Richmond, mais aussi Vancouver et Toronto, pour ne nommer que ces villes-là, voient les frictions linguistiques se développer en raison de leurs changements démographiques rapides, les États américains comme la Californie et la Floride sont de plus en plus divisés, eux aussi, sur des lignes linguistiques entre l'anglais et l'espagnol. Le bon vieux Melting Pot américain, supposé transformer tout immigrant en Américain, n'a plus de dents et l'unité nationale qui passe par une langue, l'anglais, est de plus en plus contestée.

Dans son livreMexifornia, le professeur de l'Université d'État de Californie, Victor Davis Hanson, montre que la langue de Shakespeare n'est plus la norme en Californie. L'anglais est ainsi minoritaire dans plusieurs villes et le système d'éducation ne peut plus, ou ne veut plus par manque de volonté, enseigner l'anglais comme langue commune. Les écoles sont de plus en plus bilingues, ce qui a pour conséquence d'assimiler les Californiens anglophones au nouveau bilinguisme officieux, le Spanglish.

Pour ce qui est de la Floride, on est loin de l'image des années 70-80 d'un État de retraités qui se font bronzer sur la plage. Il est aujourd'hui difficile de faire des affaires seulement en anglais et certains quartiers à Miami, comme la petite Havane, n'affiche pratiquement qu'en espagnol.

Quand les États, villes et provinces mentionnés décideront - si jamais ils le font - de légiférer sur leurs questions linguistiques respectives, ils ne pourront éviter de se tourner vers le Québec pour regarder comment, malgré un héritage de confrontations, la province a su créer un environnement linguistique relativement stable, même s'il n'est pas parfait et quoi qu'en disent les critiques de la Loi 101. Mais comme les cas de Richmond, de la Californie et de la Floride le démontrent, la question linguistique fait partie d'un ensemble de politiques complexes qui inclut les politiques d'immigration et d'intégration. Sans coordination et cohérence entre ces trois champs d'action publique, on peut fortement douter du succès de toute politique linguistique, que ce soit au Québec, à Richmond ou en Californie.

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