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Le président mercantile et l'ordre mondial

Le mercantilisme de l'administration Trump représente un danger imminent pour le monde et pour les Américains eux-mêmes.
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Alors que plusieurs se questionnent encore sur les véritables convictions du président Trump, il en est une qui demeure inchangée depuis des décennies, son nationalisme économique. Pour être plus précis, le nationalisme économique de Trump prend des allures non pas simplement protectionnistes, mais carrément mercantilistes. À la différence du protectionnisme sélectif qui a ponctué l'histoire américaine depuis les années 1930, et qui visait surtout à protéger les industries vulnérables face à la concurrence internationale, le mercantilisme de Donald Trump est une disposition agressive qui met à mal la réciprocité dans les échanges commerciaux, mais aussi dans les relations politiques. Si le président réussit à imposer son agenda, la montée en force du nationalisme identitaire dans un pays aussi important que les États-Unis éclipserait encore davantage les aspects positifs de l'internationalisation.

Le mercantilisme est une approche qui a dominé du 16e siècle jusqu'à la première moitié du 18e siècle. Selon cette perspective, la puissance de l'État repose sur trois piliers: l'accumulation de richesses, l'établissement de conditions favorables pour la classe marchande et l'obtention d'un excédent commercial avec les autres nations. Le mercantilisme a contribué à la «phase de décollage» de l'État moderne en protégeant les industries naissantes sur un territoire donné, mais on l'associe aussi souvent à une poursuite de la puissance militaire et à des dispositions guerrières. Dans ce cadre, les relations internationales sont un jeu à somme nulle soumis à l'impératif de l'intérêt national.

Cette tendance avait été nommée et critiquée de façon systématique par Adam Smith dans «la richesse des nations». Le libéralisme politique et économique impulsé par Adam Smith a supplanté le mercantilisme dès le 18e siècle et a graduellement étendu son empire à travers l'Europe et le reste du monde, sans pour autant le faire disparaître complètement.

Dans le meilleur des cas, la réémergence ponctuelle du mercantilisme s'est associée à la protection de certains secteurs névralgiques et à la consolidation de plusieurs économies émergentes. L'économiste anglais John Maynard Keynes, célèbre artisan de la sociale démocratie, reconnaissait d'ailleurs aux politiques mercantilistes le mérite de contribuer au décollage économique.

Par contre, ces politiques, dont le but était de ménager les travailleurs et les populations nationales, devaient faire l'objet d'une certaine coordination internationale. Les trois décennies qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale témoignaient d'un consensus relatif autour de l'équilibre entre l'économie de marché et les protections sociales. Dans le pire des cas, le mercantilisme a contribué au déclenchement de guerres fratricides, s'est incarné dans des mouvements ultranationalistes (voire fascistes) et a alimenté un esprit de méfiance, de concurrence et d'hostilité.

Les effets de cette vague de libéralisation se font sentir depuis déjà quelques décennies, mais la montée récente des populismes signale une insatisfaction et une impatience marquées envers la mondialisation et la liberté de mouvement et de commerce qui s'y associe.

Alors que la libéralisation des marchés a progressé à un rythme accéléré depuis les années 1980, les mesures visant à contrôler certains indicateurs économiques comme l'emploi et les salaires se sont estompés au profit de la dérèglementation, du retranchement de l'État, de la spéculation financière, de la valorisation du secteur privé et de la délocalisation des industries manufacturières. Les effets de cette vague de libéralisation se font sentir depuis déjà quelques décennies, mais la montée récente des populismes signale une insatisfaction et une impatience marquées envers la mondialisation et la liberté de mouvement et de commerce qui s'y associe.

En réponse aux insatisfactions suscitées par la mondialisation, qui s'explique en partie par la stagnation ou la diminution des revenus de la classe moyenne, Donald Trump propose un diagnostic et des solutions mercantilistes, à savoir une remise en question de la balance commerciale entre les États-Unis et d'autres pays comme la Chine, un raidissement des frontières, une abdication des responsabilités du pays sur la scène internationale, un évincement des conventions diplomatiques et une augmentation des effectifs militaires.

En vérité, les mesures préconisées par Donald Trump ne mitigeront pas les effets de la mondialisation, dont l'augmentation des inégalités, l'accélération de l'automation et l'aliénation des communautés rurales. Au contraire, l'administration Trump entend récompenser encore davantage les vainqueurs de la mondialisation tout en rendant l'immigration responsable de l'insécurité et de la baisse des salaires, ce qui annonce une dislocation sociale et économique encore plus profonde au sein de la société américaine.

Le repli sur l'espace national, qui s'opère dans la foulée de la léthargie économique et qui se prolonge depuis 2008, est en voie de complètement éclipser une autre mondialisation, qui s'incarne dans certains mouvements sociaux globaux dans une société civile internationale vivante et dans la fluidité grandissante des déplacements et des échanges interculturels.

Si la mondialisation telle qu'on l'a connue jusqu'ici apparait inégalitaire et dysfonctionnelle, l'aspiration à l'autarcie économique et, dans certains cas, culturelle ne représente pas une option viable. L'intégration des chaines de production et la répartition géographique des expertises et spécialisations sont beaucoup moins problématiques que la redistribution des richesses et l'absence de protections pour les travailleurs et l'environnement dans les traités de libre-échange.

Le protectionnisme à gauche comme à droite implique, de façon directe ou indirecte, une désolidarisation effective d'avec les pays émergents ou pauvres. Aussi, l'abdication d'une volonté de légiférer à l'échelle transnationale sur les questions économiques, environnementales, humanitaires et migratoires viendra inévitablement affecter la politique interne des États Nations.

Le mercantilisme de l'administration Trump représente un danger imminent pour le monde et pour les Américains eux-mêmes. Il faut y résister non pas en confortant le nationalisme économique, mais en continuant d'identifier et de défendre les aspects de l'internationalisation qui méritent d'être préservés.

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