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Le Forum social mondial de Montréal: en quête de pertinence?

C'était la première fois que cette rencontre au sommet avait lieu dans un pays dit riche et industrialisé.
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Le Forum social mondial (FSM) s'est déroulé à Montréal du 9 au 14 août dernier. L'évènement était une occasion unique de voir le mouvement initié à Porto Alegre en 2001 de plus près. C'était la première fois que cette rencontre au sommet avait lieu dans un pays dit riche et industrialisé. La décision de tenir l'évènement à Montréal, qui a été prise dans le sillage des mobilisations sociales de 2012, n'est pas étrangère à sa réputation de ville engagée. Par contre, on peut présumer que la motivation moins avouée derrière ce choix était de tenter de redynamiser le mouvement et d'ouvrir sur une réelle solidarité nord-sud.

D'entrée de jeu, l'organisation du Forum a dû faire face à plusieurs embûches. Le refus du gouvernement du Canada d'octroyer des visas à plus de 230 personnes a laissé planer la possibilité d'une participation beaucoup plus faible qu'à l'habitude. De fait, on estime l'affluence totale à environ 35 000 personnes, moins qu'attendu (50 000), mais tout de même fort respectable dans les circonstances. Il y a aussi la «controverse» liée à l'invitation de groupes pro-Palestiniens comme BDS (Boycott, Désinvestissements et Santions) que le maire Coderre a maladroitement qualifiés d'antisémite.

Même s'il s'explique par plusieurs facteurs dont les coûts reliés au voyage et à l'hébergement, le taux de participation au Forum est le symptôme d'un problème plus profond. En effet, la constitution d'une solidarité effective entre le Nord et le Sud dans le cadre d'un tel regroupement est mise à mal par les inégalités économiques qui structurent les relations internationales et de façon moins directe, par les institutions formelles de la coopération internationale.

D'une part, la politique d'accueil de plusieurs pays riches est en bonne partie basée sur le revenu disponible. D'autre part, les canaux officiels de la solidarité internationale passent par les agences d'aide bilatérales, les organisations internationales, les grandes ONG et les organisations philanthropiques, si bien que bien peu de ressources peuvent être mobilisées pour faciliter l'expression et la rencontre d'une société civile qui fonctionne à l'extérieur de ces instances. Notons toutefois que la ville de Montréal a débloqué des fonds pour l'évènement, évoquant le rayonnement et les retombées touristiques qui s'y associent. Comme quoi la réputation militante de Montréal peut constituer un capital symbolique ou culturel qui peut être monnayé.

En décidant de tenir sa rencontre à Montréal, le FSM, favorable à l'ouverture des frontières et à une redistribution massive des richesses à l'échelle internationale, a dû se contenter d'une représentation très partielle des mouvements opposés à la mondialisation néolibérale et a fait les frais des inégalités structurantes entre pays riches et pauvres. À la lumière de ces contraintes, les chances que le Forum se tienne à nouveau dans un pays dit développé sont minces.

Au-delà de ces constats généraux, quel bilan peut-on dresser du Forum? Une appréciation positive tendrait vers le caractère éminemment démocratique et non hiérarchisé des différents ateliers thématiques. Si certains habitués ont décrié le caractère particulièrement fragmenté de l'édition montréalaise et l'invitation de «conférenciers vedettes», de manière générale, le Forum fut un modèle d'ouverture et de collégialité. Dans ce contexte, la mise en commun des multiples luttes (droits des indigènes, lutte aux changements climatiques, égalités des sexes, etc.) est un processus long et ardu, mais qui tient généralement compte de toute la variété des positions et propositions exprimées.

La démocratie directe, préconisée dans certaines sections du mouvement étudiant au Québec, s'est imposée comme un mode de fonctionnement au sein des forces progressistes dans les dernières décennies, partiellement en réponse au caractère rigide, exclusif et hiérarchique de la gauche politique, à tout le moins jusqu'aux années 70. En tant que «mouvement des mouvements», le Forum considère que toutes les causes ont une importance égale et qu'elles doivent être considérées de manière simultanée.

D'un autre côté, il faut bien avouer que l'impulsion derrière la création du FSM, c'est-à-dire l'émergence du mouvement altermondialiste dans les années 1990 (Seattle étant l'exemple le plus connu), s'essouffle depuis déjà un moment. On peut invoquer la répression policière, qui a augmenté de manière significative après le 11 septembre, les obstacles logistiques et financiers liés à des mobilisations constantes en marge des grands rassemblements des élites mondiales et le retour à des mobilisations locales et nationales à la suite de la crise financière de 2007-2008.

Ayant participé à quelques ateliers de convergence et entendu les déclarations et plateformes qui en ont découlé, j'ai été frappé par le peu de références à des programmes ou stratégies qui impliqueraient des alliances, voir des collaborations actives avec des partis politiques progressistes. Dans la mesure où l'on peut observer un repli des mouvements de contestation sur l'espace national, les différentes composantes de la société civile mondiale auraient tout intérêt à intégrer et investir certaines formations politiques locales de manière plus active.

Or, la méfiance traditionnellement affichée par le Forum Social Mondial et plus généralement par la «nouvelle gauche» envers les partis politiques, qui est à plusieurs égards compréhensible, devrait selon moi laisser la place à une réflexion sur la constitution d'une plateforme politique qui pourrait s'insérer dans le débat public. De plus, bien qu'une plateforme progressiste doive faire référence aux inégalités liées au genre, à l'appartenance ethnique et à l'orientation sexuelle, elle doit aussi mettre de l'avant un programme de gestion politique et économique rigoureux. Certains partis de gauche d'ici et d'ailleurs, qui fédèrent les acteurs du milieu associatif et communautaire, tardent pourtant à s'engager dans cette voie, peut-être dans la crainte de devenir autre chose que des partis d'opposition.

L'alternative privilégiée par le FSM est d'organiser des journées d'action locales et internationales à court moyen terme. Sans être inutiles, ces actions demeurent souvent isolées et ont un pouvoir de mobilisation restreint. Comme mouvement, le Forum doit se demander si le réseautage entre vieux habitués pourra assurer la pérennité du mouvement ou faire avancer les principes qu'il porte. À un moment où l'on peut difficilement s'en remettre à la sagesse des élites politiques ou de l'électeur moyen (voir Brexit et Trump) pour une action concertée contre la dégradation de l'environnement, la précarité et les inégalités de tout ordre, il est impératif d'initier une réflexion plus poussée sur les liens entre les mouvements sociaux et les partis politiques et les possibles stratégies qui pourraient en découler.

Même s'il s'est avéré difficile de résister à la reconstruction de classe qui s'opère depuis les années 70, notamment à cause de son caractère fluide et mobile, le FSM demeure l'un des seuls mouvements d'opposition proprement mondiale à un système financier et économique tout aussi mondial. Le principal défi, à mon sens, est de coordonner la lutte à différentes échelles.

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Mai 2017

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