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Le cirque médiatique d’Airbus au Canada ne fait que commencer

Airbus nous a habitués aux grands effluves d'amour pour obtenir des contrats au Canada.
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Airbus va donc jouer à fond les promesses de retombées économiques et, tout naturellement, rappeler son geste de bonne volonté qui a «sauvé» le C Series.
Toby Melville / Reuters
Airbus va donc jouer à fond les promesses de retombées économiques et, tout naturellement, rappeler son geste de bonne volonté qui a «sauvé» le C Series.

Croire que le constructeur aérospatial franco-germano-espagnol, Airbus Industrie - création des États français et allemands, au prix de centaines de milliards de dollars de subventions depuis sa création, selon l'hebdomadaire britannique The Economist dans un long article publié il y a une dizaine d'années - a sauvé le biréacté monocouloir de 100 à 130 places C Series par bonté d'âme, serait vraiment naïf.

Airbus nous a habitués aux grands effluves d'amour pour obtenir des contrats au Canada. Rappelons-nous du début des années 1980, alors que le consortium jadis franco-germano-espagnol-britannique voulait placer ses avions de ligne chez le transporteur national Air Canada.

Après avoir été heureusement rejeté au profit de Boeing et de son tout nouveau biréacté bicouloir 767, Airbus persévéra pour caser, en 1987, son biréacté à fuselage large moyen-courrier A310 auprès du transporteur Wardair d'Edmonton, en Alberta, qui passeront chez Canadian International Airlines de Calgary, en Alberta lors de sa reprise par ce dernier. Canadian International Airlines passera une modeste commande de 13 biréactés monocouloirs de 150 places A320.

Puis, stupéfaction en juillet 1988, au prix de promesses de retombées économiques et industrielles mirifiques et même de la location de somptueux bureaux à la Place Ville-Marie, Airbus plaça son A320 auprès du transporteur national canadien, encore à l'époque «société de la couronne» ou plus simplement propriété de l'état canadien, avec la commande de 34 A320 au prix de 1,5 milliard$. La flotte d'Air Canada n'était alors constituée que d'aéronefs américains, des Boeing 737,747,767, des McDonnell Douglas DC-9 et des Lockheed L-1011 TriStar.

Tout le monde connaît la suite, Air Canada opéra au fil des ans plus de 150 Airbus: A319, A320, A320, A330 et A340.

Puis le gouvernement fédéral progressiste conservateur de Brian Mulroney, dont le nom sera lié au scandale Karlheinz Schreiber, viendra au secours de Canadian International Airlines qui avait hérité de dix A310 à la suite de sa reprise de Wardair, en rachetant cinq d'entre eux pour la Force aérienne canadienne ou Canadian Air Force et qui deviendront les CC-150 Polaris dont deux ont été transformés en Allemagne en ravitailleur en vol A310MRTT et un en avion d'état, transportant le premier ministre lors de ses déplacements.

Mais depuis près de trois ans, Airbus est en campagne pour s'emparer des contrats aérospatiaux à venir du ministère de la Défense nationale du Canada. Une entrevue réalisée avec Simon Jacques, président d'Airbus Defense and Space Canada lors du Salon CANSEC tenu en mai 2016 en témoigne.

La stratégie paye

Et la stratégie paye même si je devrais dire que la prise du pouvoir par les libéraux de Justin Trudeau n'est certainement pas étrangère au premier succès d'Airbus auprès de l'Aviation royale canadienne (ARC) ou Royal Canadian Air Force (RCAF). Contre toute attente, l'avionneur européen avec son biturbopropulsé à aile haute C295W remporta la compétition visant au remplacement des CC-115 Buffalo, le «Projet de remplacement d'aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe» (ARSVF) ou Fixed Wings Search and Rescue (FWSAR). Depuis le début du processus en 2002, le Leonardo, anciennement Alenia Aermacchi C-27J Spartan, avait toujours figuré comme favori. Étrangement, quelques jours avant l'annonce, les gens d'Airbus furent invités à tenir un point de presse par Aéro Montréal.

Mais la légitime poursuite engagée par Boeing contre Bombardier auprès de l'US International Trade Commission (ITC) à la suite de la vente à prix bradé par Bombardier de 75 C Series au transporteur américain Delta Air Lines qui tourna en drame national au royaume de Bombardier, allait donner au constructeur européen l'occasion de se poser en «chevalier blanc», en «défenseur de la veuve et de l'orphelin», en volant au secours du programme C Series.

Mais nul n'est dupe qu'il y ait eu intervention du gouvernement Trudeau auprès d'Airbus, qui a dû certainement promettre de favoriser Airbus lors des tout prochains importants appels d'offres du ministère de la Défense nationale du Canada: remplacement des McDonnell Douglas F-18 Hornet, des Airbus CC-150 Polaris, des Lockheed CP-140 Aurora, des MilSatCom, sans oublier des contrats conséquents en cybersécurité.

Airbus proposera son Eurofighter Typhoon, dont le vol inaugural remonte au mois de mars 1994, pour remplacer les F-18C/D de la RCAF et affronter les Boeing F-18E/F Super Hornet, Lockheed Martin F-35A Lightning II, Dassault Rafale et Saab Gripen. Pour succéder au CC-150, Airbus proposera son A330MRTT face au Boeing KC-46A Pegasus, dont le premier exemplaire vient d'être tout récemment accepté par l'US Air Force et choisi par la Japan Air Self-Defence Force (JASDF) et, sur le point de l'être, par Heyl Ha Havir.

Au remplacement des avions de patrouille et de lutte anti-sous-marine (ASW) Lockheed CP-140 Aurora (P-3A Orion), Airbus proposera une version ASW de l'ATR ou offrira un «avion de papier» basé sur l'A320 ou même l'A220, connu naguère sous le nom de C Series afin de contrer le Boeing P-8A Poseidon, en service dans l'US Navy et choisi, pour l'instant, par les forces armées du Royaume-Uni, de l'Australie, de la Corée du Sud, du Japon, de l'Inde, de la Norvège et de la Nouvelle-Zélande.

L'enjeu est de taille pour Airbus qui actuellement au Canada n'a connu de succès qu'avec Air Transat, qui, il faut le reconnaître, est une quantité négligeable face aux flottes d'Air Canada, WestJet et SunWing, qui ont tous opté pour les avions de ligne de Boeing: 737NextGen, 737Max, 777 et 787.

Airbus va donc jouer à fond les promesses de retombées économiques et, tout naturellement, rappeler son geste de bonne volonté qui a «sauvé» le C Series.

Ainsi l'offensive médiatique grand public se poursuit avec un texte signé de Tom Enders, PDG d'Airbus, publié dans l'édition du 6 septembre 2018 du quotidien de Toronto, The Globe and Mail. Nous nous rappellerons des grandes accolades et fous rires de Tom Enders et d'Alain Bellemare, PDG de Bombardier, lors de l'annonce de la reprise du programme C Series par Airbus, en septembre 2017, puis en juillet 2018, lors du passage sous le giron d'Airbus des installations du C Series à Mirabel.

Sous le titre de Airbus-Canada partnership can build a bright future off a storied past, Tom Enders commence par encenser le passé glorieux de l'industrie aérospatiale canadienne «Le Canada a une grande histoire d'innovations en aérospatiale», mais se ressaisit vite en ajoutant qu'Airbus veut participer au futur plein de succès de l'industrie aérospatiale canadienne.

Condescendance oblige, monsieur Enders souligne les premières mondiales venues du Canada: l'avion de ligne Avro C102 Jetliner en 1949, les satellites Alouette I en 1962 et le Canadair Regional Jet, à la fin des années 1980, sans oublier le C Series devenu en juillet 2018 l'Airbus A220 depuis que le programme a été donné à l'avionneur européen.

Le PDG ne put s'empêcher de souligner à nouveau les 1000 emplois d'Airbus au Canada et le milliard de dollars d'achat de biens et services que réalise l'avionneur européen au Canada chaque année. Il est à noter que cela est peu face au quatre milliards de dollars d'achats effectués au Canada chaque année, par Boeing, sans compter les achats de Lockheed Martin, Bell Helicopter Textron, Pratt & Whitney...

Naturellement, Airbus, par la plume de son PDG, s'engage à être aux côtés de l'industrie aérospatiale canadienne... à plus forte raison si Ottawa s'arrange pour imposer à l'Aviation royale canadienne (ARC), l'Eurofighter, l'A330MRTT, l'A320ASW et les SatCom d'Airbus.

Tom Enders y va d'une dernière envolée: «L'aviation et l'aérospatiale sont des moteurs essentiels de croissance et de prospérité pour l'avenir. Airbus et le Canada, en continuant à travailler et à innover ensemble, les feront s'envoler». Toute personne sensée et non partisane se souviendra de l'attitude d'Airbus après avoir été choisie pour la première fois par Air Canada en 1988, avec l'A320 face aux McDonnell Douglas MD-88 et Boeing 737-400. Airbus alors ferma ses bureaux de la Place Ville-Marie et dirigea toute son énergie sur le prochain marché à conquérir.

À l'opposé, Boeing, même si ses avions de ligne ont été boudés pendant près de 20 ans par Air Canada, continua à le considérer comme l'un des pays où il s'approvisionne le plus, année après année.

Il est facile d'imaginer que le cirque médiatique d'Airbus au Canada ne fait que commencer.

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