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La dépendance au téléphone portable

Je n'ai pas de téléphone portable. Je n'en ai jamais eu. Je ne dis pas ça pour me vanter. Je me rends d'ailleurs compte que cela fait de moi Monsieur Crétin. "Non mais qu'est ce qui ne va pas chez toi ?" me dit-on souvent avant d'ajouter "et si ta femme et tes enfants ont besoin de toi ?". "J'ai un téléphone au bureau et un téléphone intégré à la voiture. Je n'ai seulement pas de portable, pas de téléphone que je transporte avec moi dans ma poche". "Mais si tu n'es ni au travail ni dans ta voiture et que ta femme veut que tu achètes du lait?".
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Je n'ai pas de téléphone portable. Je n'en ai jamais eu. Je ne dis pas ça pour me vanter. Je me rends d'ailleurs compte que cela fait de moi Monsieur Crétin.

"Non mais qu'est ce qui ne va pas chez toi?" me dit-on souvent avant d'ajouter "et si ta femme et tes enfants ont besoin de toi ?". "J'ai un téléphone au bureau et un téléphone intégré à la voiture. Je n'ai seulement pas de portable, pas de téléphone que je transporte avec moi dans ma poche". "Mais si tu n'es ni au travail ni dans ta voiture et que ta femme veut que tu achètes du lait?". "Le lait ce n'est pas aussi bon que ça pour la santé de toute façon". "Mais si c'est une vraie urgence, tu fais quoi dans ce cas-là?". "Si c'est une urgence, ma femme peut appeler la personne avec laquelle je suis et cette dernière me passera le téléphone". "Mais si elle ne sait pas avec qui tu es? Ou si tu es seul?". "Alors elle fera ce que les femmes ont fait pendant des milliers d'années, elle n'aura pas d'autre choix que d'attendre que je rentre à la maison".

La moitié des gens s'en prennent à moi à ce moment-là: "Oui mais on n'est plus il y a mille ans, idiot. Tu ne vas pas avoir envie de savoir où se trouvent tes enfants lorsqu'il y aura une foutue attaque terroriste ?". "C'est vrai", je rétorque alors avec assurance tout en me demandant si je dois ensuite céder ou me creuser la tête à trouver une réponse comme: "Mais dans les années 50 et 60 on vivait avec la menace d'une guerre nucléaire imminente et les pères de famille s'en sortaient très bien sans portables". "Très bien. Et si un de tes proches venait à mourir et que personne ne pouvait te joindre. Tu te sentirais comment à ce moment-là ?", me lance-t-on ensuite comme si j'étais maintenant échec et mat. En vain car "En quoi cela poserait-il problème que je profite de quelques minutes supplémentaires d'ignorance avant que l'on ne m'annonce la mauvaise nouvelle ?".

Honnêtement, si je n'entendais parler du 11 septembre qu'aujourd'hui, je raserais les murs et ferais attention à mes moindres mouvements. Mais je peux vous assurer que la décennie qui vient de s'écouler aura été plus agréable pour moi que pour vous. Pendant que tout le monde vivait dans la plus grande inquiétude, j'étais complètement insouciant.

Vous vous rappelez de l'époque où la police avait pour habitude de sortir des bars les personnes ayant trop bu pour ensuite les aider à monter dans leur voiture? On nous balançait dans le siège du conducteur, on nous démarrait le véhicule puis on nous indiquait la direction pour rentrer à la maison. La situation est la même aujourd'hui avec le portable: vous êtes incontrôlables, tel l'ivrogne au volant, et personne ne fait rien. Les pires drogués qui fréquentent les salles de shoot, comme on en trouve à Vancouver, ont encore une petite idée de ce qu'est la sobriété. Vous non. Vous me regardez tous comme si c'est moi qui suis cinglé. Les gens me disent : "Wow, ça doit être bizarre de ne pas avoir de téléphone portable". Je leur réponds: "Non, pas vraiment. C'est exactement pareil que quand vous n'en aviez pas". "Mais comment tu envoies tes SMS?". "Je n'en envoie pas". J'ai alors le droit à ce regard vide qui me rappelle à quel point je suis seul dans cette situation.

Il faut aussi reconnaître autre chose: il n'y a plus vraiment de portables aujourd'hui. Comparer un iPhone à un téléphone, c'est comme comparer un Boeing 747 avec un four. Certes, il y a un téléphone quelque part dans l'iPhone mais avant tout un ordinateur devant lequel vos enfants restent plantés même quand vous faîtes un voyage en monospace dans le Grand Canyon. Ça ne vous rend pas malade ? Qu'est-il arrivé au simple fait de conduire une voiture et de regarder le paysage ? Vos enfants abandonnent petit à petit le monde réel pour succomber au besoin narcissique/complaisant/addictif de foncer sur les réseaux sociaux pour suivre quelqu'un ou voir qui peut bien les suivre.

Je ne suis pas complètement technophobe. J'envoie des emails et j'ai fait corriger mes problèmes de vue grâce au laser. Je me suis même essayé à envoyer quelques tweets depuis mon ordinateur cette année. Et puis, comme je l'ai déjà dit, j'ai un téléphone à la maison, un autre au travail et même un incorporé à la voiture. Vous savez donc quand je n'en ai pas ? Quand je marche sur une route de campagne, sur la plage ou pendant un match de football.

Je sais ce que les gens pensent: que je suis vieux, que je suis resté coincé à l'âge de pierre, etc. Jusqu'à récemment, même mes enfants avaient honte de la situation. Ma jeune fille me disait: "Tu es bête ! Pourquoi tu n'achètes pas un portable, tous les autres papas en ont un!".

Ce à quoi je répondais: "Parce que si j'avais un portable, ma puce, je ne serais pas là en train de te parler mais je serais au téléphone en train de décider si je dois me battre avec ta mère pour obtenir la garde des enfants".

En réalité, ma fille ne parle pas de cette façon et je ne suis pas sur le point de divorcer -du moins, pas que je sache- mais pendant longtemps mes enfants ont été mal à l'aise avec le fait que je n'ai pas de portable. Une situation qui gêne toujours ma femme: elle continue à insister pour que j'en achète un quitte à le laisser éteint. Mais tout le monde saurait que je l'ai avec moi. N'y a-t-il pas une sorte d'accord implicite quand vous avez un portable pour que vous donniez des nouvelles de façon périodique à l'autre personne munie d'un téléphone?

Je veux bien le reconnaitre, il y aurait des avantages à avoir un téléphone portable. Comme traquer mes enfants à toute heure de la journée où que je sois. Mais je me connais: je suis faible. S'il y a un gâteau au chocolat dans la maison, je vais le manger. De la même manière, si j'avais un portable, j'y serais collé en permanence. Je vérifierais les résultats sportifs, mes emails, la bourse et je serais sur Twitter ou Instagram. Et même quand je ne l'utiliserais pas, l'idée d'y recevoir des informations occuperait toutes mes pensées, me distrairait et m'empêcherait de prendre du temps avec mes enfants et de leur parler comme je le fais en ce moment.

Une remarque à laquelle j'ai le droit souvent? "Tu as de la chance. Le reste d'entre nous doit avoir un portable, on n'a pas le choix. On en a besoin pour travailler."

Voilà autre chose. Pourquoi attend-on d'un employé qu'il ait son téléphone avec lui en permanence? Et pourquoi est-ce que personne ne remet cela en question? Votre pause déjeuner n'est pas vraiment une pause si vous être relié électroniquement à votre patron. Même s'il n'appelle pas, il est là. Et quand vous rentrez ou que vous sortez avec des amis, il n'y a pas vraiment de coupure si vous êtes à la merci d'un coup de téléphone. Si l'on vous touchait à chaque fois qu'on vous appelait ou que l'on vous envoyait un message, ça relèverait de l'agression physique.

Donc c'est décidé. Je lance aujourd'hui dans ce journal - ou je ne sais trop quel nom vous donnez à ce support - un mouvement. Ce que je propose est simple: que tous les êtres humains aient le droit de se déconnecter. Il devrait y avoir des lois, des amendements, une forme de législation. Quand vous quitter votre lieu de travail, vous devriez avoir terminé votre journée. 19 heures, c'est 19 heures. Tout coup de fil de votre patron après cette heure devrait lui valoir une réprimande - qu'il y réfléchisse à deux fois avant de vous appeler. Et quand vous êtes en train de jouer au golf ou au cinéma et que votre femme ou votre mari vous appelle pour un rien, cela devrait être considéré comme une forme de violence verbale qui pourrait être recevable par un juge.

Quand vous sortirez un soir cette semaine, essayez de laisser votre portable chez vous. Abandonnez l'autoroute pour les chemins de campagne. Cela sera difficile au départ, comme arrêter de boire pendant un mois, mais après un certain temps cela sera plus facile et vous retrouverez cette lucidité que vous aviez probablement oubliée. Ce mouvement existe peut-être déjà, je ne sais pas : je n'ai pas de portable donc je ne suis pas au courant de grand-chose.

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