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Gaz de schiste: trois études sonnent l'alarme

L'exploitation des gaz de schiste n'en finit plus d'occuper le paysage médiatique. La controverse trouve son origine non seulement dans le secret entourant la nature des substances chimiques utilisées par les entreprises gazières, mais aussi du fait que ces dernières rejettent le principe de précaution. Elles requièrent plutôt la preuve, hors de doute, d'un lien entre la contamination de l'environnement et l'extraction du gaz de schiste. Trois études américaines récentes tentent de faire le point sur les impacts de cette industrie naissante sur la qualité de l'environnement et la santé des populations voisines.
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With AFP Story by Veronique DUPONT: US-Energy-Gas-Environment A Consol Energy Horizontal Gas Drilling Rig explores the Marcellus Shale outside the town of Waynesburg, PA on April 13, 2012. It is estimated that more than 500 trillion cubic feet of shale gas is contained in this stretch of rock that runs through parts of Pennsylvania, New York, Ohio and West Virginia. Shale gas is natural gas stored deep underground in fine-grained sedimentary rocks. It can be extracted using a process known as hydraulic fracturing – or 'fracking' – which involves drilling long horizontal wells in shale rocks more than a kilometre below the surface. Massive quantities of water, sand and chemicals are pumped into the wells at high pressure. This opens up fissures in the shale, which are held open by the sand, enabling the trapped gas to escape to the surface for collection. AFP PHOTO/MLADEN ANTONOV (Photo credit should read MLADEN ANTONOV/AFP/Getty Images)
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With AFP Story by Veronique DUPONT: US-Energy-Gas-Environment A Consol Energy Horizontal Gas Drilling Rig explores the Marcellus Shale outside the town of Waynesburg, PA on April 13, 2012. It is estimated that more than 500 trillion cubic feet of shale gas is contained in this stretch of rock that runs through parts of Pennsylvania, New York, Ohio and West Virginia. Shale gas is natural gas stored deep underground in fine-grained sedimentary rocks. It can be extracted using a process known as hydraulic fracturing – or 'fracking' – which involves drilling long horizontal wells in shale rocks more than a kilometre below the surface. Massive quantities of water, sand and chemicals are pumped into the wells at high pressure. This opens up fissures in the shale, which are held open by the sand, enabling the trapped gas to escape to the surface for collection. AFP PHOTO/MLADEN ANTONOV (Photo credit should read MLADEN ANTONOV/AFP/Getty Images)

L'exploitation des gaz de schiste - tantôt dénoncée, tantôt valorisée - n'en finit plus d'occuper le paysage médiatique. Cette semaine c'était au tour de Michael Binnion, le successeur de Lucien Bouchard à la tête de l'Association gazière et pétrolière du Québec, de comparer le Québec à un «prestataire d'aide sociale» https://quebec.huffingtonpost.ca/michael-binnion/le-developpement-economique-du-quebec-penalise_b_3055041.html qui vit au dépens des provinces productrices d'hydrocarbures, tout en étant encouragé par les gouvernements à ne pas exploiter ses propres ressources. La controverse trouve son origine non seulement dans le secret entourant la nature des substances chimiques utilisées par les entreprises gazières, mais aussi du fait que ces dernières, au même titre que les éleveurs industriels pour les additifs de croissance injectés aux animaux ou autrefois les compagnies de cigarettes pour le tabac, rejettent le principe de précaution. Elles requièrent plutôt la preuve, hors de doute, d'un lien entre la contamination de l'environnement et l'extraction du gaz de schiste. Trois études américaines récentes tentent de faire le point sur les impacts de cette industrie naissante sur la qualité de l'environnement et la santé des populations voisines.

Un risque important pour la qualité et la disponibilité de l'eau

Dans Hydraulic Fracturing and Water Resources: Separating the Frack from the Fiction, la biologiste moléculaire Heather Cooley et la naturaliste Kristina Donnelly ont produit pour le Pacific Institute un compendium de données sur l'impact de la fracturation de schiste sur l'eau potable. Ces données ont été glanées auprès de l'industrie, des environnementalistes, des agences gouvernementales et de la littérature publiée sur le sujet.

Les auteurs déplorent non seulement la pratique du secret industriel lié aux composés et techniques employés, mais aussi le fait que la majorité des études ont été réalisées par l'industrie, sans être soumises au mécanisme de révision par des pairs. Elles dénoncent le fait que l'industrie utilise une définition étroite du concept de «fracturation hydraulique», qui se limite à la phase d'injection de fluide dans le sol en écartant ainsi la gestion des eaux usées ou la percolation par les fissures de puits, alors que ces dernières sont précisément les principales sources de contamination identifiées en Pennsylvanie et au Wyoming. Cette astuce permettait à l'American Petroleum Institute de clamer en 2010 qu'il n'existe depuis 60 ans aucun cas où le processus de fracturation hydraulique a eu un impact sur la qualité de l'eau souterraine aux États-Unis.

En sus des fuites accidentelles, les enjeux majeurs de l'exploitation sont, selon les données compilées dans le rapport, liés à la contamination de l'eau souterraine, l'accaparement de l'eau, la gestion du lixiviat, la circulation intensive des camions, l'érosion des sols et la gestion de l'eau de ruissellement.

L'industrie gazière invoque souvent la faible proportion de substances toxiques dans le fluide employé pour entraîner la fracturation. Ce fluide est effectivement généralement composé de 99 % d'eau et de sable. Considérant l'importance du volume de liquide requis pour cette opération, 1 % du volume peut toutefois correspondre à une impressionnante quantité de composés nocifs. À titre d'exemple, la fracturation du schiste appalachien de Marcellus a nécessité l'injection de 4 millions de gallons de fluide, dont 937 gallons d'acide hydrochlorique et 29 de méthanol. Une étude menée dans les états de Pennsylvanie et de New York, publiée en 2011 dans Proceedings of the National Academy of Sciences, conclut que le niveau de méthane dans les puits d'eau potable situés dans un rayon de moins de 1 km des puits de gaz est 17 fois plus élevé qu'aux alentours et que ce méthane provient des profondeurs du sol. Les puits abandonnés peuvent aussi servir de voie de migration pour les contaminants. Il y avait en 2008 environ 150 000 puits abandonnés aux États-Unis.

Les problèmes liés à la quantité massive d'eau requise pour l'opération sont souvent escamotés dans les médias, mais l'Agence de protection environnementale américaine estimait en 2011 que le creusage d'un puits de gaz de schiste nécessite entre 40 000 et 1 million de gallons d'eau, alors que la phase subséquente de fracturation par injection en requiert entre 2,3 millions et 3,8 millions. Une étude préparée pour l'Agence de gestion de l'eau du Texas fait quant à elle référence à une médiane de 5,8 million de gallons pour chaque puits du schiste Bossier et 6,3 million pour le schiste Eagle Ford au Texas.

La gestion de l'eau usée rejetée après fracturation, que nous appellerons ici lixiviat, par analogie au fluide émanant de la percolation des sites d'enfouissement, est généralement exclue par l'industrie de la définition de «fracturation». Selon les données colligées dans le rapport du Pacific Institute, le processus de décantation du lixiviat et son transport constituent pourtant des opérations fréquemment liées à la contamination de l'environnement ambiant. Le transport entraîne en plus non seulement de la pollution atmosphérique et sonore, mais une pression accrue sur le réseau routier. Le rapport cite une étude gouvernementale de l'état de New York qui a établi que l'opération d'un puits de gaz de schiste nécessite en moyenne entre 1 810 et 3 950 trajets de camions pour sa première phase.

Le billet de Paul Yanic Laquerre se poursuit après la galerie

Un impact direct sur la santé des êtres vivants

Les deux autres études portent sur l'impact des produits toxiques utilisés dans la fracturation hydraulique sur les organismes vivants.

Theo Colborn, Carol Kwiatkowski, Kim Schultz et Mary Bachran, des chercheurs du Endocrine Disruption Exchange, ont publié dans la revue Human and Ecological Risk Assessment : An International Journal, l'article Natural Gas Operations from a Public Health Perspective, dans lequel ils exposent le résultat les résultats de leur analyse menée à partir des informations disponibles aux États-Unis sur 353 substances chimiques contenues dans 944 produits utilisées dans les fluides lors du creusage de puits et de la fracturation de schiste.

Selon eux, plus de 75 % de ces substances peuvent affecter la peau, les yeux ou les systèmes respiratoire et gastro-intestinal. Entre 40 et 50 % peuvent affecter les systèmes nerveux, cardiaque ou immunitaire et 37 % le système endocrinien. 25 % peuvent entraîner le cancer ou des mutations génétiques. Plus de 40 % des substances ont un effet tangible sur l'équilibre des écosystèmes, 37 % sont volatiles et peuvent donc se décomposer dans l'air ambiant. Parmi ces 37 %, 89 % sont toxiques.

Pour ce qui est des substances retrouvées dans le lixiviat entreposé à l'air libre dans des bassins de décantation, entre 78 % et 98 % d'entre elles sont inclues dans des listes gouvernementales de composés toxiques. Dans certains états américains, ces bassins de décantation peuvent être maintenus en place pendant plus de vingt ans. Les auteurs mettent en relief le haut degré de toxicité des gaz qui s'échappent de ces substances. Ce processus de décantation est notamment susceptible de causer de la pollution atmosphérique par la production de benzène, de toluène, d' éthylbenzène et de xylène (BTEX), d'oxyde d'azote, de méthane et d'ozone.

Les chercheurs rejettent aussi l'argument des gazières concernant la faible concentration des substances toxiques dans les fluides et les lixiviats. Ils relèvent la grande sensibilité de certains éléments anatomiques, comme le système endocrinien, qui peuvent être affectés par des quantités infimes et la lenteur avec laquelle les symptômes peuvent se manifester chez une espèce à grande longévité comme l'humain.

Finalement, la vétérinaire Michelle Bamberger et le biologiste moléculaire Robert E. Oswald, ont publié dans New Solutions l'article Impacts of Gas Drilling on Human and Animal Health, qui consiste en une enquête de terrain menée dans six États américains auprès d'agriculteurs et d'animaux de ferme vivant à proximité de sites d'extraction gazière. Les animaux impliqués sont aux deux tiers des mammifères, en majorité des bovins, et au tiers des oiseaux et des poissons. L'enquête menée sur sept puits verticaux et dix-huit puits horizontaux a permis d'identifier vingt-quatre cas problèmes, surtout dus à une mauvaise gestion du lixiviat.

Dans cette analyse pourfendue par l'industrie gazière, les auteurs ont ainsi recensé divers symptômes ayant affecté les populations sur plusieurs années depuis le début de l'exploitation gazière. Parmi ceux-ci notons de la fatigue chronique, des saignements de nez, de la présence de phénol dans l'urine, des inflammations dermatologiques, gastro-intestinales ou respiratoires, ou encore des problèmes d'ordre reproductif, endocriniens ou neurologiques ainsi que des malformations congénitales chez certains veaux et chiots. L'enquête a compilé des cas d'empoisonnement à l'arsenic chez un enfant et des chiens, ainsi que plusieurs cas de mortalité chez des poissons, des volailles, des ovins, des équidés et des bovins ayant ingéré de l'eau contaminée ou respiré des gaz toxiques.

Parmi les cas létaux notables, citons pour une première ferme, dix-sept vaches et quatre veaux d'un troupeau de soixante individus, qui sont morts dans les semaines suivant l'ingestion de lixiviat ayant contaminé leur pâturage et seize des vaches survivantes qui ont donné naissance à des veaux mort-nés. Dans une seconde, la moitié des membres d'un troupeau de cent quarante bovins est décédée dans les semaines suivant l'ingestion de lixiviat et dans un troisième établissement, dix-sept vaches sont mortes à peine une heure après avoir respiré des une poche de gaz revenue à la surface par une fissure.

Des mesures préventives minimales

Sans remettre en question la pertinence de l'industrie du gaz de schiste, ces études mettent en relief les dangers causés par les nombreuses incertitudes entourant les impacts réels de cette activité industrielle sur l'environnement et la santé. Afin de respecter le principe de précaution qui devrait être appliqué en l'espèce, il importe de mettre un terme au principe de confidentialité commerciale qui entoure tout le processus d'exploitation par la divulgation publique de registres contenant la concentration de chaque substance utilisée dans le fluide de fracturation, le volume de fluide utilisé et celui récupéré.

De même, les entreprises gazières devraient être obligées d'assumer le coût associé à l'échantillonnage systématique et régulier des sources d'eau potable, mais aussi des sols et de l'air ambiant, autant pendant le processus d'exploitation qu'avant le début des opérations. La tenue de ces tests devrait être une condition d'émission du certificat d'autorisation ministériel. De plus, des tests sur les humains et les animaux devraient être menés systématiquement dès qu'il y a des populations vivants à proximité des sites d'exploitation. Finalement, les gazières devraient non seulement tenir un registre des sites où le lixiviat est entreposé et décanté dans des structures à ciel ouvert, mais aussi prendre en charge les sites où il est enfoui sous terre après la fracturation et les puits abandonnés.

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