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Bombes atomiques: ne blâmez pas Truman mais Hirohito

Le principal crime de l'état-major américain n'est pas d'avoir autorisé le largage des bombes atomiques, mais d'avoir exonéré Shirō Ishii et les tortionnaires de ses unités de vivisection d'une inculpation pour crime de guerre et d'avoir accordé la même protection à Hirohito et toute la famille impériale.
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«Même si la nation entière est sacrifiée dans la guerre, nous devons préserver à la fois la politique nationale (Kokutai) et la sécurité de la maison impériale.» - Kiichirō Hiranuma, président du Conseil privé, 8 août 1945

Les commémorations annuelles entourant les bombardements de Hiroshima et Nagasaki sont l'occasion périodique pour certains pacifistes de dénoncer « les crimes de guerre américains ». Ces révisionnistes, souvent mus par une haine viscérale des États-Unis, isolent volontairement ces bombardements du contexte global de la Seconde Guerre mondiale et méconnaissent totalement les actions et les motivations du gouvernement nippon. Vautrés dans leur ignorance, ils se contentent d'une assertion sans fondement voulant que « le Japon était exsangue et prêt à se rendre » pour jeter la pierre au président Truman et à son état-major en les accusant d'avoir gratuitement commis un crime contre l'humanité dans le seul but « d'impressionner l'URSS ». La réalité est pourtant infiniment plus nuancée.

L'espoir d'une dernière grande victoire

Les analyses historiques menées depuis la mort de l'empereur Shōwa par des historiens nippons et anglo-saxons à partir des archives qui n'ont pas été détruites nous brossent un portrait très différent de celui du monarque éthéré, tenu à l'écart des délibérations par une clique de militaires sans scrupules. Sans être un chef de guerre comme l'était Hitler, Hirohito était néanmoins en vertu de la constitution le commandant suprême des forces armées. En pratique, il dirigeait le Quartier-Général (Daihonei), réactivé à l'automne 1937 à l'aube de l'invasion de la Chine, et se comportait conformément à la tradition nippone qui veut que le chef militaire soit avant tout un arbitre cherchant à obtenir le consensus au sein de ses officiers. Tout au long de la première partie de son règne, et notamment à partir de la tentative de rébellion de 1936 (Incident du 2-2-6), l'empereur Shōwa demeure guidé par une obsession : conserver le trône à tout prix.

En février 1945, la recrudescence des raids aériens sur les villes nippones, conjuguée à l'effondrement des forces impériales sur à peu près tous les fronts ne laisse aucune illusion au gouvernement shōwa. De l'avis quasi-unanime, la défaite est certaine à long terme, mais l'empire doit obtenir une dernière grande victoire (tennōzan) pour éviter de conclure un armistice en état de faiblesse. La dévastation et les 100 000 morts causés par les bombardements des 9 et 10 mars sur Tokyo n'ébranlent pas le consensus dans l'entourage du monarque. Comme le résume lui-même à ce moment le futur premier ministre Kijurō Shidehara, la position du Japon pourrait s'améliorer «si nous continuons à combattre bravement, même si des centaines de milliers de civils sont tués, blessés ou affamés, même si des millions d'édifices sont détruits ou brûlés».

En début avril, la succession de défaites en Asie du Sud-est et sur le front pacifique et la rupture des pourparlers de paix avec la Chine ne rendent pas la reddition plus envisageable. La décision, annoncée le 5 avril par l'Union soviétique, de ne pas renouveler en 1946 son pacte de non-agression conclu en avril 1941 entraîne plutôt le jour même la chute du premier ministre Koiso. Il est remplacé par un ancien grand chambellan de l'empereur, l'amiral Kantarō Suzuki, qui cautionne aussitôt le plan de défense Ketsu-gō, voué à la défense ultime de l'archipel nippon.

Le mirage soviétique

En mai, alors que les morts s'amoncellent à Okinawa et que l'armée du Kuomintang prend l'initiative dans le sud de la Chine, le Japon subit un nouveau raid dévastateur. L'empereur Shōwa, qui n'accorde plus grande foi à la réalisation du tennōzan tourne plutôt son attention vers les négociations avec l'URSS qui s'amorcent dans la première semaine de juin. Dans cette optique, le 8 juin, alors que l'état-major prévoit la défense de la nation par des attaques suicides et que la nation est mobilisée en vue de la bataille finale (hondo kessen), Hirohito et le garde des Sceaux Kōichi Kido, envisagent à la mi-juillet l'envoi du prince Konoe à Moscou pour la présentation d'une proposition de paix. Cette offre prévoit la cession à l'URSS de tous les territoires outre-mer en échange d'une garantie concernant la survie de la Kokutai, c'est-à-dire la pérennité du régime impérial et le maintien de l'empereur en place.

Le 26 juillet, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine émettent la déclaration de Potsdam par laquelle ces trois états exigent notamment la reddition sans condition des forces armées, de même que le jugement des criminels de guerre, sous peine de « destruction rapide et complète ». Deux jours plus tard, le premier ministre Suzuki annonce publiquement que l'ultimatum de Potsdam n'est qu'une version « réchauffée » (yakinaoshi) de la déclaration du Caire et que le gouvernement entend « l'ignorer » (mokusatsu). Dès lors, toute l'attention du gouvernement et de l'empereur se focalise sur les intentions soviétiques. Il en est encore ainsi au lendemain de la destruction de Hiroshima, siège du quartier général de la 2e armée générale, et du second ultimatum des États-Unis.

Protéger le Trône à tout prix

Plus que les bombardements atomiques, c'est le constat sur l'état de préparation du plan de défense de l'archipel et la déclaration de guerre soviétique du 8 août qui dissipent les dernières illusions du monarque. L'invasion soviétique laisse plutôt croire à l'empereur Shōwa que la bataille finale pourrait non seulement être beaucoup plus courte que prévu, mais qu'elle pourrait avoir lieu contre le plus redoutable des ennemis. Un ennemi qui a massacré sans procès la famille Romanov et qui ne semble pas mieux disposé à l'égard du clan Yamato. La reddition aux forces américaines apparaît dès lors comme la seule alternative.

Hirohito presse alors les membres du Conseil suprême de guerre (Saikō sensō shidō kaigi) de discuter des modalités de reddition. Les six membres du Conseil sont toutefois répartis en deux camps. Les partisans des quatre conditions exigent le désarmement des troupes et le jugement des criminels par les autorités impériales, l'absence de forces d'occupation en sol japonais et la préservation du régime shōwa et de l'empereur. L'autre moitié du Conseil est prête à ne considérer que la dernière condition. Refusant d'envisager la reddition inconditionnelle comme le lui suggèrent son frère Nobuhito et le prince Konoe, le monarque indique clairement qu'il se rallie au clan de l'unique condition.

Du 10 au 13, alors que sa nation est à genoux, la seule préoccupation de Hirohito est de conserver son trône. La réponse officielle du gouvernement shōwa indique ainsi l'acceptation de l'ultimatum de Potsdam «étant entendu que ladite déclaration ne comporte aucune exigence qui porterait atteinte aux prérogatives de Sa Majesté à titre de souverain régnant». La réplique américaine, qui stipule que l'autorité de l'empereur et du gouvernement japonais sera soumise à la volonté du Commandant suprême des Forces alliées, jette donc le trouble au sein du Conseil et ne satisfait pas Hirohito. Le 12, lorsqu'il rencontre les membres de la famille impériale pour les informer qu'il envisage de rendre les armes, il indique au prince Asaka sa ferme intention de poursuivre la guerre si l'institution impériale ne peut être préservée.

Le 13, alors que la marine américaine recommence le bombardement des côtes nippones, son aviation détruit des cibles stratégiques comme des raffineries et inonde les villes de pamphlets reprenant la réponse conditionnelle du gouvernement shōwa et la réplique américaine. Inquiet des répercussions de la divulgation de ces informations et de la rumeur voulant qu'une poignée de militaires fanatiques soient à fomenter un coup d'État pour empêcher la reddition, l'empereur se rend finalement à la raison et se présente le lendemain devant le Conseil pour indiquer qu'il entend se contenter de la réplique américaine et, en conséquence, signer l'«Édit impérial mettant un terme à la guerre».

Une mutinerie est effectivement lancée par quelques officiers de l'armée dans la soirée et la nuit du 14 au 15, mais elle tourne court lorsque les meneurs se retrouvent isolés, sans appui au sein de l'état-major. Le 15, le monde entend finalement le Gyokuon-hōsō de l'empereur Shōwa mettant fin à la Seconde Guerre mondiale. La procrastination et l'entêtement de Hirohito auront coûté la vie à quelque 150 000 civils de plus en quelques semaines.

Bien que cruel, l'emploi des bombes atomiques ne se démarque en rien des bombardements de terreur effectués à partir de 1937 sur des civils par le Japon lui-même, puis en 1945 par les États-Unis. Jusqu'au 14 août, aucun indice ne permettait de croire que le Japon rendrait enfin les armes. Le principal crime de l'état-major américain n'est pas d'avoir autorisé le largage des bombes atomiques, mais d'avoir exonéré Shirō Ishii et les tortionnaires de ses unités de vivisection d'une inculpation pour crime de guerre et d'avoir accordé la même protection à Hirohito et toute la famille impériale.

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