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Pourquoi le Canada fait-il la promotion de SNC-Lavalin à l'étranger?

Le gouvernement canadien fournit un appui logistique à la firme SNC-Lavalin, qui tente actuellement de décrocher un contrat de construction d'un hôpital à Trinidad-et-Tobago. Mais dans ce petit État caribéen, les jeux de coulisses de la Corporation commerciale canadienne (une société de la Couronne peu connue) font sourciller les politiciens et les gens d'affaires.
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Le gouvernement canadien fournit un appui logistique à la firme SNC-Lavalin, qui tente actuellement de décrocher un contrat de construction d'hôpital évalué à 163 millions de dollars à Trinidad-et-Tobago.

Mais dans ce petit État caribéen, les jeux de coulisses de la Corporation commerciale canadienne (CCC, une société de la Couronne peu connue) font sourciller les politiciens et les gens d'affaires. Les allégations de corruption qui pèsent sur la firme d'ingénierie montréalaise ainsi que l'opacité des tractations en cours suscitent une opposition croissante et contribuent à ternir la réputation du Canada.

Les Trinidadiens ont de bonnes raisons de s'inquiéter: SNC-Lavalin est actuellement sous enquête pour des questions de pots-de-vin et de corruption dans une demi-douzaine de pays. L'ex-PDG Pierre Duhaime et son ancien vice-président Riadh Ben Aïssa font face à de multiples allégations de fraude, de blanchiment d'argent et de corruption, incluant des paiements à la famille Kadhafi en contrepartie de lucratifs contrats. Les deux hommes sont formellement accusés de fraude et de production de faux documents en lien avec la construction du Centre universitaire de santé McGill. D'après la Société Radio-Canada et le Globe and Mail, des employés de la firme auraient fréquemment utilisé un code secret pour camoufler leurs pots-de-vin. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a effectué des perquisitions aux bureaux de Montréal et d'Oakville, tandis que les bureaux de SNC-Lavalin situés en Algérie ont eux aussi reçu la visite des forces policières.

En avril dernier, la Banque mondiale a radié SNC-Lavalin et ses filiales de tous les appels d'offres liés à des projets qu'elle finance pour les 10 prochaines années. Il s'agit de la pénalité la plus lourde jamais imposée par ce bâilleur de fonds, véritable chef de file de l'aide au développement. Les banques multilatérales régionales ainsi que l'ACDI (ex-agence de développement canadienne maintenant intégrée au ministère des Affaires étrangères) en ont pris bonne note et décidé de ne plus octroyer de contrats à cette compagnie.

«Pourquoi nous obliger à transiger avec SNC-Lavalin?», se demandent maintenant les élus et les gens d'affaires de Trinidad.

Pour leur part, les Canadiens devraient se demander pourquoi cette firme doit absolument être imposée à un autre pays, alors même qu'elle est sous enquête pour son rôle dans le plus grand scandale de corruption de l'histoire canadienne.

La presse trinidadienne a révélé au mois de juin que SNC-Lavalin s'était vu octroyer le contrat de conception d'un hôpital et d'un centre de réhabilitation dans la ville de Penal, sur recommandation de la CCC.

Fondée en 1946, la CCC agit en tant qu'agence de passation de contrats et d'approvisionnements internationaux du Canada. Elle localise des sources d'approvisionnement en biens et services canadiens pour le compte des gouvernements étrangers «en leur évitant les longs processus d'appels d'offres internationaux». Elle facilite également l'octroi de l'aide canadienne ainsi que les transactions du Canada dans les marchés émergents. Son mandat initial était de reconstruire l'Europe dévastée par la Seconde Guerre mondiale, mais son statut d'organisme public lui a permis d'étendre ses activités à la défense, à l'aérospatiale et à d'autres secteurs d'activité exclus des accords de l'Organisation mondiale du commerce.

Les faits et gestes de la CCC passent généralement inaperçus. Or sa décision de recommander SNC-Lavalin pour la conception du complexe hospitalier de Penal l'a placée sous le feu des projecteurs. Les médias trinidadiens se sont emparés de l'affaire tandis que les politiciens locaux affirment n'avoir eu d'autre choix que d'accepter ce partenaire.

Au parlement de Trinidad-et-Tobago, le ministre de la Planification Bhoe Tewarie a expliqué que «la recommandation de SNC-Lavalin a émané directement de la Corporation commerciale canadienne», avant d'ajouter qu'en matière de contrats de gouvernement à gouvernement, le choix des compagnies sélectionnées ne lui incombait pas.

Afra Raymond, porte-parole de l'industrie de la construction locale, a pour sa part exhorté le gouvernement trinidadien à ne pas octroyer de contrats à des entreprises bannies par la Banque mondiale, «puisque cela signifie qu'elles sont incapables de respecter les normes les plus élémentaires de gestion des fonds publics». Le député d'opposition Colm Imbert a fustigé le gouvernement pour avoir transigé avec une entreprise «contaminée et discréditée», qu'il a ensuite accusée de «mauvaises pratiques d'approvisionnement et de gouvernance». «Notre gouvernement est-il capable de superviser quoi que ce soit?», a-t-il demandé.

Or le gouvernement de Trinidad-et-Tobago prétend ne pas être en mesure de faire la fine bouche. Dans les pages du Guardian, le ministre du Logement Roodal Moonilal a précisé que le pays profite de taux d'intérêt plus bas et de nombreux autres avantages en transigeant de gouvernement à gouvernement: «Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour financer la construction de mégaprojets, alors nous faisons des arrangements bilatéraux.»

La CCC réfute cet argument. Elle soutient que le projet n'offre aucun traitement préférentiel, qu'il n'est pas financé par le gouvernement canadien et ne fait qu'obéir aux «principes généraux du commerce».

Une certaine confusion semble donc planer relativement à l'aspect préférentiel ou purement commercial de ce contrat. Toutefois, nous savons qu'après avoir été approchée par SNC-Lavalin, la CCC a rassemblé une équipe incluant des membres d'Exportation et développement Canada (une autre société de la Couronne) afin d'élaborer «une solution complète de complexe hospitalier».

Par la suite, la Urban Development Corporation of T&T (UdeCOTT), une compagnie expressément créée par le ministère du Logement de Trinidad-et-Tobago, a signé le contrat de conception de l'hôpital avec SNC-Lavalin. La CCC songe maintenant à proposer les services de la firme d'ingénierie canadienne pour les phases ultérieures de construction et de dotation en équipement de l'hôpital.

La CCC se défend en affirmant qu'elle effectue «une vérification diligente des firmes partenaires avant toute signature de contrat». Cette vérification inclut une évaluation complète de leurs capacités «en matière financière, managériale, technique ainsi qu'en matière de responsabilité sociale». La CCC admet toutefois ne pas divulguer les résultats de ses évaluations, ce qui veut dire que les contribuables doivent s'en remettre à sa bonne foi.

Le gouvernement canadien peine à expliquer comment une société de la Couronne a pu manquer de jugement au point de négocier un contrat derrière des portes closes et sans appel d'offres, au moment même où les malversations de la firme sélectionnée font l'objet d'une enquête de la GRC.

Les contrats de ce genre contribuent à créer un climat d'affaires toxique et sont un terreau fertile pour le grand banditisme international. Les contribuables canadiens et trinidadiens méritent mieux et sont tout à fait en droit d'exiger que le Canada respecte les meilleures pratiques en matière de contrats publics.

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