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Cette semaine, j'ai (encore) fait la grève

Ce qui s'est passé au Bataclan, à Paris, ça, c'est prendre des gens en otage! Nous, on brandit des pancartes, on joue du sifflet, on marche dans les rues. Prendre en otage, c'est menacer la vie des gens. Nous, on se bat pour la survie du système public d'éducation.
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Je me suis toujours dit que je me servirais de la tribune que m'offre le Huffington Post pour parler de mon travail d'enseignant de façon positive.

Pour parler du plaisir que j'ai à former de nouveaux enseignants. Pour parler du plaisir que je ressens encore, après 23 ans, une fois que la porte de ma classe est fermée. Pour parler des rêves et des réalisations des quelque 2 500 élèves à qui j'ai enseigné depuis le début de ma carrière. Pour témoigner de tout ce que mes collègues font au quotidien pour accrocher des jeunes qui ont principalement comme définition de tâche de contester l'autorité.

Mais force est d'admettre que, pour enseigner au 21e siècle, il faut se battre. Il faut se battre contre un gouvernement qui a une vision économique de l'éducation. Il faut se battre contre des gens qui ne comprennent pas que l'éducation, c'est la base d'une société saine, ouverte, en santé et prospère (ça, ça devrait faire plaisir à nos dirigeants). Alors, à tous ceux qui doutent encore de la pertinence des gestes que nous posons actuellement, j'aimerais dire ceci:

Ça vous contrarie de devoir réorganiser vos journées alors que les enseignants dénoncent, entre autres, les coupures de plus d'un milliard de dollars effectuées par le gouvernement en éducation? Vous croyez que je fais la grève de gaité de cœur et que c'est dans la joie que je me fais amputer cinq jours de salaire depuis octobre? Qu'est-ce que je peux faire d'autre? Marcher à reculons? Me laisser pousser une «barbe des négos»?

J'aurais souhaité ne pas en arriver là, mais...

Depuis le début des négociations, le gouvernement s'entête à vouloir en venir à une entente à coût nul avec les enseignants du primaire et du secondaire. Comme si nous allions accepter de nous couper un bras pour nous sauver une jambe.

Depuis le début des négociations, le gouvernement nous dit qu'il n'a pas d'argent. Pourtant, quand je regarde du côté de Bombardier et du côté des médecins... Pourtant, quand je regarde tous ces milliards perdus à cause de l'évasion fiscale, de la corruption ou de la collusion...

La vérité, c'est que de l'argent, il y en a. Cependant, pour une raison que j'ignore, il n'y en a pas pour les enseignants du primaire et du secondaire.

De plus, quand j'entends Martin Coiteux dire à RDI que les enseignants prennent les parents et les élèves en otage, ça me scie les jambes! On va régler une chose. Ce qui s'est passé au Bataclan, à Paris, ça, c'est prendre des gens en otage! Nous, on brandit des pancartes, on joue du sifflet, on marche dans les rues.

Prendre en otage, c'est menacer la vie des gens. Nous, on se bat pour la survie du système public d'éducation. Nous, on se bat pour de meilleurs services aux élèves. Nous, on se bat pour l'amélioration de nos conditions de travail parce que nos conditions de travail, ce sont les conditions d'apprentissage de vos enfants.

On ne se le cachera pas, nous souhaitons aussi avoir de meilleures conditions salariales. Nous nous appauvrissons depuis des années et on nous offre 3% sur cinq ans! La relativité salariale? Le gouvernement avoue lui-même qu'il y a une injustice quant à nos salaires mais, parce qu'on est trop nombreux, il y aura une loi d'exception qui nous privera de toute la portion de la relativité salariale qui nous revient. Il affirme donc, candidement, que sa façon de régler une injustice est de la perpétuer. Et nous, on devrait accepter ça?

Le gouvernement nous dit qu'il va hausser les critères d'admission pour les futurs enseignants afin d'aller chercher de meilleurs candidats. Grand bien lui en fasse, mais qui aura vraiment le goût de se lancer dans une carrière de 35 ans (pour l'instant) alors que nos conditions de travail ne font que se détériorer ?

C'est dommage parce que le métier d'enseignant, c'est le plus beau métier du monde. C'est un travail noble. Essentiel. C'est un travail dans lequel nous avons la chance de faire une réelle différence dans la vie de certaines personnes. C'est un travail dans lequel nous apprenons aux jeunes à se découvrir, à explorer, à sortir de leur zone de confort. C'est un métier dans lequel on construit des rêves. C'est un travail de relation dans lequel nous tissons des liens qui, parfois, perdureront bien des années après le passage d'un jeune dans notre classe. C'est un travail dans lequel on est constamment en contact avec des jeunes qui nous remettent en question et qui, alors que nous vieillissons, nous permettent de rester jeunes.

C'est à nous qu'incombe la responsabilité sociale d'enseigner à ceux qui formeront la génération de demain. Ce n'est pas rien ! C'est «grisant», non? C'est emballant, non? Mais aussi (surtout ?), c'est un travail très exigeant. De plus en plus en plus exigeant.

Alors, parce que j'aime mes élèves et parce que j'aime mon travail, cette semaine, j'ai encore fait la grève...

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