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On n'accepterait pas de laisser notre chien dans un chenil mal entretenu ou surpeuplé. Mais pour nos enfants, c'est correct?
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J'enseigne depuis que j'ai l'âge de 24 ans. J'en ai aujourd'hui 47. À l'époque, j'ai choisi d'enseigner car je croyais en ce travail. Je croyais que, comme d'autres enseignants l'avaient fait pour moi, je pouvais faire une différence dans la vie de certains jeunes. En début de carrière, j'ai même refusé d'enseigner à des groupes «enrichis» de 5e secondaire pour enseigner à des jeunes qui reprenaient leur 3e secondaire pour la troisième fois. Je croyais, du haut de mes 26 ans, que je pouvais les sauver. L'expérience a été éprouvante, mais tellement enrichissante.

Depuis, j'ai enseigné à tous les niveaux du secondaire, au privé tout comme au public. J'ai même donné quelques charges de cours au collégial.

Pendant ces 23 années, j'ai toujours été animé par la passion d'enseigner.

Mais, cette année, quelque chose s'est brisé. Malgré cela, je ne deviendrai pas un enseignant amer et désabusé qui compte les jours en attendant sa retraite. J'ai beaucoup trop de respect envers mes élèves et mes collègues pour agir de la sorte. Cependant, quelque chose (mon enthousiasme naïf?) s'est éteint...

Ça a commencé lorsqu'un ministre de l'Éducation a affirmé que les jeunes ne mourraient pas de ne pas avoir de livres. Comme si ce n'était assez, il a aussi évoqué la possibilité d'éliminer l'épreuve de français obligatoire au collégial parce que trop d'étudiants l'échouaient. Quel beau message... Peu après, il a remis en cause la pertinence des cours de littérature et de philosophie au cégep. La motivation des étudiants a dû décupler suite à de tels propos...

Un peu plus tard, son successeur a affirmé qu'il serait «maladroit» d'investir en éducation. Aujourd'hui, ce même ministre a eu cette idée de «génie» pour combler les lacunes en français: faire lire les élèves! Comme si on ne le faisait pas déjà! Mais pour qui nous prend-on?

Si ce sont ces gens qui sont censés défendre et promouvoir l'éducation, on n'a pas besoin de pourfendeurs...

Récemment, les médias ont mentionné l'état lamentable de certaines de nos écoles publiques (cette situation existe-t-elle dans les écoles privées?) . Nos élèves (vos enfants!) fréquentent des classes surchargées et ça, c'est quand on ne les «parque» pas dans des «roulottes» en attendant.

En attendant quoi?

On n'accepterait pas de laisser notre chien dans un chenil mal entretenu ou surpeuplé. On n'accepterait même pas qu'un motel classé une étoile soit dans un tel état! Mais pour nos enfants, c'est correct? Comment a-t-on pu en arriver là? Cela démontre bien toute la considération que l'on accorde à l'éducation et à nos enfants dans notre société.

Et ensuite, on s'étonne de voir que certains jeunes sont démotivés et n'aiment pas fréquenter l'école...

On apprenait aussi que 69% des élèves en difficulté sont maintenant dans des classes régulières. Tout cela au nom de l'intégration. Eh bien, qu'on se le dise: la vraie raison pour laquelle tous ces élèves sont intégrés dans des classes régulières, c'est parce que ça coûte moins cher des les mettre dans des groupes de 32 élèves que d'ouvrir des groupes de 12-15 élèves!

Cette mesure n'aide personne. Elle n'aide pas les élèves en difficulté parce que, dans des classes régulières, les élèves en difficulté n'ont pas tous les services auxquels ils ont droit. Par ailleurs, cette mesure n'aide pas les autres élèves, car l'enseignant n'a pas de temps à leur accorder, trop occupé qu'il est à s'occuper de tous ses élèves qui ont des plans d'intervention et qui nécessitent une attention particulière.

Certaines écoles publiques fouillent dans les poubelles des écoles privées pour s'équiper. Le gouvernement coupe dans l'aide alimentaire, dans l'aide aux devoirs. Si on est chanceux, on a droit à un psychologue une journée et demie par semaine! Si vous êtes chanceux, votre enfant aura peut-être accès à une orthophoniste, via le système public d'éducation, avant la fin de ses études. Pendant ce temps-là, on donne 1,3 milliard à Bombardier, 1,7 milliard à Suncor et on augmente le salaire des médecins de plus de 40%. Nous, les enseignants, aurons à peine 5% sur cinq ans et nous n'aurons que 2,4% de relativité salariale au lieu des 6% auxquels nous avons droit.

J'ai déjà lu quelque part que le gouvernement a réussi à nous faire croire que les riches ont besoin d'aide et que les pauvres pouvaient se débrouiller tout seuls...

Ce n'est pas tout. Le gouvernement a tenu une conférence sur l'avenir de l'éducation à laquelle aucun enseignant n'a participé! Pourtant, nous sommes les mieux placés pour identifier les besoins des élèves! C'est nous qui sommes en première ligne. Ça en dit long sur ce que le gouvernement pense de notre travail. Ensuite, il croit qu'en resserrant les critères d'admissibilité en enseignement, il va attirer les meilleurs candidats... Dans les conditions actuelles (et ça ne semble pas vouloir s'améliorer), pourquoi, par exemple, un jeune de 20 ans choisirait-il d'enseigner les sciences plutôt que de se diriger en médecine ou en pharmacie?

Je pourrais continuer ainsi encore longtemps, entre autres en vous mentionnant les cas d'élèves qui se retrouvent en 5e secondaire alors qu'ils ne savent pas écrire, mais je vais vous épargner tout ça...

Mais là, je vous entends me dire: «Avec tes deux mois de congé, t'es mal placé pour te plaindre!», «Change de travail si t'es pas content!», «Tu savais dans quoi tu t'embarquais en choisissant l'enseignement. Assume, maintenant!»

Non, je ne me tairai pas. Je ne vous laisserai pas interpréter mon silence comme l'acceptation tacite de votre indifférence!

Alors, pourquoi continuer?

Parce que l'éducation, c'est un projet de société. Parce que j'y crois encore. Parce que l'éducation, c'est un investissement. Parce qu'il y a mes élèves. J'aime leur parler de littérature et de la vie (que serait la vie sans littérature?) Malgré tout, une fois que la porte de ma classe est fermée et que je me retrouve au milieu de mes 35 élèves, je me sens bien. Je me sens à l'étroit, mais je me sens bien.

De plus, il y a mes collègues. Je leur voue une admiration sans bornes. On entend souvent dire que les enseignants du privé sont meilleurs que ceux publics. Eh bien, détrompez-vous! Mes collègues ne cessent de faire plus avec moins. Malgré tout, malgré les conditions dans lesquelles on les place, mes collègues rivalisent d'ingéniosité, d'imagination et de persévérance pour le bien de leurs élèves. Pour le bien de vos enfants. C'est tout à leur honneur! Et ça, on ne le leur dira jamais assez. Le problème, c'est qu'au lieu de leur donner une tape dans le dos, on les tient pour acquis et on tente les faire sentir coupables de se tenir enfin debout.

Ceci étant dit, je ne laisserai jamais tomber les jeunes que l'on m'a confiés et que l'on me confiera pour les douze prochaines années. Cependant, je le ferai désormais dans les limites de ce qu'on me reconnaît. À la lumière de toute la considération que l'on a pour mon travail. Pour eux comme pour moi, c'est triste, mais c'est comme ça...

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