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Monnaies ou sur-monnaies? Questions sur les monnaies cryptées

Les monnaies cryptées sont-elles des monnaies ou de simples preuves de transactions effectuées? Ne sont-elles pas surtout des questions sur la monnaie, comme en son temps, le billet de banque a questionné le rôle des métaux précieux dans la circulation monétaire.
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Première partie

Les monnaies cryptées sont-elles des monnaies ou de simples preuves de transactions effectuées? Ne sont-elles pas surtout des questions sur la monnaie, comme en son temps, le billet de banque a questionné le rôle des métaux précieux dans la circulation monétaire.

Ces monnaies sont-elles une étape supplémentaire dans la vie économique et dans la façon dont les transactions sont "fixées" et dont les dettes et les créances sont apurées?

Cette série de trois articles propose une approche de ces questions, quitte à s'en prendre à des concepts qui paraissent à l'abri de toutes contestations. Mais aussi, est-il bien raisonnable de continuer à penser la monnaie comme le fit Aristote en son temps? L'immense philosophe pensait que le soleil tournait autour de la terre, pensée qui a "tenu" 1600 ans. En matière monétaire ses conceptions, plus de 2000 ans après, continuent à dicter leurs "lois"!!!

Invention de l'économie monétaire

Les premières études sérieuses sur l'économie monétaire remontent au XVIe siècle. Elles ont pour origine les recherches sur l'évolution des prix et leur progression. L'évènement "monétaire" le plus important de cette époque réside dans l'exploitation massive des gisements d'or en Amérique latine par les Espagnols principalement. La quantité de monnaie s'accroissant, observent Bodin, Quesnay, Cantillon, Petty, anglais et français, a provoqué une hausse des prix. Ils inventent la théorie quantitative de la monnaie et la complètent par sa vitesse de circulation : une pièce d'or sert à plusieurs transactions dans un laps de temps défini.

Ils en déduisent que la question de la monnaie ne peut pas être réduite à une simple question de stocks métalliques disponibles, mais dépend de la fluidité du commerce. On peut donc obtenir le même effet économique avec une quantité d'or qui circule vite qu'avec une quantité d'or plus importante qui circule lentement. La libération du commerce s'imposer pour les pays qui ne disposent pas de mines d'or.

Les théoriciens du XVIe siècle et plus tard ceux du XXe siècle comme Keynes et Schumpeter raisonnaient dans un univers de "rareté monétaire" où seule la vitesse de circulation de la monnaie permettait de relativiser le rôle de la quantité de monnaie disponible.

Les progrès réalisés dans les technologies des moyens de paiement et de compensation, le chèque, tout d'abord, mais ensuite les virements électroniques, la création de gigantesques réseaux de compensation mondiaux des paiements ont contribué à donner davantage de poids à la circulation de la monnaie.

Rareté de la monnaie? Pour les économies contemporaines, la rareté monétaire relève du passé ou de situations économiques exceptionnelles. Les données de l'observation ont changé. La vitesse de la lumière?

Aujourd'hui, sans attaquer directement le concept de monnaie, celui même de vitesse de circulation pourrait être contesté. La production de monnaie dépend des crédits des banques. Que devient la vitesse de la circulation de la monnaie dans ces conditions et quel intérêt y a-t-il à en évaluer les grandeurs et, s'il y a lieu, les diversités ? N'est-ce pas plutôt la vitesse de l'émission de monnaie, c'est-à-dire la vitesse de l'émission des crédits qui est la grandeur déterminante?

Cette interrogation prend un sens nouveau avec l'apparition dans la sphère financière du "high speed trading" qui aboutit à des opérations de crédit et la mise en œuvre de transactions dans des laps de temps inférieurs à la seconde.

La vitesse de la circulation monétaire s'accélèrerait ? Poser cette question conduit à cette autre " de quelle monnaie parle-t-on, car, entre les opérations financières du high speed trading et celles qui lient les agents économiques de la sphère "réelle", les différences sont grandes. Le volume des opérations des unes n'est pas limité par d'autres contraintes que celles tenant à la vitesse des ordinateurs quand les secondes le sont par le fait que les consommateurs, par exemple, sont limités par leurs revenus augmentés de quelques crédits, ou par le fait qu'une voiture une fois acquise, l'acquisition de la seconde n'aura pas lieu dans la milliseconde!

Dans ces conditions, la question n'est plus de savoir si les pièces changent de main souvent ou non. La question devient : y-a-t-il plusieurs types de monnaie affectées de vitesse propres ? Doit-on traiter le processus de leur fabrication, c'est-à-dire les catégories de crédits dont elles émanent, de façon différenciée?

Monnaie et temps

Les questions sur la monnaie et sa nature ont pris un tour original avec l'arrivée des "crypto-monnaies" et tout particulièrement des "protocoles" sur lesquels elles reposent: la blockchain. Il n'est pas question ici de reprendre la description de ces "monnaies de l'internet" à commencer par la plus célèbre d'entre elles, le Bitcoin, mais de montrer que l'apparition de ces "monnaies" conduit à s'interroger sur la nature et donc le rôle de la monnaie dans la vie économique.

Les premiers théoriciens modernes de la monnaie ont découvert le principe de la vitesse de circulation de la monnaie, en observant sa fonction d'apurement des dettes et des créances. Par la même occasion, ils mettaient à jour, sans le différencier de la monnaie proprement dite, un autre concept monétaire, la notion de liquidité. Il n'est pas étonnant que ces deux notions aient émergé en même temps: l'époque voit l'irruption du temps dans le raisonnement économique et, par voie de conséquence, l'irruption du prix de l'argent. On comprend bien pourquoi au moment où on introduit le temps dans la monnaie on introduit la vitesse!

Autre découverte: celle qui rend possible de rompre avec Aristote et Thomas d'Aquin et de dire de l'argent qu'il "fait des petits" c'est-à-dire que le "temps c'est de l'argent". Introduire le temps dans les mouvements de réflexions sur l'échange des biens et sur la création de valeurs, tous deux objets initiaux et fondamentaux de la pensée économique, conduit, conséquence directe, à soumettre la question de la disponibilité de l'argent à la réflexion, à poser la question de la liquidité des systèmes d'échange et le rôle de la vitesse de circulation.

La liquidité reflète l'urgence qui saisit les acteurs économiques lors de ces moments cruciaux de la naissance de l'économie moderne, capitalisme et libéralisme. Plus le temps est précieux. Plus il "vaut de l'argent" plus l'apurement des créances et des dettes devient un enjeu important de la vie économique. Cet apurement doit s'affranchir des termes et délais. Il faut pouvoir "liquider" les créances le plus vite possible et pour les liquider, il faut les "liquéfier": les transformer en monnaie.

Dit autrement, toute société qui ne place pas le temps en tant qu'acteur essentiel dans ses mécanismes économiques, admet que les créances et les dettes "finissent" par s'apurer mutuellement, "dans un certain délai" et admet que différer cet apurement réduit le besoin de monnaie. Pour prendre un exemple classique: les échanges sur une place financière peuvent être "dénoués" au fil des transactions, ou à la fin d'une séance de bourse, ou encore à la fin d'un mois boursier. Plus le délai s'allonge, moins forte est la pression sur la liquidité. Et si, on imaginait un monde qui vivrait heureusement avec des délais très longs, la compensation des dettes et des créances n'exigerait rien d'autre qu'un grand livre de compte. La monnaie ne serait pas nécessaire et la vitesse de la monnaie se réduirait absolument!

A venir, deuxième partie: Le grand livre digital.

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

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