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Monnaies cryptées: or numérique, or métallique

En général, les «inventeurs» de monnaie se gardent bien d'en limiter la production. Il faut reconnaître que dans les temps passés, les bricoleurs ou les révolutionnaires économiques ne souhaitaient que libérer le commerce du carcan de l'or-métal, rare, et cher.
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La volonté des promoteurs du Bitcoin de limiter la production, le minage, de cette monnaie à un nombre de 21 millions selon les uns et de 25 millions d'unités selon les autres relève, en matière monétaire, d'un comportement très original; En général, les "inventeurs" de monnaie se gardent bien d'en limiter la production. Il faut reconnaître que dans les temps passés, les bricoleurs ou les révolutionnaires économiques ne souhaitaient que libérer le commerce du carcan de l'or-métal, rare, cher et insoucieux des réalités économiques.

Que n'a-t-on pas dit sur la merveilleuse monnaie que les révolutionnaires français découvrirent dans l'Assignat! On doit à Talleyrand, encore évêque et pas encore duc de Bénévent, une des envolées lyriques les plus enflammées en faveur du monnaie-papier. Selon lui, l'assignat ne serait à l'économie rien moins qu'un Nil dont les limons fertiliseraient la belle terre de France... Doit-on en déduire que, par un bizarre tour de pensée, les défenseurs du bitcoin soucieux d'exorciser le malheur inflationniste qui pèse sur les monnaies "créatives" se sont attachés à faire de leur crypto-monnaie une sorte de chryso-monnaie, lui attribuant, pour rassurer, toutes les vertus de l'or, tournant donc le dos "au Nil".

La rareté fait-elle la valeur de l'or?

Ont-ils dans l'esprit que l'or étant rare, justement, une monnaie en or assure une fonction d'unité de compte imperturbable, sans qu'on puisse tricher, sans que les valeurs s'effondrent face "au trop de monnaie"? Si la monnaie allemande avait été rigoureusement appuyée sur l'or à l'époque terrible de la fameuse "Grande Inflation", celle qui fait encore trembler le Président de la Bundesbank, l'horreur de la valse des prix n'aurait pas eu lieu?

Donc, peu d'or, c'est-à-dire une faible liquidité de l'économie, c'est gênant, mais c'est beaucoup moins ennuyeux que "trop de monnaie", tout le monde le répète. On peut imaginer que les inventeurs du bitcoin ont eu cette idée derrière la tête. Rare la monnaie, plus désirable elle est, plus sérieuse elle parait et plus convaincante puisqu'elle se tient à l'écart de la folie des banquiers et de l'ambition des politiques. C'est une vision. De nombreux signes laissent penser à pareille similitude: le coût de production par exemple.

Au début, lorsque l'or était découvert aux États-Unis, au Canada, ou ailleurs, les filons étaient presque visibles, les paillettes nombreuses. Puis le minage devint de plus en plus long, de plus en plus coûteux. Les coûts dans la ruée vers l'or, version Charlie Chaplin s'exprime en vies humaines, en sacrifices, en famines, en maladie de tous les pauvres types qui se tuent à la tâche; dans la version bitcoin, au début, même chose, on mine facilement, puis au fur et à mesure que les unités sont déterrées des tréfonds des unités de calculs des ordinateurs, cela devient plus long, il faut calculer plus longtemps afin de doter chaque unité d'une personnalité numérique incontournable, infracturable.

Cela ne se compte pas en vies humaines, mais en électricité (une consommation qui prend la dimension des besoins d'une ville entière), en chaleur à dissiper, celle qui vient des ordinateurs eux-mêmes moulinant les fameux algorithmes. On peut dans les deux cas comprendre pourquoi il y a rareté : des lois naturelles viennent contrarier le désir de richesse des mineurs: pour l'or métallique, c'est la rareté que la nature impose, pour l'or numérique, c'est le coût astronomique des derniers bitcoin produits.

La monnaie-or n'était-ce vraiment que de l'or?

Ces calculs, ces ordinateurs mis en batterie pour calculer ces algorithmes plus ou moins sophistiqués créent-ils une monnaie aux caractères si originaux par rapport à l'or métallique?On a vu que par certaines caractéristiques on peut rapprocher les deux "ors" par-delà les millénaires. Mais on se tient alors trop près des apparences. Les monnaies d'or ne tenaient pas leur statut monétaire de cette fameuse rareté doublée d'un coût de production élevé.

Il leur avait fallu beaucoup de transformations avant de se poser en tant qu'instrument monétaire et d'acquérir les caractères qu'Aristote attribuait à la monnaie: instrument pour échanger, conserver la valeur et fixer les parités entre les biens et les services. Lorsqu'on parle de monnaie "or" on ne cesse de revenir en Lydie et aux bonnes affaires du Roi Crésus. On ne parle pas assez d'une révolution monétaire: sous la signature des rois lydiens, la monnaie d'or, valait vraiment... son pesant d'or, personne n'en contestait sa réalité de monnaie et, par conséquent, son pouvoir libératoire.

Le monnayage de l'or, c'est-à-dire sa transformation en monnaie n'a donc pas seulement été l'aboutissement d'un processus technologiquement complexe. L'or devait être chimiquement homogène, les poids devaient être identiques, il fallait un solide instrument de mesure poids/densité. Les scientifiques les plus fameux furent mobilisés au service de la monnaie-or: selon la légende, le fameux «Euréka» d'Archimède lui vint de la découverte qu'il fit du moyen de déterminer la teneur réelle d'un objet en or et de débusquer sa part illicite d'argent! Les rois de Lydie n'apposaient pas leur sceau parce que c'était des bouts de métal sophistiqués, mais parce qu'ils étaient Rois: c'est en apposant leur sceau sur un morceau d'or que celui-ci devenait monnaie et pouvait assumer les trois fonctions d'Aristote.

L'or monétaire était, en définitive, une technologie sophistiquée qui avait recueilli l'adhésion sociale et reposait sur un réseau de confiance. Les commerçants disposaient avec la monnaie de Crésus d'un étalon monétaire au sens le plus strict du terme. On a trop distingué entre monnaies métalliques et monnaies fiduciaires: la monnaie lydienne n'était pas devenue, parce qu'elle était en or "métallique", la monnaie des échanges internationaux dans l'ensemble économique formé par les empires mésopotamiens et la Grèce, elle l'était devenue, en tant qu'instrument de transaction et de compensation crédible et fiable: dans ces deux mots, il faut lire croyance et foi, concepts qui n'ont rien de métallique. Crésus en était la métaphore. Plus tard, on lira sur du papier-monnaie: "in God we trust".

A 3000 ans de distance, au-delà des technologies, les conditions de confiance et de croyance conférant leurs forces fiduciaires aux monnaies qui font qu'une monnaie est "crédible et fiable" sont de même nature.

L'or numérique vaut-il son "content" d'or?

On a vu que ce n'est pas l'or, pas seulement, qui a fait la valeur de la monnaie-or, mais la conviction que la monnaie utilisée dans les échanges était franche et loyale et que ces qualités tenaient autant au prince qu'à la chimie des métaux.

Comment dire cela du bitcoin? En fait, dans le cas précis de cette monnaie qui se réfléchit elle-même comme une rareté, il faudrait voir dans le minage et ses contraintes, en particulier la limitation en quantité, comme une sorte de mimétisme "tentatif". Or, pour que le bitcoin devienne une monnaie, on voit qu'il lui faut surtout rassembler deux éminentes qualités que les "monnaies-or" avaient jointes: la crédibilité et la fiabilité.

Concrètement cela veut dire que tout acteur économique, parti à une opération de compensation - décaissement d'une dette ou encaissement d'une créance -doit être convaincu que l'actif dans lequel il va transformer la dette ou la créance est équivalent à la valeur de cette dernière. C'est l'exigence de fiabilité. On n'imagine pas recevoir en contrepartie d'une créance, un actif dont l'existence est fragile, dont la valeur est volatile et dont le statut est contestable. Et si un filou peut rêver d'apurer ces dettes par ce moyen, un honnête homme craindra pour sa réputation, pour les opérations à venir, voire pour son statut d'homme libre!

Pour autant la fiabilité de la monnaie ne se soutient pas elle-même, on peut l'éprouver au sens de preuve et d'expérience. Elle ne prend de forme concrète qu'en tant qu'on y croit. C'est bien ce qu'on a voulu dire lorsqu'on a évoqué le fait que la monnaie-or ne tenait pas sa force d'un argument chimique et de celui-là seulement, mais d'arguments qu'on pourrait qualifier d'humains et dont on a dit qu'il était de l'ordre de la foi et de la croyance...

Dans ces conditions, on voit bien que singer l'or n'est pas la garantie du succès d'une monnaie numérique... le bitcoin donne bien l'impression qu'il a jusqu'ici voulu jouer des similitudes, en fait, jusqu'ici, il a surjoué une posture d'or numérique. D'où il ressort des résultats mitigés.

Prochain article: le bitcoin: les hauts et les bas d'une monnaie

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