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Émissions monétaires: une diversité méconnue?

On aurait envie de dire que, dans un monde de plus en plus global, l'unification des forces monétaires n'est pas rassurante.
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Lorsque on entend, dans un mouvement de créativité monétaire louable, qu'il devrait s'émettre deux types de monnaie euro, l'une pour le nord (solide et sérieux), l'autre pour le sud (fantaisiste et fragile), on sous-entend que les monnaies devraient être adaptées aux caractéristiques économiques, sociales, voire culturelles de leurs utilisateurs.

Ne serait-ce pas bien naturel? La monnaie, toute monnaie, n'est-elle pas le fruit de la croyance et de la confiance, ainsi qu'on n'a cessé de le montrer et de le répéter dans les articles précédents?

Il serait amusant de montrer que dans notre univers de monnaie unique, la zone euro, et dans l'univers en général des nations développées, la monnaie n'est pas vraiment unique, uniforme, universelle. Dans l'ordre des monnaies, n'existe pas une règle des trois «U»!

Ici, on fera un peu d'histoire et aussi de la «technologie».

Monétariser le crédit interentreprises

De tous temps, pour diverses raisons, dont celle de la liquidité, les entreprises se sont fait mutuellement crédit. C'est le crédit interentreprises. Deux techniques ont fait leurs preuves. L'une sur une petite échelle et une période de temps relativement brève: le Wir, créé en Suisse et qui fonctionne depuis 80 ans, au côté de la monnaie officielle, le franc suisse. L'autre, la lettre de change, dont l'existence européenne date des foires de Champagne aux 12e et 13e siècles et qui fut codifiée en France au courant du 19e siècle. Ces deux monnaies fonctionnent entre entreprises et naissent (plus correctement, on dira qu'elles sont émises) à l'occasion de leurs échanges. Elles permettent de retarder le paiement final dans la monnaie «officielle». Elles collent étroitement à la vie économique et à son rythme. Deux différences cependant: la lettre de change est limitée dans sa durée, et ce point a toujours fait l'objet d'une réglementation détaillée. Elle est matérialisée (de moins en moins) sous forme papier quand le Wir est une monnaie de scripturale, sans limitation de durée. Ces deux monnaies ne circulent qu'entre entreprises. Ce sont des moyens de paiement: elles sont remises à l'occasion d'une transaction et la concluent.

En France, pendant longtemps, le porteur (tireur) d'une lettre de change pouvait la transmettre par endos à une autre entreprise et régler des achats. Cette caractéristique la rapprochait étroitement d'une monnaie au sens traditionnel du terme.

Pour être complet, il faut indiquer que la lettre de change à la française pouvait être «changée» en monnaie scripturale à l'occasion du crédit dit d'escompte mis en place par les banques; ce type de crédit est demeuré longtemps un des fondements du crédit aux entreprises. La lettre de change a perdu une bonne part de ses vertus purement monétaires: elle a été progressivement cantonnée au statut d'instrument de paiement entre les deux entreprises qui l'ont émise, elle n'est plus à proprement parler un instrument monétaire entre entreprises. Le Wir, quant à lui, continue son existence de monnaie complémentaire. Son utilisation progressant dans les moments de crises et se réduisant dans les moments d'euphorie économique.

Les monnaies divisionnaires à la merci des puces

Que diable les cartes à puce font-elles aux côtés des pièces de monnaie (dites monnaies divisionnaires)? La réponse est là: dans un grand nombre de pays, en Europe et sur les autres continents, les cartes de paiement sont en train de détrôner les bonnes vieilles pièces avec la bénédiction des pouvoirs publics.

Il y a là des motifs fiscaux: les monnaies divisionnaires font partie de ce qu'on nomme vulgairement le «liquide», le cash, et sont au même titre que les billets soupçonnés d'être des supports de fraude fiscale.

Une autre raison tient au coût de production des monnaies divisionnaires: il est largement supérieur à la valeur faciale de ces monnaies et a longtemps pesé sur la production à la charge des «monnaies de Paris et autres lieux». Résultat paradoxal: dans les périodes troublées, ces monnaies en nickel, cuivre ou tout autre métal étaient thésaurisées et... disparaissaient de la circulation! La carence en monnaie divisionnaire a été un casse-tête de tous les temps.

Diverses solutions furent expérimentées: le caramel mou en Italie, les timbres-poste insérés dans de supports ronds en France (par la Société FYP, ou «Fallait Y Penser»!). On imposa à certaines institutions, chambres de commerce, syndicats de commerçants, voire même commerçants eux-mêmes, d'en assurer l'émission et la gestion. Ce fut le cas en France pendant une grande partie de la période dite d'«entre-deux-guerres».

Quel rapport avec les cartes bancaires? Simplement, celui-ci: dans la plupart des pays développés, un mouvement est lancé pour que le paiement par cartes soit substitué au paiement par piécettes. Jusqu'ici, les banques émettrices de ces cartes s'y opposaient en raison des coûts de traitement. Tout évolue, même les coûts de traitement, mais aussi, et surtout, les technologies de paiements. Celles-ci sont en pleine révolution depuis qu'elles ont été mises en contact avec la téléphonie mobile: arrivent maintenant dans la vie de tous les jours les paiements sans contact et paiements par cartes virtuelles. Les paiements «IP», qui utilisent les canaux de l'internet, viennent concurrencer les paiements cellulaires de la téléphonie sans fil.

Au fait, si ces technologies se développent à toute vitesse, est-ce vraiment pour résoudre enfin la problématique de la monnaie divisionnaire? En vérité, tous les paiements, les petits paiements tout autant que les gros, une fois captés, seront une très jolie source d'information sur les consommateurs, les produits consommés et les habitudes de consommation... Toutes informations que les paiements par monnaies fiduciaires et divisionnaires ne pouvaient capter. La monnaie divisionnaire sera enfin rentable!

À quand le paiement quantique?

L'euro est une monnaie sans cesse affublée du sobriquet «unique». On ne commentera pas sur ce que «un» implique dans les traditions occidentales, on dira qu'il peut paraître étonnant que la monnaie soit à ce point unique qu'elle permette tout «uniment» de faire face à la compensation de dettes et de créances en centimes d'euro, ou en milliards, toutes les dix minutes ou tous les centièmes de seconde.

Lorsque vous sortez vos piécettes (ou votre téléphone) pour régler l'achat d'une baguette de pain, au même moment un programme de trading à Londres vient de lancer une rafale d'opérations sur le mode High Speed Trading. Ce sont des milliards d'euros qui volent dans les circuits de fibres optiques, qui se compensent sur toute la planète et qui sollicitent violemment les systèmes bancaires internationaux.

Vivons-nous dans le même monde financier et monétaire que ces algorithmes: sûrement non! Il leur faut, pour exister, de puissants ordinateurs. Il les faut le plus près possible des marchés. Toute milliseconde gagnée se résout en millions d'euros de profits.

Mais si nous ne vivons pas dans le même monde financier et monétaire, d'où vient que c'est de la même monnaie qu'on débat? N'a-t-elle pas nécessairement changé de nature par le fait même de la quantité, de la vitesse et de la nature des transactions?

Ces questions sont-elles très au-dessus des préoccupations des citoyens de base? Pas du tout! Puisque c'est de la même monnaie qu'on discute, les garants finaux sont les citoyens de base. Les erreurs des combattants de la transaction «quantique» sont finalement payées par ceux-là qui raclent leurs poches pour faire l'appoint quand ils achètent des bonbons pour les enfants, ou qui tapent leur code instantané pour valider l'opération de paiement à distance via leur téléphone.

Il est un enjeu-clé dans le monde de la physique: «l'unification des quatre forces». En économie, on aurait envie de dire que, dans un monde de plus en plus global, l'unification des forces monétaires n'est pas rassurante.

Pascal Ordonneau, Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire, chez JFE éditions.

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Avril 2018

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