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Les temps de l'économie: entre banque centrale et courtier

Comment poser le temps de l'action économique des banques centrales et celui des investisseurs, spéculateurs ou banques de second rang publiques et privées?
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Comment poser le temps de l'action économique des banques centrales et celui des investisseurs, spéculateurs ou banques de second rang publiques et privées? Le débat sur l'action, les modes d'action et le volontarisme des Banques centrales a pris une dimension particulière avec le démarrage de la crise de 2008. Pour prendre l'exemple de la liquidité: les banques, en raison de la libéralisation des marchés et de la généralisation de la monnaie dite de banque ou monnaie scripturale, avaient réussi à se "passer" de banques centrales et à se placer "hors la Banque". Ce faisant, elles rompaient avec les habitudes anciennes de dépendance par rapport à la Banque centrale quand "les banques étaient dans la Banque" c'est-à-dire quand la liquidité du marché bancaire et des conditions de son accès lui appartenaient. Dans un contexte "hors la banque", la liquidité d'une banque ne dépendait plus que de l'opinion de ses consœurs et des instruments déployés sur les marchés.

Retour vers les Banques centrales?

La crise a fait faire un gigantesque bond en arrière à l'ensemble des banques du monde entier. La méfiance s'est instaurée entre banques, les doutes les plus virulents ont surgi entre elles quant à la qualité de leurs actifs et, par conséquent, des instruments leur permettant de recourir au marché de la liquidité. Doutant les unes des autres, les banques ne se sont plus prêtées. La liquidité s'est effondrée, la production de monnaie par les banques (c'est-à-dire la production de crédits) s'est considérablement ralentie.

Les banques sont revenues "dans la Banque" et les Banques centrales sont revenues "à la manœuvre": c'est de leur action que dépend de plus en plus la liquidité des agents bancaires et financiers. Elles ont, en rachetant elles-mêmes les instruments d'actifs des banques, contribué à éviter que la crise de liquidité se répande, que le rôle de prêteur à l'économie des banques se fige et que les banques ne se contentent plus que d'encaisser le remboursement des prêts consentis antérieurement. Elles ont ainsi évité que les banques deviennent des transmetteurs de déflation, car si le crédit crée les dépôts donc la monnaie, son remboursement a le résultat inverse: la pire des situations économiques possibles. Les Banquiers centraux ont eu à jouer un rôle essentiel pour éteindre un incendie nommé "crise de liquidité".

L'horizon économique et monétaire des banques centrales qui s'était vu marginalisé par rapport à la conception du temps économique propre aux acteurs privés du marché a retrouvé de son lustre.

Le temps aux horizons multiples

Dans un contexte français, en raison des connotations qui entourent le mot "trader", il vaut mieux évoquer le rôle des investisseurs et des hegde funds par opposition aux banquiers centraux. Les premiers considèrent les actifs comme des "objets de marchés" et s'efforcent d'en rationaliser les comportements "de marché" par opposition aux seconds qui agiraient selon d'autres critères et en s'appuyant sur d'autres ressorts que les marchés où les prix sont censés se former et les produits financiers censés résumer les économies et les sociétés "réelles".

La question centrale ici est celle de la production de valeur, ses modalités et sa "soutenabilité". Le souci d'un investisseur est, s'il croit que le mode de formation des prix sur les marchés est satisfaisant, de ne pas perturber les jeux en train de se faire entre les courbes de l'offre et celles de la demande. Si les conditions de leur fonctionnement ne sont pas perturbées, ces jeux-là ont l'avantage d'être modélisables, on peut tracer des courbes pour l'avenir, on doit pouvoir croire que les courbes du passé n'ayant pas été perturbées parleront pour le futur, etc... On doit pouvoir, sereinement fixer des paris, calculer des risques, ouvrir des positions ou les fermer. A partir de là, on peut donner au temps toute sa valeur ...

Les gouvernants, banques centrales et économistes fonctionnent dans une autre sphère de temps et couvrent un "champ économique" autrement plus large, qui comprend aussi l'économie des échanges qui ne donnent jamais lieu à prix! Il s'agit des biens et services gratuits, ou des biens et des prix subventionnés ou bien de ceux dont les prix sont fixés par les Etats. Il s'agit enfin du prix des biens et services fournis par des agents hors marchés, échappant à la fameuse rencontre de l'offre et de la demande.

Ce sont donc deux univers qui ne se superposent pas. Le temps n'y a pas la même dimension ne serait-ce qu'à l'égard de cette question clé: la production de valeur.

Valeur et temps économique

La divergence est donc de nature "essentielle" au sens que donne la philosophie à ce terme. Un investisseur (un courtier) résume l'économie et la production de valeur aux prix. L'économie est un théâtre où une chorégraphie subtile assure la rencontre permanente et univoque entre les courbes d'offre et de demande. Il ne faut surtout modifier le décor lorsque la "courbe-étoile" se lance dans toute une série d'entrechats délicats et fragiles. Il ne faut pas que le prix, sa formation, les conditions de ses projections, les rituels que la religion du "marché pur et parfait" impose, subissent la moindre distorsion. À défaut, les prix étant soumis à des pressions erratiques et insoutenables se comporteraient de toute autre manière que les programmes informatiques le prévoient. Les calculs futurs seraient fragilisés et avec eux tous les produits financiers qui tablent sur les prix pour conduire directement au profit.

Pour un économiste ou une Banque centrale ou, plus profondément, un gouvernement, l'économie n'est pas un théâtre, un cadre, une grille où par la vertu de la rencontre entre une offre et une demande, par la vertu du libre exercice des libertés économiques, le sort des agents se règle et, in fine, le sort des citoyens d'un pays ou d'un groupe de pays. L'économie est un univers où viennent s'entrechoquer, s'entremêler, s'entrecroiser des données du monde réel, social, démographique, scientifique, technique et culturel. C'est un univers nécessairement orienté. Il se déploie dans un devenir dont les termes ne sont pas assurés. Pour ceux-là, économistes, Banques Centrales ou gouvernements, il s'agit donc de rassembler tous les moyens disponibles pour que de la valeur soit créée, non pas au sens de la fixation instantanée d'un prix, mais au sens de l'accroissement durable du revenu disponible.

Les deux univers ne sont, nécessairement, pas étrangers l'un à l'autre, mais ils ne sont pas au même niveau. Caricaturons: l'investisseur (le courtier) doit se préoccuper des conditions les plus finement précises de la progression et de la trajectoire d'une voiture de course sur le circuit du Mans. L'économiste, le Banquier central, doit se demander si la présence du moteur sous le capot de la voiture de course lui est consubstantielle ou, au contraire, accidentelle et, dans cette dernière hypothèse, s'interroger sur le délai qui sera nécessaire pour qu'une voiture munie d'un moteur qui n'a pas encore été inventé puisse affronter les 24 heures du Mans!

Ces univers ne sont pas davantage étrangers dans le déni de leurs rôles et de leurs modes de fonctionnement: des courtiers qui s'entendent pour former des prix, c'est-à-dire qui s'arrogent le droit de modifier les conditions de fonctionnement des marchés sont à ce stade aussi malsains que les banques centrales qui se lancent dans une production effrénée, sans sous-jacent solide de billets de banque. Alors, les horizons de l'action économique convergent et les manipulations du Libor et du cours de l'or sont de la même eau que les hyperinflations démentielles du type de celle du Zimbabwe.

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

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