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La technologie change-t-elle la monnaie?

La révolution monétaire pourrait venir des utilisateurs, c'est-à-dire de la demande.
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Lorsqu'on s'intéresse aux monnaies «cryptées», il faut pénétrer dans un saint des saints: celui des algorithmes, celui du cryptage dont on sait qu'ils gouvernent maintenant l'ensemble du monde connecté. Il faut aussi se pénétrer des questions qui concernent la vitesse de transmission des données. Enfin, il faut faire une incursion en direction de la façon dont les réseaux de données sont connectés ou interconnectés, en toile ou en étoile... On terminera par ce qui commence à devenir l'essentiel: le Big Data. Autant dire que très vite, l'amateur se sent un peu poussé vers la porte de sortie. Les débats sérieux se font entre spécialistes de domaines planant largement au-dessus du niveau de compréhension moyen du public cultivé.

C'est que trop souvent on mêle dans le même débat la question des moyens et celle des fins. Parce que certaines opérations financières sont fondées sur la rapidité des transactions et parce que cette rapidité a conduit à des raffinements technologiques de plus en plus poussés, on a pu entendre quelques commentateurs fantasmer sur une monnaie quantique! Il faut se pénétrer de l'idée qu'il n'existe pas plus de monnaie quantique que de monnaie-papier, au sens où celle-ci serait un sous-produit technique de l'industrie papetière. Il n'y a pas de monnaies dont la naissance, la reconnaissance et la légitimité sont venues de technologies particulières et de leur progrès. On l'a montré dans les articles qui précèdent: la monnaie est une affaire de croyance et de confiance et c'est dans cette limite qu'on doit juger des rapports entre technologie et monnaie.

Progrès technologiques contre billets et chèques

Les révolutions monétaires et bancaires sont relativement rares. Ces derniers temps voient pourtant la chose monétaire, et donc la chose bancaire, secouées vigoureusement.

On ne reviendra pas sur l'essor du chèque, sa cohabitation de longue haleine avec le billet de banque. On ne débattra pas ici des récentes mesures prises par les Danois, qui ont décidé de proscrire le paiement en cash, en billet de banques pour dire le mot précis, dans pratiquement toutes les situations de paiement pour l'ensemble des agents économiques. Il est certain qu'une décision de ce genre, qui consiste ni plus ni moins à passer d'une technologie de paiement à une autre, repose sur l'accès banalisé à des processus de traitement opérationnels totalement informatisés. L'ensemble des moyens disponibles développés sur les 30 dernières années ont rendu le billet de banque obsolète sur un plan purement industriel, celui des processus de compensation des dettes et des créances.

Cela signifie-t-il que le chèque va enfin monopoliser les paiements? Sur le plan «industriel», le chèque tout autant, presque davantage que le billet de banque, est devenu une plaie pour les usines à compensation que sont les banques. En langage «organisationnel», on dira qu'il est la source de très nombreuses ruptures de charges physiques et techniques.

Le traitement des chèques et des billets de banque correspondaient à un stade technologique de l'industrie bancaire où la mécanographie avait permis la mise en place «d'atelier» voire «d'usines», à une époque où la main d'œuvre n'était pas coûteuse et où des compétences de base avaient été rendues disponibles grâce au développement du niveau de formation scolaire. L'irruption de l'informatique dans les traitements comptables puis opérationnels des banques en a changé la dimension. Les progrès dans le traitement des données et la circulation de l'information ont eu pour conséquence la mise en place de processus industriels économisant ces ruptures de charges. En conséquences: haro sur le chèque aussi et, pour des raisons similaires, il est dépassé sur le plan des technologies de circulation de la monnaie.

Aux Français, grands utilisateurs de chèques, n'opposons pas les Allemands qui ont toujours préféré le virement (Giro). Sur le plan technique cela ne change pas grand-chose: le Giro, tant que l'informatique à distance ne s'y est pas mise, c'est du papier qu'on envoie à sa banque au lieu de papier qu'on envoie à son créancier! Par quoi ces bonnes vieilles techniques, les billets, les chèques, les virements seront-ils remplacés? La question est mal formulée. Il vaut mieux proposer celle-ci: si les changements technologiques condamnent certains modes de paiement, conduisent-ils vers de nouvelles formes de monnaies?

Les «innovations» bancaires et non bancaires sont-elles innovantes ?

Les évolutions technologiques qui se succèdent depuis plus de trente ans n'ont pas changé mais conforté et étendu la conception traditionnelle de la banque et de la production de monnaie. La banque à distance, qui a remplacé le guichet de banque par le téléphone, n'a rien changé aux principes fondamentaux de la production monétaire.

Il en est de même, contrairement aux apparences, des techniques de cartes de paiement qu'elles se soient vues ou non augmentées de propositions de crédit ou d'autres services. L'essor du système des cartes de paiement a laissé à penser qu'une monnaie nouvelle était née: la monnaie électronique. Dans les faits, il s'agissait d'un nouveau mode d'automatisation des opérations bancaires de paiements. Elles demeuraient les mêmes, seul changeait le medium.

Quand on reprend la définition de la monnaie électronique selon la loi de 2013, la monnaie électronique est une monnaie classique: «une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement définies...» et un peu plus loin précise: «chacune des unités de monnaie électronique ne peut être émise que pour une valeur nominale égale à celle des fonds collectés en contrepartie».

En d'autres termes, si vous apportez des billets de banque pour «reconstituer» votre «portefeuille électronique», vous ne transformez pas les premiers en une nouvelle monnaie qui pourra avoir une autre valeur.... Ainsi définie, la monnaie électronique est un avatar de la monnaie de banque et même des billets de banque: seule la «façon» change. Elle ne ressemble surtout pas aux monnaies cryptées de type bitcoin, dont la valeur peut varier par rapport à leur prix d'achat et qui ne représentent pas de créances... sur qui que ce soit (apparemment).

Arrêtons-nous un instant sur ces fameuses monnaies électroniques... À leur aune, que sont les PayPal et autres intermédiaires en financement ? Que seraient des monnaies Google, Apple ou Amazon? PayPal, pour prendre cet exemple, parce qu'il est partout, interpelle au sens où la formule proposée repose sur un démembrement subreptice de la fonction monétaire. Pas un gros démembrement et, somme toute, sur une partie encore limitée de la circulation monétaire, mais un démembrement quand même important sur le plan conceptuel: la proposition de PayPal réside dans la sécurité, problème éternel du paiement à distance qu'il s'agisse du transport de pièces d'or ou de la transmission d'instruction de paiement à distance. Le démembrement dont on parle ici résulte du découplement entre le support monétaire et sa fonction de transaction. Or, c'est une des pierres angulaire de la théorie traditionnelle des trois missions de la monnaie.

Le rôle des intermédiaires «en sécurité» que veulent assumer de grands prestataires «informatiques» est peu ou prou un coup de canif donné aux banques et à leur métier traditionnel: émettre la monnaie de banque, en garantir le rôle de compensation des dettes et des créances, la sécuriser. Ce serait secondaire pour quelques commentateurs. C'est à mon avis essentiel, car c'est aussi par ce biais que les monnaies cryptées viennent rudoyer le monopole bancaire.

Les technologies qui se sont empilées depuis près d'un demi-siècle n'ont pas changé grand chose à la conception traditionnelle de la monnaie, celle qui émane de l'offre. La révolution monétaire pourrait venir des utilisateurs, c'est-à-dire de la demande.

Pascal Ordonneau, Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire, chez JFE éditions.

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