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L’idéal du bitcoin part en morceau

Chacun saura faire sa religion, mais certains critiques se demandent si le «bitcoin révolutionnaire» n'est pas devenu «bitcoin collabo».
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Une collection de jetons bitcoins, une monnaie virtuelle.
Benoit Tessier / Reuters
Une collection de jetons bitcoins, une monnaie virtuelle.

«Il est passé par ici, il est passé par là», cette comptine enfantine pourrait être appliquée au bitcoin et à ses cours valseurs.

On laissera de côté la sombre question de la formation des prix sur le marché des cryptomonnaies, dont tout le monde convient qu'elle représente une étonnante démonstration de manipulation. Il suffit pour s'en convaincre de regarder les cours tels qu'ils se forment de minutes en minutes et on aura compris.

Notre argumentaire porte sur l'un des aspects essentiels de la doctrine des «cryptomonnaies», en général et du «bitcoin», en particulier: la liberté et ses corollaires, l'indépendance et l'ouverture. Nous démontrerons dans les prochaines lignes que, en dehors de quelques excités de l'idéologie libertarienne, le bitcoin et finalement toutes les monnaies cryptées abandonnent leurs postures «nous ne devons rien à personne d'autre que nos fans; personne ne pourra se mettre en travers de notre chemin».

L'indépendance du bitcoin est une plaisanterie économique

Comment peut-on sérieusement soutenir l'idée du bitcoin né contre les banques et créé pour rendre la monnaie au citoyen spolié, quand tout montre que l'économie du bitcoin est complètement dépendante.

Si on voulait une comparaison: le bitcoin serait une sorte de grand-duché du Luxembourg. Ce dernier est évidemment indépendant. Tout, dans les traités européens, l'affirme. Il n'en demeure pas moins que le grand-duché est une puissance économique qui dépend de ses voisins pour l'essentiel: approvisionnement énergétique, alimentaire, fourniture de services technologiques, etc.

Le bitcoin dépend .... de ses mineurs. Et il se trouve que les mineurs sont de plus en plus concentrés dans des zones sensibles! Les 2/3, si ce n'est davantage de la capacité du minage dans le monde est localisé en Chine. Imaginez un instant que les Chinois décident non pas seulement de restreindre le développement du minage dans leur beau pays, mais l'interdisent et décident avec autorité de fermer tous les centres «miniers» de crypto-monnaies. Il n'y aurait quasiment plus de bitcoin (et pas seulement eux). Un peu comme si les pays de l'OPEP lançaient un embargo total sur leur production de pétrole et de gaz. Comparaison, reconnaissons-le, n'est pas raison: le pétrole et le gaz servent à quelque chose, le bitcoin ne sert à rien, comme l'a récemment posé une étude de l'UBS.

Bien sûr on me rétorquera que cette interdiction de miner en Chine serait un bien: l'énergie nécessaire à ces activités de minage provient de la mise en service de mines de charbon, et pas du meilleur, avec tout l'impact «gaz à effet de serre» que cela représente. C'est une version euphorisante, si ce n'est que la «liberté» des bitcoiners suppose qu'ils soient approvisionnés en matières premières: ordinateurs, réseaux et surtout, surtout électricité. Jusque-là, les bitcoiners se comportaient «librement» comme des «tapeurs», comme les gens qui s'avisent que le beau cours d'eau qui passe à côté d'eux pourrait faire un beau barrage et qui passent de l'idée à l'action, sans se demander si les utilisateurs en aval en souffriront. Quand on est libre, ouvert et partagé, on ne se pose pas des questions aussi triviales.

Les conséquences se sont vite fait sentir dans la plupart des pays producteurs d'énergie qui, à force de constater ce comportement de prédateur égotique, posent des règles d'emploi de plus en plus strictes, d'autant plus qu'une «ferme de minage», c'est beaucoup d'électricité consommée avec zéro emploi créé.

Le rêve de Thoreau est bien loin, son installation à Walden devenant de plus en plus coûteuse, il en serait vite revenu.

Mais le pire n'est pas là et les mânes de Thoreau qui, déjà, souffrent de cette dérive économique, souffrent bien plus de la dérive des principes.

Les États au secours du bitcoin

Si on voulait démontrer que le bitcoin et ses principes sont une vaste pantalonnade, les récentes appels au secours du bitcoin, en serait la parfaite illustration.

L'histoire des ETF (Exchange Traded Founds) et de l'entreprise des jumeaux Winkelvoos est emblématique: pour que leur portefeuille en bitcoin, «billionnaire» - pour reprendre le grand mot à la mode des États-Unis -, puisse se propulser vers les sommets que leurs amis et affiliés attendent: 25 000$ fin 2018, 50 000 un peu plus tard et 500 000, parce qu'il faut bien se donner des objectifs ambitieux, il faut que la technique des ETF à laquelle les bourses américaines sont habituées, soit autorisée par la SEC (Securities and Exchange Commission).

Cela devait être une promenade de santé à la fin de l'année 2017. Tout était dans la poche. La mise en place des ETF sur bitcoin devait être précédée de la constitution d'un stock de bitcoin entre les mains des intervenants. (Des investisseurs «billionnaires», pas les ploucs, «libertaires et indépendants» à petits moyens). Aussitôt dit, aussitôt fait, les jumeaux s'employaient, ainsi que quelques fonds spéculatifs (hedge funds) à bâtir cette réserve... et par la même occasion faisaient exploser les prix.

Pas de hausse des cours du bitcoin et des autres cryptomonnaies sans intervention favorable d'un organisme régulateur dépendant.

Hélas, la SEC ne prit pas position, et les cours s'effondrèrent. Quelle conclusion en tirer? Pas de hausse des cours du bitcoin et des autres cryptomonnaies sans intervention favorable d'un organisme régulateur dépendant, comme tous les organismes régulateurs, du souverain (lequel n'a pas envie de déléguer sa mission à un algorithme: tiers de confiance il est, tiers de confiance il demeure).

Étonnante confusion: voilà une monnaie qui ne repose sur rien, dont les performances techniques sont, au mieux, lamentables, dont la valeur fluctue sans cesse de 100 à 20 puis à 40 pour retourner à 15, qui se déclare monnaie révolutionnaire, annonçant la mort des banques et de toutes les institutions qui se croient «gestionnaires» de l'économie, de la finance et de la monnaie). Et voilà que cette monnaie aurait besoin d'un coup de main de ces dernières pour atteindre ses objectifs. Cette façon de se prosterner devant le souverain et ses sbires est surprenante!!!

Le pire est la plainte qui monte dans les milieux «bitcoin». Songez un peu à cette déclaration d'un des gourous français, fustigeant le rapport Landau commandé par la Banque de France sur la question des monnaies cryptées et appelant ladite Banque de France à ne plus faire obstacle à l'expansion inévitable, nécessaire et séculaire des monnaies cryptées. Voilà que les choses deviennent claires: le bitcoin, comme toutes les monnaies cryptées, a besoin des souverains. Libre, le bitcoin? Libertarienne, sa doctrine? À condition que les pouvoirs établis s'en mêlent et donnent les autorisations nécessaires et définissent les règles d'usage, les conditions selon lesquelles la promotion du bitcoin peut être faite, etc.

L'apothéose vient lorsqu'un des gourous se lancent dans cette merveilleuse profession de foi: pas d'indépendance de la Catalogne sans bitcoin. En somme, l'État Catalan mettrait en place, pour monnaie de l'indépendance, une monnaie bitcoin. Jusqu'au jour où, la trouvant peu efficace et trop fluctuante, il poserait des règles de fonctionnement strictes, envoyant promener les grands principes libertariens auquel il n'a jamais adhéré.

Que conclure des errements de la liberté, de l'indépendance et de la distribution? Chacun saura faire sa religion, mais certains critiques se demandent si le «bitcoin révolutionnaire» n'est pas devenu «bitcoin collabo».

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