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Les «natifs du numérique» n'existent pas

Ce mythe des, son succès médiatique et le fait qu'il se soit imposé comme une évidence semblent révélateurs des vertus magiques qu'on prête hâtivement aux technologies.
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Les jeunes de 2016 sont-ils différents des adultes ayant la charge de les éduquer? Chercheurs et journalistes proposent maints slogans prenant valeurs de concepts. Ainsi, on évoque la «génération Y», l'«app generation», les «natifs du numérique» (qui s'opposeraient à leurs parents et à leurs profs, «immigrants du numérique»), ou encore la «Net Generation».

Ces expressions sont-elles de simples métaphores médiatiques ou saisissent-elles de vrais changements générationnels?

Les (très) jeunes seraient porteurs de capacités, de connaissances et d'une dextérité qui feraient cruellement défaut à leurs aînés. Les choses existent quand on les nomme, et cette scission générationnelle est née avec le concept de digital natives énoncé par le psychologue américain Marc Prensky en 2000. Le slogan et cette bipartition a fait (sa) fortune.

Le génie de cette proposition, c'est à la fois sa simplicité et son manichéisme. En clair, il nous dit : «vous, les parents, vous êtes comme cela, et vos enfants sont ainsi». Il y a une vraie différence, et celle-ci permet de tout comprendre des manières d'agir et de penser des uns et des autres, puisque des codes mentaux et comportementaux nouveaux ont été intégrés par les jeunes.

Marc Prensky partait du principe que, par rapport aux adultes, les jeunes sont bien plus à l'aise dans le monde des nouvelles technologies. Constat d'évidence. Un zeste de sciences cognitives plus loin, il affirme aussi que les nouvelles technologies n'activent pas les mêmes régions du cerveau que la lecture de livres. Et ce cerveau évoluerait actuellement comme jamais sous l'effet des technologies, de la même façon qu'il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu'on est passé de l'oral à l'écrit.

Les observateurs mentionnent aussi une précocité de l'autonomie relationnelle grâce aux technologies de l'information et de la communication (TIC).

Et l'environnement socioculturel? Et l'accompagnement? Et les stratégies des adultes, induisant, orientant, interdisant? Ils sont systématiquement zappés par nos «grands penseurs», qui considèrent que l'interface met en scène un outil (forcément mirifique et paré de toutes les vertus pédagogiques) et un enfant (attentif, ouvert, intelligent, ayant des prédispositions innées à se cultiver et à agir sur le monde grâce à cet outil).

Idéalisation d'une situation ne résistant pas à une mise en contexte raisonnable.

En fait, ces penseurs reconnus et médiatiques, sachant bien marketer leurs idées, réinventent là l'eau chaude. Puisque les révolutions qu'ils découvrent et décrivent sont en fait, pour le dire savamment «McLuhaniennes». Et pour cause, ces bouleversements sociaux et comportementaux in(tro)duits par les médias ont été fort bien décrits dès les années 1960 par le canadien Marshall McLuhan, théoricien visionnaire des médias, qui expliquait dès 1964 que finalement «nous façonnons des outils et ces outils à leur tour façonnent notre esprit». Car selon Mc Luhan, «le message, c'est le média». Et les outils façonnent notre perception de la réalité.

En tout cas, la question des digital natives et de l'appropriation supposée innée et «naturelle» des nouvelles technologies par les jeunes ne doit pas être naturalisée ni généralisée. C'est une évidence de rappeler que d'être connecté dès le plus jeune âge ne garantit pas une utilisation pédagogique optimale des techniques, pas plus qu'elle ne dote d'un regard critique et distancié sur leurs utilisations. Beaucoup de jeunes se contentent de consommer les services Internet tels qu'ils leur sont proposés par l'industrie, sans aucun regard critique. Est-ce faire scandale que de l'affirmer ainsi? En clair, on revient à la question de l'environnement socioculturel de l'utilisation des TIC. C'est le contexte qui donne son sens à ce qui se donne (à voir ou lire) en ligne.

Le mythe des digitial natives repose sur une généralisation hâtive et même largement abusive : tous les enfants nés dans une société colonisée par les TIC ne possèdent pas forcément tous les mêmes aptitudes initiales. Donc, les digital natives n'existent pas, si l'on signifie par cette expression qu'une génération dotée d'un cerveau «différent» serait capable de réaliser des choses impossibles pour leurs aînés, par la seule grâce du contact quotidien avec des TIC.

Seuls existent des jeunes connectés, voire très connectés, qui utilisent tantôt les TIC pour des passions générationnelles (réseautage, jeux en ligne) dont ils n'ont d'ailleurs pas l'exclusivité, soit pour des finalités (culturelles, documentaires, pédagogiques) induites par un environnement. Mais ce concept de digital natives, son succès (médiatique) et le fait qu'il se soit imposé comme une évidence semblent révélateurs de l'importance donnée aux technologies dans nos sociétés, et aux vertus magiques qu'on leur prête hâtivement.

Dernier ouvrage de Pascal Lardellier : Génération 3.0, Enfants et ados à l'ère des cultures numérisées, EMS, 2016.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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