Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Ferguson, le «Grand Jury»: l'anti-chambre du procès... ou pas

Composé de jurés (entre 12 et 23 selon les Etats) désignés par un juge pour une certaine période et non pour une affaire en particulier, le Grand Jury se réunit sur tous les cas qui lui sont soumis pendant sa "période d'astreinte".
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Composé de jurés (entre 12 et 23 selon les Etats) désignés par un juge pour une certaine période et non pour une affaire en particulier, le Grand Jury se réunit sur tous les cas qui lui sont soumis pendant sa "période d'astreinte".

Le rôle du Grand Jury n'est pas de se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence du mis en cause mais de dire s'il existe suffisamment d'éléments de fait et de droit pour qu'une "personne raisonnablement intelligente et prudente croit que le mis en cause a commis le crime dont on l'accuse". L'objectif initial était d'utiliser le Grand Jury comme un bouclier contre les inculpations injustifiées et d'assister le procureur dans la recherche et l'analyse des éléments de preuve.

Pour cela, le Grand Jury dispose d'un pouvoir d'enquête. Il peut demander des actes, il entend le mis en cause et les éventuels témoins et experts, il étudie les pièces qui lui sont soumises par le procureur mais aussi celles qu'il estime éventuellement utiles à sa prise de décision. C'est ainsi que des pièces qui seraient irrecevables dans le cadre du procès sont admises devant le Grand Jury.

Il décide à la majorité de ses membres et peut ainsi se prononcer pour ou contre le renvoi du mis en cause devant le tribunal. C'est exactement la procédure qu'avait suivi Dominique Strauss-Kahn à New-York.

Ce système est régulièrement critiqué dans la mesure où:

-Les avocats de la défense sont, la plupart du temps, absents;

-Le procureur a la charge de présenter le dossier criminel et décide lui-même des pièces qu'il produit (bien que le Grand Jury puisse faire des demandes spécifiques). Il peut choisir de toutes les présenter ou pas;

-Les jurés ne sont pas des professionnels du système judiciaire et ont tendance à suivre les réquisitions du procureur dans un sens ou dans un autre;

-Le Grand Jury entend les témoins et le mis en cause mais il n'y a pas de phase de "contre-interrogatoire" ("cross-examination"). Les seules questions posées sont celles du procureur et des jurés.

Les contempteurs du Grand Jury affirment que ce qui était à l'origine la traduction du bon sens en action est devenu un instrument au service du procureur.

Le drame de Ferguson

Concernant l'affaire Michael BROWN dans laquelle le Grand Jury a estimé qu'il n'existait pas de preuves suffisantes pour poursuivre Darren Wilson, il est acquis que ce dernier - officier de police - est l'auteur des coups de feu qui ont causé la mort de M. Brown.

Le rôle du Grand Jury a été de chercher à connaître les conditions de ce drame, si les tirs étaient justifiés (dans le cadre d'une légitime défense par exemple) ou s'il existait des éléments raisonnablement suffisant en fait et en droit pour croire qu'une infraction criminelle avait été commise (homicide volontaire, assassinat...).

Au cas particulier, 60 témoins (dont des experts en médecine légale et en arme à feu) se sont succédés devant le Grand Jury qui s'est réuni à 25 reprises en trois mois.

Nombre de témoignages étaient contradictoires entre eux ou avec les constatations physiques faites sur le terrain. Certains témoins ont finalement reconnu n'avoir rien vu ou avoir modifié leur témoignage en fonction des détails sur l'autopsie publiés par la presse. Et cela, en faveur ou en défaveur du policier. Ainsi au moins une femme a témoigné en faveur du policier avant d'être écartée par le procureur pour avoir reconnu qu'elle n'aimait pas les noirs. Un autre témoin a affirmé avoir vu D. WILSON tirer dans le dos de M. BROWN alors que l'autopsie montrera que toutes les balles l'ont atteint au visage ou à la poitrine.

Ces nombreuses incohérences et contradictions ont pesé en faveur du mis en cause.

Plusieurs milliers de pages de procès-verbaux, déclarations, rapports d'expert, photographies ont été soumis au Grand Jury, soit la totalité des éléments recueillis par le procureur. Il n'y a donc apparemment pas eu de tri préalable afin de ne faire ressortir que les éléments à décharge (c'est-à-dire en faveur de D. WILSON). A telle enseigne que la famille de la victime conteste le déroulé des audiences du Grand Jury et parle de "document dump" que l'on peut traduire par une "décharge à papier", estimant que le nombre très (trop) important de documents a pu submerger les jurés et les éloigner des points essentiels.

Le racisme en arrière-plan?

Autre motif de colère pour la famille de la victime et de nombreux manifestants à travers tout le pays: le fait que sur 12 jurés, seulement 3 étaient noirs alors que la ville de Ferguson, Missouri, est noire à plus de 70%. C'est un fait. Pour autant, le Grand Jury doit être représentatif du Comté et non de la ville dans laquelle les faits se sont déroulés. Or le Comté de Saint Louis dont dépend Ferguson est blanc à 69%. Par ailleurs, rien ne laisse penser que la décision prise par les jurés ait été fondée sur des critères raciaux.

À ce titre, en juin 2013, un Grand Jury du Comté de Travis au Texas avait également décidé de ne pas poursuivre un policier blanc qui avait tiré sur un jeune noir de 20 ans et causé sa mort alors qu'il était passager d'une voiture et non armé.

Ce Grand Jury était composé de cinq noirs, trois hispaniques, trois asiatiques et un blanc.

Tous ces faits divers tragiques ne sont pas réductibles à la couleur de la peau.

En revanche, un autre danger à ne pas sous-estimer existe. Il ne réside peut-être pas tant dans la réalité d'une décision qui aurait été prise sur des critères raciaux (ici, on ne le saura probablement jamais et rien ne permet de le penser) mais plutôt la perception de cette décision au sein de la population. Les émeutes, tant l'été dernier que depuis la décision du Grand Jury, laissent peu de place au doute.

La suite?

Dans cette affaire, le Grand Jury a décidé de ne pas engager de poursuites contre D. Wilson mais cela ne signifie pas que le dossier soit définitivement clos.

Une enquête interne de la police de Ferguson et une enquête fédérale sont encore en cours.

En outre, le procureur - qui, comme en France, a l'opportunité des poursuites - pourrait parfaitement décider de renvoyer le policier devant une juridiction de jugement, nonobstant la décision du Grand Jury, s'il estime son cas suffisamment solide.

Il pourrait.

En théorie.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.