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Sur le chemin du Compostelle québécois: Sainte-Brigitte-des-Saults à Nicolet (6)

Vu le parcours qui nous attend, le plus exigeant avec 31 km, nous avons opté pour la formule « levés avant les poules », ou aux aurores si vous préférez. 5h... À cette heure matinale, le monde est pas bavard, la mâchoire grince et les cheveux ont peur du miroir.
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Jeudi 4 septembre - Sainte-Brigitte-des-Saults à Nicolet : 31 km.

Aujourd'hui, ma nièce Emma a fêté ses 13 ans. Je la revois encore bébé. Le temps passe trop vite... (séquence nostalgie).

À peine l'étape du jour terminée, je lui ai adressé un message via Facebook. La réponse n'a pas tardé. Elle en a profité pour dire qu'elle était fière de son tonton randonneur, tonton qui commençait à regarder avec plus d'attention les ongles de ses gros orteils, lesquels étaient en train de virer au bleu, un bleu tirant sur le violet. Leurs jours semblaient comptés, et je me préparais à l'éventualité de leur dire adieu... (séquence Titanic).

compostelle quebecois 6

Au départ de Sainte-Brigitte-des-Saults, à la fraîche...

Je ne pensais me lever si tôt. Je me demande même si je ne suis pas en train de me coucher. 5h, on n'a pas idée ! Jean-Pierre pense la même chose. Vu le parcours qui nous attend - le plus exigeant avec 31 km - et considérant que la chaleur humide annoncée sera moindre en matinée, nous avons opté pour la formule « levés avant les poules », ou aux aurores si vous préférez. 5h... À cette heure matinale, le monde est pas bavard, la mâchoire grince et les cheveux ont peur du miroir. À 6h, on passait à table, et 45 minutes plus tard, nous étions parés pour de nouvelles aventures.

Sur notre radar : Nicolet. Inconnu au bataillon pour ma part. La promesse de chambres individuelles et de douches, autant dire un excellent remontant alors que beaucoup appréhendent cette étape marathon. Une fois n'est pas coutume, je m'élance dans le peloton de queue. Tranquille, détendu du quadriceps. Je commence par prendre quelques photos. Je pense qu'une partie de moi est restée figée en position horizontale. J'avais dans l'idée de faire un break dans ma cadence de spartiate. Ça n'a pas duré longtemps. Chassez le naturel, il revient au galop !

Petit à petit, je refais mon retard sur les marcheurs qui me précédent. Un peu comme sur le Tour de France, mais sans les vélos et les cols surréalistes à franchir. Au meilleur de ma foulée, je finis par atteindre un rythme moyen de 7 km/h, ce qui est pas mal quand on doit se coltiner un sac de 12 kg sur le dos. Je ne sais pas pourquoi, mais je plane sur l'asphalte. Peut-être cette musique dans les oreilles qui me donne du cœur à l'ouvrage ? À tel point qu'à la première halte, je compte un bon 45 mn d'avance sur mes premiers poursuivants. Je suis en mode gazelle... J'en profite pour relaxer, pieds nus dans l'herbe encore humide de la rosée matinale. Le genre de moments qui remplissent l'armoire des petits bonheurs de la vie, surtout quand vos pieds gonflés par trop d'effort quémandent leur écuelle d'air frais avec insistance. Ensuite, je m'allonge sur une grande table de pique-nique en bois, située en bordure de rivière, pour une micro sieste réparatrice et bienvenue. Une fois le groupe au complet, il est temps pour moi de repartir, sans perdre ce rythme soutenu qui me surprend moi-même. Je sais, ça fait un peu solitaire, mais je carburais au super, sans trop savoir pourquoi ni comment...

Comme la veille, la marche est bucolique, campagnarde. Seul bémol : l'absence d'ombre sur la presque totalité du trajet, alors que le soleil a sorti la matraque et que le bitume accentue la moiteur ambiante. Pour le reste, c'est que du bonheur. Je m'enivre du décor champêtre tout autour de moi, avec son odeur de purin - entre lui et les gaz d'échappement, mon cœur ne balance pas - et toutes ces images d'Épinal relatives à la vie côté champs, rythmée par le va-et-vient des tracteurs durant la période des moissons... et de ces animaux curieux, je pense aux chevaux et autres bovins qui trottinent à votre rencontre, en quête d'une caresse, ou comme s'ils voulaient vous saluer et vous encourager. Bref, tout ce qui fait le charme et la singularité de cette ambiance rustique qui nous tire par le nez... Quand un équidé s'approche de l'enclos, je prends toujours plaisir à le flatter et à plonger mon regard dans le sien, avec cette drôle d'impression d'être en conversation avec l'animal. Tout aussi agréable est le contact de ma main au-dessus des naseaux. Un geste censé apaiser ou réconforter la bête, et qui finit par vous apaiser vous-même, comme si ces rencontres fortuites avaient été pensées pour vous remplir d'une énergie nouvelle.

compostelle quebecois 6

Mon gros sourire de la journée : ce troupeau de vaches que j'ai extirpé de sa léthargie, sans que je comprenne pourquoi. Elles se sont levées de concert en me voyant approcher de leur enclos. Elles devaient être à une centaine de mètres de moi. Quand je les ai aperçues, la plupart tuaient le temps en ruminant... Certaines avaient l'air factices, tellement elles semblaient immobiles. Je marchais d'un pas alerte, et subitement, l'une d'elles a sonné la charge de son trot contagieux. Ses copines ont embarqué, sur le même rythme. On aurait dit que, sevrées de sexe depuis trop longtemps, elles sautaient sur le premier venu. C'est con une vache.

Autre grand plaisir : ma solitude sur la route, sur cette immense ligne droite (encore !) où je marche à contresens. J'occupe toute la voie de gauche, dépliant parfois mes bras comme si j'allais m'envoler, un léger vent me rafraîchissant l'épiderme. Je suis seul au monde, dans cette campagne encore assoupie. La mer est grise et le bitume ondule sous mes pieds. Je suis euphorique de cette ivresse soudaine, réduite à sa plus stricte intimité... À ce moment précis, je suis prêt à traverser le Canada d'est en ouest, grisé par le silence, réconforté par la solitude, celle-là même qui a forgé une partie de mon caractère de loup sans sa meute. Quand on y prête vraiment attention, on s'aperçoit que le mutisme environnant est un leurre. Il s'instaure comme un monologue avec soi-même. Un voyage dans son for intérieur, en laissant dans son sillage le souffle encore tiède du passé. À force de marcher, on fait abstraction de pas mal de choses. On est alors sur la bonne voie, sur ce chemin - el camino vous diront les habitués de Compostelle - qui prend sa source dans vos chaussures pour finir sur le promontoire de vos pensées. On prend la main de l'essentiel, en laissant sur le bas-côté bien des futilités. À chacun sa quête, à chacun ses réponses...

Après 5h45 d'effort (5h30 si je n'avais pas fait deux détours), je touche enfin au but, lessivé. Comme souvent, le dernier kilomètre m'a paru une éternité. La peau du visage, des avant-bras et des mollets un peu plus sombre, mais le sourire intact, après tant de grimaces. Le bonheur de se sentir vivre à travers le dépassement de soi ou la souffrance. Chaque arrivée est une victoire qui vient remplir un peu plus le réservoir de la confiance ou de l'estime de soi.

Le souper à la cafétéria du séminaire, avec un menu varié et généreux, est arrivé à point nommé pour nous revigorer, tandis que les douches nous ont ressuscités, si je puis dire en pareil endroit. La fatigue devenant plus forte, avec son lot de courbatures inévitables, certains ont répondu aux sirènes tentantes de Mister Advil, qui fait des merveilles.

Quant à moi, je crois que je deviens accro à la marche XXL. Je suis vérolé, j'ai parfois des fourmis dans les jambes. Je comprends mieux l'accoutumance de mes parents à ce sport accessible et si vivifiant. Cette randonnée décuple ma soif de défis. Je veux aller plus loin, empiler d'autres distances. J'en suis certain : il y aura d'autres évasions de cette envergure sur mon calendrier d'homme libre.

La force est avec moi, le "camino" aussi...

À lire mardi: Nicolet à Cap-de-la-Madeleine.

Ce billet a été initialement publié sur le blogue d'Olivier Pierson, L'écriturien

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