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La Libye plongée dans le chaos post-Kadhafi

Le colonel Kadhafi avait réussi, au prix d'une dictature sévère, à imposer la stabilité intérieure dans un pays mosaïque aujourd'hui menacé de fragmentation.
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Alors que les hordes de l'organisation État islamique progressent inexorablement sur le territoire libyen, les négociations entre les deux gouvernements libyens organisées sous l'égide des Nations unies semblent marquer le pas.

Quatre ans après la destitution du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, la Libye est plongée dans la chaos. Le Parlement et le gouvernement élu ont été forcés de fuir pour les villes éloignées de Tobrouk et de Beïda après que les milices liées aux groupes islamistes se soient emparée de Tripoli, la capitale libyenne, en 2014.

Il y a peu, l'État islamique s'est emparé de la ville côtière de Syrte, située à 430 kilomètres de Tripoli. Et du reste, l'ÉI contrôlait déjà l'aéroport depuis la fin mai 2015.

Depuis janvier 2015, le groupe État islamique a pris le contrôle de larges territoires de la région de Syrte. Les djihadistes ont notamment pris la localité de Noufliyeh, d'où était originaire Mouammar Kadhafi. Selon les autorités de Tripoli, ÉI s'est même allié à des partisans du régime de Kadhafi pour l'aider à s'emparer des champs pétroliers de la région de Syrte. Il y a quelques mois, les combattants de l'État islamique ont saisi et décapité des dizaines de chrétiens se trouvant en Libye, dont des Égyptiens et des Éthiopiens.

État islamique avance à grands pas, les négociations entre les factions rivales, quant à elles, patinent

Ainsi, au moins quatre projets de sortie de crise ont été rejetés par les factions rivales. Le dernier en date, présenté au Maroc, reconnaissant tout à la fois la chambre des représentants issue du scrutin du 14 juin 2014 (et réfugiée à Tobrouk) comme la seule autorité législative pendant la période de transition et la formation d'un gouvernement d'union nationale, serait pour un an dirigé par un premier ministre et deux vice-premiers ministres, avait lui aussi essuyé une fin de non recevoir.

Chacun sait que les gouvernements et parlements installés dans l'est du pays à Tobrouk, reconnus par la communauté internationale, sont accusés d'incarner l'ancien régime de Mouammar Kadhafi. En face, on reproche aux autorités qui ont pris la ville de Tripoli d'être soutenues par les milices islamistes Fajr Libya, désignée comme organisation terroriste par ses opposants, mais qui combat État islamique.

Les puissances régionales interfèrent déjà dans les conflits tribaux et religieux

Et il y a plus, la situation est d'autant plus explosive que les puissances régionales interfèrent déjà dans les conflits tribaux et religieux. La Turquie et le Qatar soutiennent le gouvernement de Tripoli. Le Soudan est soupçonné de livrer des armes à l'État islamique et aux Frères musulmans. Et l'Égypte arme le gouvernement de Tobrouk pour sécuriser sa frontière. Elle est d'ailleurs déjà intervenue militairement le 16 février 2015, à la suite de l'assassinat de 21 Coptes égyptiens par l'EI, rappelle volontiers Jean-François Fiorina, directeur de l'ESC Grenoble.

La dégradation de la situation sécuritaire au nord de la Libye rend pratiquement inévitable une intervention étrangère

En cas d'échec de la médiation de l'ONU, la dégradation de la situation sécuritaire au nord de la Libye rend inévitable une intervention étrangère. Cela passera assurément par une coalition régionale (Niger, Tchad, Égypte, Algérie) soutenue par des États occidentaux (France, Royaume-Uni, Italie, États-Unis). Dans ce cadre, l'Égypte aurait à cœur de créer une zone tampon en Cyrénaïque, tout comme l'Algérie dans sa zone frontalière. Quant à la côte de Tripoli à Syrte, elle risque de se muter en un émirat islamiste, une zone de non-droit sur le modèle de la Somalie, prévoit Jean-François Fiorina.

Le chef de l'opération Barkhane plaide pour une intervention dans le sud de la Libye

«Le terrorisme va partout là où il n'est pas combattu», martèle le général Palasset, le chef de l'opération Barkhane. «La lutte contre le terrorisme ne doit pas se faire dans la demi-mesure: soit on lutte contre le terrorisme et on le vainc, soit on n'est pas partout où il est et il survit.»

On le sait, l'armée française a enregistré des succès importants contre les groupes terroristes, mais deux foyers de déstabilisation, Boko Haram et la Libye, menacent toujours la région

Pour mémoire, quelque 3500 militaires français sont actuellement déployés sur cinq pays à savoir la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, et le Burkina Faso mais pas encore la Libye! L'opération Barkhane a ainsi pour objectif la traque des djihadistes qui circulent librement dans la région au gré des frontières poreuses.

Dans ce contexte, le sud libyen est le pays incubateur du terrorisme, «c'est là où il naît et là où il se développe», souligne volontiers le général Palasset, «Au sud libyen, tout est à faire. Si on laisse des zones refuges, c'est autant de bases de départ qui affaibliront voire déstabiliseront un certain nombre d'États», souligne le commandant de Barkhane.

La nouvelle géopolitique sahélienne post-Kadhafi explique les problèmes actuels

Le colonel Kadhafi avait en effet réussi, au prix d'une dictature sévère, à imposer la stabilité intérieure dans un pays mosaïque aujourd'hui menacé de fragmentation. La Libye unitaire n'existant plus, le danger est de voir apparaître une situation de guerres tribales et claniques comme en Somalie, avec toutes les conséquences régionales prévisibles.

«Les observateurs n'ont pas compris que le sens profond de la politique saharo-sahélienne conduite par le colonel Kadhafi s'expliquait par ses origines. Sa tribu, les Khadafa ou Gueddafa, dont le cœur est la ville de Sabha, est certes numériquement peu importante, avec ses 150 000 membres. Cependant, elle occupe un espace stratégique à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, mais d'abord à la verticale reliant la méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte à Mourzouk. Cette tribu chamelière engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement en relation avec les Toubou et les Touaregs, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le sud saharien et sahélien», confie l'africaniste Bernard Lugan.

Et, comme le souligne le journaliste grand reporter Renaud Girard: «Tactiquement rondement menée, la guerre de 2011 contre Kadhafi restera, historiquement, comme la plus grave erreur stratégique commise sous la 5e République dans sa politique étrangère. Car Kadhafi, pour peu sympathique et rationnel qu'il fût, n'était plus notre ennemi. En notre faveur, il avait fait deux concessions et nous rendait deux services. Il avait renoncé au terrorisme et indemnisé ses victimes françaises. Il avait renoncé aux armes nucléaires et révélé les dangereux trafics du Pakistanais Abdul Qadeer Khan. Il pourchassait résolument les islamiques. Il stoppait les trafics d'êtres humains entre l'Afrique subsaharienne et la Méditerranée».

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