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Le fanatisme est une perversion

Parfois l'histoire nous fait vivre de curieuses répétitions, ce qui nous amène à nous interroger.
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À Palmyre, Paris et Cologne, la culture du III° millénaire est attaquée sur ses bases. À Palmyre, des fanatiques tentent d'effacer la mémoire d'un peuple, la Syrie, dans une région qui a vu la naissance de l'humanité à travers la découverte de l'écriture non loin de là, à Akkad, au III° millénaire avant notre ère.

Ce sont les mêmes barbares éradicateurs qui ont visé à Paris une population jeune et généreuse, capable de faire la fête et d'accueillir l'autre. Ce sont probablement les mêmes qui ont manipulé de jeunes immigrés à Cologne pour blesser cette culture dans ce qu'elle a de plus précieux, le respect des femmes et la liberté dans l'espace public. Après Paris, les réactions avaient été dignes, elles sont maintenant marquées par une polémique qui s'appuie sur le maniement des émotions.

Le vrai responsable serait l'islam présenté comme une culture de la haine et du mépris des femmes. Nous serions tous victimes d'un aveuglement mortel qui nous empêcherait de voir la menace portée sur notre propre culture. La question de la méconnaissance est essentielle, mais la réaction passionnelle est un mauvais guide pour l'aborder. Au même moment, dans le monde arabo-musulman, des femmes pouvaient fêter tranquillement la nouvelle année, car le viol n'y est pas une coutume.

Pour trouver un évènement comparable à Cologne, il faut aller place Tahrir, au Caire, quand les sbires du fondamentalisme ont voulu y étouffer la révolution. Non seulement l'islam n'a pas le monopole de la violence et des dérives sectaires, mais il ne constitue pas une culture différente de la nôtre: issus du vieux berceau méditerranéen, enrichis par nos contacts avec les autres continents, apaisés par la longue pratique d'une pensée rigoureuse, nous participons tous du même mouvement de vie et de pensée. À Palmyre, Paris et Cologne la culture du village planétaire sera universelle ou ne sera pas, il n'y a pas de contre-modèle ni de retour en arrière.

Aujourd'hui comme hier, le fanatisme religieux ou politique est une expression de ce «malaise dans la culture» dont Freud témoignait face à la montée du nazisme. Parfois, l'histoire nous fait vivre de curieuses répétitions, ce qui nous amène à nous interroger: qu'avons-nous laissé de côté pour retrouver ces appels à défendre identités et territoires? La polémique actuelle s'appuie sur des critères moraux qui ne sont étayés sur aucune discussion critique et c'est sans doute sur ce point que nous devons travailler. Notre société a besoin d'une éthique et la psychanalyse peut apporter sa pierre à cet édifice puisqu'elle permet d'intégrer la part irrationnelle de nos vies sans la disqualifier.

Par exemple avec des concepts comme la dénégation et le déni qui peuvent nous éclairer sur l'origine de ce fameux aveuglement. La dénégation est une déclaration exagérée dans laquelle, en multipliant les négations, on finit par affirmer l'inverse. La plus célèbre est celle de Tartuffe qui reconnaît son vice en clamant sa vertu: couvrez ce sein que je ne saurais voir... Le déni est une défense archaïque qui rejette dans l'inconscient les émotions attachées à un conflit psychique tout en laissant intact le savoir associé. Il en résulte un apaisement de l'angoisse, mais au prix d'une curieuse déformation de ce savoir qui perd le support corporel qui lui donnait sa dimension de vérité. Science sans conscience n'est que ruine de l'âme, disait Rabelais: en nous coupant de nos émotions, le déni nous fait perdre nos identités comme notre capacité de lien ce qui mène à la dépression. Déni et dénégation forment un couple qui règle le rapport à la connaissance: la vérité de notre désir disparaît avec le déni pour réémerger dans la dénégation.

Le malheur de notre société est qu'un élément extérieur vient enrayer cette dialectique du conscient et de l'inconscient: la perversion. Nous avons trop longtemps imaginé qu'il suffirait de bannir le terme pour faire disparaître le problème! La perversion est hélas une composante indéracinable de l'âme humaine qui doit être tenue en respect par un combat permanent. Les pervers sont des adultes qui vivent leur sexualité infantile sadomasochiste en contournant la censure interne par un usage exclusif du déni. Ce sont des manipulateurs qui transforment la dépendance de leur victime en emprise. Ils détournent à leur usage la fétichisation, ce mouvement psychique qui nous fait identifier nos désirs les plus intimes à des objets ou à des personnes.

Clivés à leur tour par le déni, leurs victimes deviennent des bourreaux sans perdre l'illusion de leur innocence. Les adolescents constituent une cible particulièrement vulnérable, car leur fétichisme intense veut se poser en rupture de leurs liens d'enfants. Dévoyés dans leur radicalité, ils vont pouvoir se sacrifier au nom d'un idéal dont ils méconnaissent la valeur de jouissance perverse.

Le fanatisme n'a donc pas grand-chose à voir avec la religion, même s'il n'en épargne aucune, et l'histoire récente montre qu'il touche tout aussi bien les groupes qui se disent athées. Il est lié à une fétichisation de la pensée qui transforme tous les discours en instruments de méconnaissance. Détaché par le déni de toutes les inhibitions qui constituent le statut humain, il ne marque la vérité de son origine perverse que par la dénégation. Les terroristes du Djihad se sont appelés takfiri, c'est-à-dire anathème, du nom d'un mouvement qui voulait jeter cette malédiction sur tous ceux qui trahissent la foi.

Ce raccourci révèle leur statut d'idolâtres, eux qui ont érigé leur propre idéologie en fétiche, reniant donc une religion qui se définit comme révélée et transcendante. Le même constat pourrait être fait dans la religion chrétienne où des groupes dits «intégristes» sacrifient l'intégrité de leur démarche à leur passion et prônent la violence et le rejet au nom d'un Dieu d'amour! L'aveuglement se situe dans un discours dont on refuse de voir les failles.

La société, pour survivre, doit apprendre à se protéger contre la perversité qui l'infiltre de manière insidieuse et vient se cacher jusque dans les postures morales. Il ne s'agit pas de prétendre à la pureté, juste de nous laver régulièrement de nos taches et de nos faiblesses. Puisque nous ne pouvons pas nous passer ni de nos fétiches ni de nos dépendances, nous devons au moins accepter de les reconnaître pour pouvoir les contrôler. Cela demande une décision éclairée: la méconnaissance qu'ils induisent est une passion brutale, tandis que la connaissance qui nous en libère vient d'une ascèse longue et patiente.

Ce sera notre première arme pour lutter contre ceux qui nous parasitent. Les vampires, dit-on, redoutent la lumière du jour; leurs rejetons contemporains, pervers et fanatiques, partagent la même faiblesse face à la raison. La maitrise de soi n'est pourtant pas un but, car notre deuxième allié sera le corps avec sa liberté: il est le lieu d'une sensualité que tous les Tartuffes rejettent, car elle mène à la vérité et au lien. Au terme, il n'y aura qu'une seule culture, celle que nous construirons plurielle et respectueuse, sage et incarnée: les poètes et les musiciens y seront nos maîtres.

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