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Message à mon Québec meurtri: deuxième partie

Comme le dit un proverbe de la sagesse arabe, si nous répondons à la haine par la haine, quand finira la haine?
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Mon troisième message est destiné à cette partie de la communauté politique et médiatique du Québec qui a banalisé la violence verbale contre les musulmans. Sans s'en rendre compte, cette partie de notre intelligentsia a cessé de jouer son rôle d'élite, et jouant sur un populisme malsain, s'est transformée en promoteur de fermeture et d'intolérance. Elle n'a pas réalisé que cette rhétorique de peur qu'elle ait nourrie, légitimée et défendue sous prétexte de liberté d'expression, finira par décomplexer le racisme, légitimer la xénophobie et normaliser la haine. Elle était dépassée par son propre discours. Je ne pense pas qu'elle voulait spécifiquement attaquer les musulmans pour encourager leur meurtre, mais son excès de zèle dans la défense de l'identité québécoise et dans la dénonciation tout à fait légitime de l'islamisme a dérapé vers une diabolisation des musulmans. En revanche, et c'est là où elle a commis l'erreur fatale, au lieu de corriger ce dérapage, elle a continué à l'utiliser quand elle a constaté qu'il peut lui être utile dans ces luttes idéologiques, partisanes et électoralistes.

Personnellement, à cause de la banalisation de ce type de discours, je ne reconnaissais plus mon beau Québec accueillant et tolérant. Je ne reconnaissais plus ce Québec que j'ai choisi, qui m'a choisi, qui m'a protégé et que j'adore. Je ne reconnaissais plus ce Québec qui m'a donné une chance de vie avec une qualité que je ne pourrais jamais espérer avoir dans mon pays de naissance. À cause de cette ambiance d'hostilité à la différence, je ne reconnaissais plus le Québec pour lequel j'étais et je suis toujours d'ailleurs prêt à donner ma vie. Après le 29 janvier, nous l'avons tous récupéré.

Pour calmer les esprits, il me semble qu'il est injuste d'accuser cette partie de notre élite journalistique et politique d'être responsable directement de la tragédie de Québec. Le croire signifie reproduire le même discours de haine dans un sens inverse. Elle était embourbée dans son propre jeu. Elle a sous-estimé l'effet dévastateur de la combinaison de son discours avec l'hostilité planétaire à l'islam. Elle a été naïve. Elle a compté sur la nature pacifique de la personnalité québécoise et sur la générosité, la bonté et la tolérance reconnues des Québécois sans se rendre compte qu'elle était en train de les affaiblir chez certains segments vulnérables de la société québécoise. C'est une erreur d'appréciation qui ne fait pas de cette catégorie de nos journalistes et de nos politiques des criminels ni sur le plan politique ni sur le plan juridique. Leur responsabilité reste de nature morale. Ils ont tout simplement dangereusement mal fait leur travail. J'invite donc nos concitoyens musulmans à tempérer leur discours quand ils s'expriment sur ce sujet. Ne laissons pas notre douleur affecter notre jugement, car une telle accusation peut être comprise comme une obstruction inacceptable à la liberté d'expression.

Pour nos amis journalistes et pour l'ensemble de nos politiciens, nous n'accepterons jamais qu'on limite votre liberté d'expression. Votre droit de critiquer et d'attaquer l'islamisme n'est pas négociable. Nous ne sommes pas non plus contre l'idée de critiquer l'islam. Rien dans la démocratie n'est au-dessus de la discussion et du débat. Vous êtes des faiseurs d'opinions. Vous avez le droit incontestable de choisir vos sujets et d'en débattre librement. Mais nous vous invitons tout simplement à exercer ce droit d'une manière responsable, c'est à dire avec un ton calme et non sensationnaliste pour ne pas remonter injustement les Québécois contre leurs concitoyens musulmans. Un juste milieu entre la dénonciation de l'islamisme, la critique de l'islam et l'islamophobie est possible. Le trouver est une condition nécessaire pour préserver le minimum de respect mutuel indispensable à toute forme de vivre ensemble. Si vous trouvez de la difficulté à cerner ce juste milieu, venez vers nous, les spécialistes de ces questions. Nous saurons vous diriger vers les bons mécanismes pour contester ces problèmes tout en évitant le mépris et la haine de l'autre. Personnellement, je suis né dans une famille musulmane. Par la nature de mon travail et sous l'impulsion de mes convictions laïques, il m'arrive dans mes cours de critiquer sans complexe plusieurs aspects de l'islam et de l'islamisme comme le voile des femmes, la consommation du vin et la stigmatisation de l'homosexualité, mais je le fais souvent sans humilier mes étudiants musulmans. C'est la meilleure manière pour les habituer à accepter de remettre en question leur propre religion pour l'historiciser, la démocratiser et la laïciser de l'intérieur.

Pour finir ce deuxième message, je dirais que nous sommes tous un peu responsables de ce qui vient d'arriver à Québec. Ensemble, nous n'avons pas su mettre les balises d'un débat franc, sain et sans haine. Par notre discours, par notre action, par notre passivité ou comme l'a dit le député Lightbound, par notre silence, nous avons sous-estimé le danger de nos choix.

À présent, ce qui me parait aussi triste que la disparition de six de nos concitoyens, c'est que nous avons par notre échec collectif réinvité le djihadisme à nous mettre sur sa carte criminelle. Le Québec et le Canada, malgré tous les ravages qu'a faits le passage de Steven Harper à notre image internationale, continuent d'être bien perçus partout dans le monde. Il faut reconnaitre et saluer à ce stade la contribution du discours réconciliateur, rassembleur et non confrontationiste de Justin Trudeau dans le rétablissement de cette image de pays faiseur de paix, que nous avons toujours eu dans le monde depuis Lester B. Pearson. Même dans les milieux islamistes non djihadistes, il était très rare que le Québec et le Canada soient considérés comme des pays islamophobes ou ennemis des musulmans. Nous voilà maintenant à cause de notre échec collectif dans le point de mire des extrémistes qui adorent le ton islamophobe des radicalismes occidentaux et raffolent pour le type d'action que Monsieur Bissonette a posée. Tous les deux valident sa vision haineuse du monde. Connaissant très bien la mentalité et les modes opératoires de l'islamisme djihadiste qui prétend être protecteur des musulmans partout dans le monde, il m'est très difficile d'imaginer qu'il laissera cet incident passer sans réponse. D'ailleurs je profite de l'occasion pour demander à nos élus, à nos responsables politiques et nos forces de sécurité de doubler de vigilance surtout à l'extérieur du pays. Nos diplomates et nos ressortissants à l'étranger peuvent être la cible d'éventuelles tentatives de vengeance.

La place de l'islam au Québec doit être renégociée dans le calme, la sérénité, le respect mutuel.

Mon dernier message est pour notre premier ministre, Philippe Couillard et à Madame Stéphanie Vallée, ma députée au parlement québécois et ministre de la justice. La preuve est aujourd'hui faite. La place de l'islam au Québec doit être renégociée dans le calme, la sérénité, le respect mutuel. Ce dossier a été manipulé, instrumentalisé et utilisé pour satisfaire des objectifs politiques à court terme. Voilà le résultat. Six vies innocentes sont fauchées, des femmes sont veuves, des enfants sont orphelins et des familles sont brisées à jamais, sans oublier la vie et surtout la famille de l'auteur de ce triste massacre. Elle est tout à fait innocente tout comme les victimes et leurs familles. Il est important de lui exprimer à elle aussi notre soutien, notre affection et notre pardon. Les proches de ce jeune homme n'ont pas à assumer son geste. Il doit rester le seul responsable de ses choix. Comme le dit un proverbe de la sagesse arabe, si nous répondons à la haine par la haine, quand finira la haine?

Madame la députée, Monsieur le premier Ministre, malgré vos bonnes intentions, il est évident aujourd'hui que votre gouvernement ne peut pas penser ce problème et gérer ces difficultés tout seul. Vous avez besoin de nous, les intellectuels de la communauté musulmane. Même si nous ne sommes pas nécessairement des pratiquants, nous pourrions aider à reconstruire les ponts entre notre communauté et les restes de la société québécoise. Moi personnellement, et d'autres islamologues, d'autres politologues, d'autres sociologues dans la même situation que moi, nous mettons à votre disposition des décennies d'études et d'expertise sur l'islam en tant qu'expérience spirituelle et l'islamisme en tant que projet politico-idéologique. Nous n'avons pas besoin de salaire ni de statut. Nous voulons juste aider. Alors, utilisez-nous, Madame et Monsieur, de la manière qui vous semble la meilleure.

Madame la députée, Monsieur le premier Ministre, l'heure est grave. Il en va de l'avenir de nos institutions et de la qualité de notre vie commune. Nous avons besoin de travailler ensemble pour éviter que le Québec devienne une juxtaposition de communautés. Il faut commencer par rester nous-mêmes, et surtout éviter d'inviter des comparaisons avec d'autres pays ailleurs en Occident. Nous sommes une réalité unique en Occident. Nous avons un mode de vie unique dans son genre. Les deux ne se trouvent nulle part ni en Europe ni aux États-Unis. Il faut les préserver. Vu le climat international hostile dans l'ensemble à l'islam, et à cause du revirement vers l'extrême droite chez nos voisins du sud, si nous ne faisons rien, nous risquons de perdre cette spécificité qui fait de notre pays un cas unique dans son genre et un pays - sinon LE pays, des plus accueillants et des plus stables au monde. L'heure est grave. La solution est urgente. Malheureusement, le temps n'est pas de notre côté.

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Mai 2017

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