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Graffitis: le temporel et l'interprétation des lois

Les agents du SPVM se basent sur quoi afin de juger une «œuvre»?
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Les graffitis et l'art urbain illégal sont des sujets à la mode ces temps-ci dans les journaux, On parle beaucoup des coûts des opérations de nettoyage, mais dans tout ce beau discours, on oublie souvent de parler de l'aspect légal entourant ce phénomène.

Dans mon billet précédent, nous avons vu que l'art de rue pouvait prendre de multiples formes d'expression dans les rues de Montréal.

Nous sommes donc prêts à regarder de plus près comment s'applique vraiment la loi devant ce phénomène et en quoi le caractère temporel des œuvres est l'élément déterminant lorsqu'il s'agit de juger l'acte au niveau de la loi canadienne et de la réglementation municipale.

Pour ce faire, je me suis entretenue le 30 mars 2015 avec le commandant Pierre Liboiron, chef du poste de quartier #16 à Verdun et porte-parole du dossier graffitis au Service de police de la ville de Montréal (SPVM).

Comment la loi est-elle appliquée sur le territoire de Montréal en matière de graffiti et d'art urbain?

«Plusieurs instances entrent en ligne de compte», indique Pierre Liboiron. Tout d'abord, il y a le Code criminel et son article 430, ci-dessous reproduit.

Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas:

a) détruit ou détériore un bien;

b) rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace;

c) empêche, interrompt ou gêne l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien;

d) empêche, interrompt ou gêne une personne dans l'emploi, la jouissance ou l'exploitation légitime d'un bien.

«Cependant, il faut préciser que l'application du code criminel varie selon l'âge. Ainsi, un juvénile (moins de 12 ans) serait jugé au tribunal de la jeunesse et rediriger vers des organismes comme Café Graffiti et autres et vers l'utilisation des murs légaux.», précise le commandant du SPVM.

Au sujet des murs légaux, voir le blogue Graffitis et colonisation de «HoMa»

Pour un adulte, en droit criminel canadien, deux catégories d'infractions s'appliquent (selon le degré d'attribution de la gravité) et les sentences varient selon la valeur du bien.

Pour une valeur de plus de 5000$

  1. Acte criminel avec mise en accusation - Emprisonnement maximal de 10 ans.
  2. Infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire - Emprisonnement maximal de 6 mois et amende de $5000 max.

Pour toute autre valeur

  1. Acte criminel avec mise en accusation - Emprisonnement maximal de 2 ans.
  2. Infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire - Emprisonnement maximal de 6 mois et amende de 5000 max. ou de l'une ou l'autre de ces peines.

«Une accusation au criminel peut mener à la création d'un casier judiciaire avec les conséquences que cela entraîne. Ainsi, un individu ayant un casier judiciaire pourrait se voir refuser l'entrée dans un pays étranger, comme par exemple aux États-Unis», signale le porte-parole du SPVM.

Les agents de la SPVM se basent sur quoi afin de juger une «œuvre»?

«Un agent n'est pas en position de juger une œuvre. Un méfait reste un méfait. Et pour être qualifié de méfait, l'œuvre doit causer un dommage permanent comme par exemple avec de la peinture ou un crayon marqueur», précise le policier.

Et comment cela se passe-t-il dans les faits ?

«Ici, il faut prendre en considération les notions de domaine privé versus public. Si c'est sur le domaine privé, nous devons localiser le propriétaire et voir s'il veut porter plainte. Car pour le SPVM, pour poursuivre, ça prend un plaignant. Pas de plaignant, pas de plainte, et si pas de plainte, pas d'accusation au criminel», explique Pierre Liboiron. «Le domaine public, quant à lui, est un plaignant automatique. Donc la plainte sera traitée soit au criminel ou en vertu de la réglementation municipale selon le cas.»

Qu'en est-il alors pour les affiches, les collants ou les dessins à craie?

Exemples d'affiches artistiques vues à Montréal (domaine privé):

«Dans le cas de ceux-ci, comme ils n'ont pas de caractère permanent donc ce n'est pas considéré comme un méfait au Code criminel. Ils relèvent de la règlementation municipale», affirme le commandant Liboiron.

Autres exemples d'affiches (domaine public):

Si l'œuvre non permanente n'est pas considérée comme un méfait, cela ne veut pas dire qu'elle est permise. Et c'est là qu'entrent en ligne de compte les constats que les agents du SPVM émettent selon la réglementation municipale.

Et là, attention! C'est ici que ça s'embrouille !

Quand l'imbroglio administratif se fait loi

En vertu de la Charte de la Ville de Montréal et de l'article 153 (Annexe C): «La ville peut, par règlement, régir ou interdire les graffitis, dessins, peintures, gravures et photographies sur les arbres, ou les murs, clôtures, poteaux, trottoirs, chaussées ou autres constructions semblables».

Mais la charte n'est qu'une référence et la ville peut, dans certains cas, déléguer ses pouvoirs aux comités d'arrondissement.

«La ville ayant délégué la responsabilité des graffitis aux arrondissements, les règlements peuvent varier d'un arrondissement à l'autre», souligne Pierre Liboiron

Donc, différents arrondissements = différents règlements. Et ceux-ci peuvent même s'appliquer de manière différente selon le type de bâtiment et viser à responsabiliser les propriétaires à cet effet.

Chaque comité d'arrondissement étant libre de faire ses propres règlements à l'intérieur de son territoire ....comment nous y retrouver? Qu'est-ce qui est permis et ce qui ne l'est pas?

Permis ou pas permis?

Une petite visite sur les sites web de différents arrondissements s'imposait.

Conclusion: l'information n'est pas toujours facile à trouver et, pour ajouter à la complexité, elle n'est souvent pas à jour.

Voyons de plus près deux arrondissements où le graffiti est jugé plus problématique.

Plateau Mt-Royal

«Il est interdit de peindre ou de dessiner sur la chaussée ou le trottoir ou sur un bâtiment ou sur le mobilier urbain situé sur le domaine public, d'y tracer des graffitis ou des tags ou d'y faire des marques».

«Il est interdit de tracer des graffitis ou des tags sur un bâtiment situé sur un terrain privé sauf dans le cas de murales ou dessins autorisés par le propriétaire du bâtiment, ou par l'arrondissement conformément à la réglementation en vigueur».

Verdun

Section «Contrôle des nuisances - Graffiti»

«Dans l'arrondissement, il est interdit d'écrire, de dessiner, d'apposer, de graver ou de tracer des signes ou des messages sur un immeuble, mobilier urbain, voiture, domaine public et boîtes aux lettres. Il est également interdit de laisser ou de permettre que soient laissés sur son immeuble, des graffitis, signes ou messages».

Un peu difficile de ne pas s'embrouiller dans tout ce charabia non?

Alors comment un policier peut-il faire la différence entre tous ces différents règlements?

«Les policiers ont un carnet (document papier) des règlements de leur territoire. Dans le cas où ils sont appelés à travailler dans un autre territoire, ils peuvent se référer aux règlements à partir de l'ordinateur de l'auto-patrouille», indique le commandant Liboiron.

Les amendes peuvent variées entre 100$ et 1000$ et même de 1000 $ à 5000 $, comme c'est le cas dans l'arrondissement Plateau Mont-Royal. Des montants auxquels s'ajoutent en surplus les frais de nettoyage.

Cependant, comme le précise Pierre Liboiron, pour les juvéniles (14 à 17 ans), la loi provinciale (au fédéral, c'est 12 ans!) prévoit un maximum de 100$ plus les frais. «Il existe aussi des ententes entre les postes de quartier et les arrondissements qui permettent aux agents de police de transmettre plus rapidement les informations concernant les auteurs des graffitis afin que l'arrondissement puisse facturer le service d'enlèvement des graffitis aux contrevenants responsables. Dans le cas d'un juvénile, la facture sera envoyé aux parents.»

Est-ce un peu plus clair pour vous maintenant? Car pour l'auteur de ces lignes, l'absence de gouvernance et d'uniformité légale est un véritable méli-mélo juridique!

Cependant, ce qu'il faut retenir, selon Pierre Liboiron: «Une entrave aux règlements municipaux n'a pas le même impact que si le geste est traité selon le code criminel. C'est un peu comme passer un feu rouge. Il va y avoir un impact pécuniaire, mais pas de trace au niveau criminel.»

Alors voilà... faites vos choix !

Toutes les affiches figurant dans cet article ont été faites ou apposées dans un contexte «non autorisé» et toutes les photographies de cet article ont été prises à Montréal par l'auteur, à moins d'indication contraire.

Cet article est le deuxième d'une série de cinq sur la place du graffiti et de l'art de rue à Montréal.

2. Graffiti... le temporel et l'interprétation des lois.

3. Graffiti... du vandalisme à la revendication.

4. Quand l'art de rue se «conventionne».

5. L'art de rue au service du citoyen.

Pour en apprendre plus sur le graffiti et l'art de rue à Montréal, consultez le site «If walls could talk MTL» ou suivez-nous sur notre page Facebook.

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