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Une approche alternative du commerce international (2)

Un pays jouant le jeu du libre-échange et qui a une plus faible productivité que ses partenaires commerciaux, va simplement vivre une baisse de sa demande intérieure. Il n'y aura pas de mécanisme automatique d'ajustement à long terme permettant de corriger ce déséquilibre.
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Dans notre dernier billet, nous avons abordé l'approche postkeynésienne du commerce international sous les angles de la demande effective, son impact sur la balance des paiements et le rôle des taux de change. Pour compléter notre démonstration, ce billet démontrera que ce sont les avantages absolus, plutôt que les avantages comparatifs, qui mènent les échanges internationaux, dus au rôle déterminant des flux de capitaux.

Avantages comparatifs vs absolus

Un pays jouant le jeu du libre-échange et qui a une plus faible productivité que ses partenaires commerciaux, va simplement vivre une baisse de sa demande intérieure. Il n'y aura pas de mécanisme automatique d'ajustement à long terme permettant de corriger ce déséquilibre.

Selon l'approche postkeynésienne, ce sont les flux de capitaux, plutôt que les flux de biens et services, qui mènent le commerce international. Ceux-ci, souvent d'origine spéculative, chercheront les rendements les plus élevés. L'avantage absolu d'un pays sera donc déterminant, plutôt que l'avantage comparatif. « The law of comparative advantage is only applicable after all nations have domestic demand management policies assuring full employment. » (Davidson, 1999, p. 11) La balance commerciale ne s'ajuste pas automatiquement.

If capital flows, rather than the current account, dominate the development of the balance of payment, then there is no reason to believe that the balance of payment is self-adjusting. This implies that the imposition of capital controls is essential for full employment policies to be sustainable. (Vernengo, p. 182)

L'approche postkeynésienne rejette les postulats de neutralité de la monnaie et des facteurs financiers par rapport au commerce « réel », mettant plutôt l'emphase sur l'interaction entre le commerce international et la finance, principalement les flux financiers et la balance commerciale. Les avantages absolus l'emporteraient sur les avantages comparatifs. Contrairement aux théories orthodoxes du commerce, les postkeynésiens ne considèrent pas que l'hypothèse du plein-emploi des ressources est crédible ou qu'il existe des mécanismes d'ajustement automatique de la balance commerciale, surtout par les prix. Cette perspective ouvre la porte aux théories qui mettent l'emphase sur les causes et conséquences des déséquilibres commerciaux vis-à-vis de la production, des revenus et de l'emploi. L'argument selon lequel le libre-échange bénéficie à tous les pays :

The conventional argument for mutual benefits to all countries from free trade, based on the theory of comparative advantages, is rooted in the 'pure' trade models that assume balanced trade and full employment as well as capital immobility. If any of these assumptions are dropped, the theory of comparative advantage breaks down, and it can no longer be presumed that free trade policies are always in a nation's best interest. (Blecker, 2012, p. 305)

Les flux de capitaux, facteur déterminant du commerce international

Depuis les années 1970, la déréglementation et l'amplification des flux de capitaux ont causé nombre de problèmes aux pays s'adonnant au commerce international, en termes de balance commerciale et de volatilité :

It has changed the very nature of the market and provide an excellent example of the folly of what Keynes called the 'fetish of liquidity'. In addition to the payments imbalances, ressources misallocations, and trade and investment diversion this may cause, it reduces government policy autonomy and represents a waste of entrepreneurial talent. This is a problem in all market-based economies, but is even more problematic in the developing world. (Ibid., p 210)

Élément central de la théorie postkeynésienne du commerce international, les flux de capitaux financent les déficits commerciaux : « As long as countries with trade surpluses run offsetting capital account deficits (that is, become net lenders) and countries with trade deficits run offsetting capital account surpluses (that is, become net borrower), overall balance-of-payments equilibrium can be sustained without eliminating trade imbalances. » (Blecker, op. cit., p. 306) Ce sont les flux nets de capitaux qui déterminent la balance commerciale. Les implications de ce phénomène sont parfois mal comprises. Ainsi, certains peuvent soutenir que les salaires réels bon marché, une technologie supérieure ou facteurs similaires sont responsables des surplus ou déficits commerciaux des zones monétaires. Cependant, un déficit du compte courant dans la comptabilité nationale doit être identique à une importation nette de capitaux, ainsi qu'un excédent du compte courant avec une exportation nette de capitaux. Le lien de causalité va clairement du flux de capitaux au déséquilibre du compte courant. La productivité, les préférences des consommateurs, la disponibilité des ressources naturelles, les tarifs, les situations de monopole dans certains secteurs de la production, et ainsi de suite déterminent seulement la structure du commerce international (McCombie et Thirlwall, 1999, p. 41)

Les pays en voie de développement en particulier bénéficient à court terme d'un afflux d'investissements directs étrangers, qui prennent le plus souvent la forme de crédits (prêts). Ces dettes sont généralement contractées en devises étrangères par les entreprises et États locaux. Lorsque ces pays (surtout ceux en voie de développement) subissent une rapide dépréciation de leur devise nationale, un niveau élevé de dettes en devises étrangères mène à de sérieux problèmes de liquidités et de solvabilité. Ces investissements additionnels, amenant croissance et emplois au départ, peuvent rapidement devenir des boulets déstabilisant leurs économies et alimentant des crises financières, comme celles vécues par les pays asiatiques, le Mexique et la Russie pendant les années 1990. Il n'existe pas de mécanisme de correction automatique pour ramener ces pays à l'équilibre :

Debt, once contracted, cannot be dealt with through deflation and 'decumulation', as in neoclassical and Austrian business cycle theory - that is by 'getting prices right' internally - since the underlying problem is not one of a temporary inefficient allocation of existing resources, or even of the endogenous instabilies of self-sustaining capitalist accumulation paths, but one of structural socio-economic obstacles to industrialization. (Blankenburg et Palma, 2012, p. 139)

Sans mécanisme pour forcer les pays ayant des surplus commerciaux à accroître leur demande intérieure, la contrainte d'ajustement repose sur les pays déficitaires. Sans contrôle des capitaux qui assure cet objectif, les pays à forte demande doivent restreindre leur croissance (tirée par la demande effective), comme nous l'avons vu dans le billet précédent. La demande globale est donc tirée vers le bas, réduisant d'autant la croissance économique potentielle et augmentant le taux de chômage. La libre circulation d'importants flux de capitaux peut créer de sérieux problèmes de paiements internationaux pour des pays dont les comptes courants seraient autrement approximativement en équilibre. Malheureusement, dans un système déréglementé des marchés de capitaux, les fonds étant investis pour développer les ressources de la planète sont impossibles à distinguer des mouvements de fonds flottants et spéculatifs se réfugiant temporairement d'un pays à l'autre pour perpétuellement dénicher des gains à court terme, ou pour des motifs de précaution, ou pour se cacher des collecteurs d'impôts, ou pour blanchir des revenus illégaux. Selon Davidson, ces mouvements peuvent être dangereux :

The international movement of speculative, precautionary, or illegal funds (hot money), if it becomes significantly large, can be so disruptive to the global economy as to impoverish most, if not all, nations who organise production and exchange processes on an entrepreneurial basis. Keynes warned: 'Loose funds may sweep round the world disorganizing all steady business. Nothing is more certain than that the movement of capital funds must be regulated.' (1999, p. 13)

Sans contrôle des flux de capitaux ni de mécanisme contraignant envers les pays menant des politiques basées sur les surplus commerciaux (comme l'Allemagne et le Japon), le système commercial mondial actuel gardera son biais déflationniste, limitant les opportunités d'emploi et de croissance.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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