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Les oubliés

Un peu partout à travers le Québec, les enseignants ont décidé de ne travailler que les 32 heures pour lesquelles ils sont payés. Et vous serez d'accord avec moi, c'est totalement légitime. Cependant, cela aura nécessairement des conséquences sur les enfants, sur VOS enfants.
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Avez-vous parfois l'impression que votre travail n'est pas apprécié à sa juste valeur? Vous vous dépassez, vous faites plus que ce que l'on demande de vous, vous agissez en portant en vous la satisfaction du travail bien fait, mais en dépit de vos efforts, on vous en demande toujours plus sans pour autant reconnaître la valeur de votre travail.

Eh bien, c'est ce que vivent les enseignants sur une base quotidienne, et ce, depuis bien trop longtemps. Mes deux parents sont enseignants depuis de nombreuses années et travaillent dans des milieux défavorisés à Montréal. Mon père est enseignant d'éducation physique, et ma mère enseigne au préscolaire. Et comme c'est le cas lors de chaque rentrée scolaire, je les vois s'activer avec une certaine appréhension plusieurs jours avant le début des classes.

Prenez ma mère par exemple. Comme chaque année, elle doit prendre plusieurs heures de son temps pour aller acheter les différentes fournitures scolaires pour ses élèves. Est-elle rémunérée pour toutes ces heures de magasinage? Non. Reçoit-elle un montant pour ces achats? Non. Croyez-le ou non, elle doit tout payer de sa poche pour ensuite être remboursée sur présentation des factures. C'est un stress pour elle, car les règles pour que le remboursement soit possible sont assez strictes, et si la facture d'un commerçant ne comporte pas l'adresse du magasin, par exemple, cela peut compliquer grandement ses démarches. Et c'est sans parler du stress financier que cela peut causer à son budget en attendant le remboursement.

Mais ce n'est pas tout; elle doit ensuite passer plusieurs heures à préparer des coffres à crayons, des cahiers d'activités, des portfolios, etc., en plus de planifier ses premières semaines en classe. Est-elle rémunérée pour toutes ces heures de travail? Non. Et ce n'est pas encore terminé : elle doit ensuite, pendant ses vacances, aller dans sa classe pour préparer les lieux pour l'arrivée de ses étudiants. Chaque année, cela représente entre une et deux journées de travail. Est-elle rémunérée pour toutes ces heures de travail? Non.

Avant que vous me sortiez le mythe des deux mois de vacances payées pour dire que les enseignants sont « gras dur », laissez-moi vous dire ceci : on retire aux enseignants une petite partie de chaque paie pour qu'ils aient un salaire pendant l'été. Leurs vacances sont donc payées... mais par eux-mêmes.

Donc, avant même que l'année scolaire commence, ma mère travaille plusieurs dizaines d'heures sans être rémunérée et doit même avancer de l'argent à la commission scolaire pour que les enfants aient des fournitures scolaires en arrivant. Dans n'importe quel autre domaine, on crierait à l'abus, à l'esclavage, aux travaux forcés et à je ne sais quoi d'autre. Pourtant, c'est ce que vivent presque tous les enseignants chaque année.

Les enseignants sont rémunérés pour 32 heures de travail par semaine, mais en réalité, ils travaillent tous entre 40 et 50 heures par semaine, voire plus. Si vous connaissez personnellement un enseignant ou une enseignante, vous savez que je n'exagère pas. Séances de récupération pendant l'heure de dîner, activités parascolaires, organisation de sorties, correction de travaux, création de projets stimulants pour les étudiants, correspondance avec les parents, travail rapporté à la maison le soir... La liste n'en finit pas.

Et là, pour ajouter l'injure à l'insulte, le gouvernement veut faire passer leur temps de travail « obligatoire » de 32 heures à 35 heures sans pour autant augmenter leur salaire. Ça revient à dire : « On se fiche de votre bénévolat, mais on s'attend à ce que vous continuiez à le faire malgré tout, parce que vous êtes de bonnes personnes et qu'on va en profiter au maximum. » Et ça, c'est sans parler du fait que le gouvernement veut augmenter le nombre d'élèves par classe tout en intégrant les élèves handicapés ou en difficulté comme des élèves réguliers!

Prenez juste deux secondes pour avoir une vue d'ensemble : un employeur X demande à ses employés, qui font déjà entre 8 et 18 heures de bénévolat par semaine, de travailler encore davantage sans pour autant les payer plus, et ce, en rendant leurs conditions de travail, déjà difficiles, encore plus ardues. Trouvez-vous cela correct? Encore une fois, dans n'importe quel autre domaine, ça ne passerait pas, et il y a fort à parier que toute la population crierait au scandale. Mais pas pour les profs. Pourquoi?

Parce que ce sont les oubliés, ceux qu'on tient pour acquis. Et ils ne sont pas les seuls : croyez-vous que le gouvernement agit en ayant le sort des enfants à cœur? Quand un enseignant doit passer la moitié de son temps à gérer des cas lourds dans sa classe, qu'est-ce qui se passe avec les étudiants réguliers? Et ceux qui sont doués? Pensez-vous réellement que les enseignants peuvent les stimuler et les aider à repousser leurs propres limites? Parce que pendant qu'un enseignant doit s'occuper d'un élève qui frappe sa chaise contre le mur ou d'un autre qui a un grave trouble mental non diagnostiqué à cause du manque de personnel qualifié dans l'école, il n'a pas le temps ni les ressources nécessaires pour encourager les autres à se dépasser.

Un peu partout à travers le Québec, les enseignants ont décidé de ne travailler que les 32 heures pour lesquelles ils sont payés. Et vous serez d'accord avec moi, c'est totalement légitime. Cependant, cela aura nécessairement des conséquences sur les enfants, sur VOS enfants. Et croyez-moi, les enseignants ne font pas ça de gaieté de cœur. Mais c'est un mal nécessaire pour que les gens prennent enfin conscience de l'ampleur de leur bénévolat, parce qu'il y a encore cette idée complètement erronée dans la population que les enseignants sont des « bébés gâtés » qui se plaignent le ventre plein.

J'ai moi-même étudié pendant deux ans pour devenir enseignant de français au secondaire, et c'est une fois en stage que j'ai constaté à quel point être enseignant au Québec était devenu un apostolat. Et si les enseignants permanents ont des difficultés, c'est encore pire pour les plus jeunes, qui ont très souvent des emplois précaires. Pas étonnant qu'autant de jeunes enseignants quittent la profession. En anglais, il y a l'expression « to dodge a bullet », qui signifie échapper de justesse à une situation indésirable. Et j'ai bien l'impression, à la lumière de tout ce qui se passe en ce moment, que c'est précisément ce que j'ai fait en quittant le navire troué de l'enseignement au Québec.

Vous voulez en avoir pour votre argent? Eh bien, c'est exactement ce que s'apprêtent à vous donner les enseignants. Comme le dit la chanson: Be careful what you wish for cause you just might get it...

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