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Parti chasser les éléphants en Tanzanie il y a 25 ans, j'y suis resté pour les sauver

Cette rencontre magistrale et bouleversante avec les éléphants en Afrique, là où j'aurais probablement dû être né et grandir, allait tracer mes vingt-cinq prochaines années.
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Dès ma plus jeune enfance, je savais que mes terres natales albigeoises (NdT: en France) ne suffiraient pas à satisfaire ma curiosité. J'étais déjà envoûté par une soif de découvrir le reste du monde. À l'âge de 5 ans, j'étais envahi d'un sentiment profond, celui d'être né à une époque qui n'était pas la mienne, celui de grandir dans un espace qui m'était étranger.

Seule la lecture m'évitait de tourner en rond et me permettait de trouver de nouveaux repères. Très tôt, je me suis plongé dans les récits d'explorateurs, marqué notamment par celui de Jean Sebastien Galaup de La Pérouse (Tarnais), devenu rapidement mon modèle, dont j'avalais les aventures. Tous les matins, c'est avec lui que je sillonnais les petites rues... enfin, à travers sa divine statue, exposée au centre ville d'Albi, que je fixais longuement avant de rejoindre les bancs de l'école.

L'école, mais quel ennui comparée aux formidables leçons d'aventures et de découvertes menées par ces hommes hors du commun, envahis de courage, de determination et surtout de passion!

Inquiets face à mon désintérêt pour l'école et à un parcours scolaire plutôt mouvementé, mes parents ont tout mis en œuvre pour me motiver à avoir ce diplôme qui leur était si cher, que j'ai finalement décroché avec un peu de retard avant de rejoindre l'École supérieure de commerce (ESC) de Toulouse. C'est à ce moment là que tout a basculé. La qualilté des cours de l'ESC qui m'ont enfin permis de m'orienter professionnellement? En aucun cas. Assis par terre, dans une bibliothèque, je venais de découvrir l'univers de Linvingston, Tarzan, Speke, Stanley ou encore Rahan, qui m'ont transpercés et emportés dans un un monde magique et envoûtant, celui de l'Afrique, là où j'aurais probablement dû être né et grandir.

Je m'endormais tous les soirs avec des images de chasse, d'exotisme, de découverte de terres et d'îles lointaines, d'expéditions partant de Zanzibar pour remonter les fleuves d'Afrique et arriver au cratère du Ngorongo en pays Massaï.

En juin 1994, j'obtiens mon diplôme qui me permet de convenir et de décider seul de la suite et du sens que je voulais donner à ma vie. Sans plus attendre, je me retrouve au fin fond de l'Afrique, dans la réserve du Selous en Tanzanie, l'un des derniers grands territoires vierges de la taille de la Belgique (55 000 km2).

Cette réserve est aussi le dernier refuge pour les éléphants, les lions, les immenses troupeaux de buffles et les hippopotames.

C'est ici, dans le Selous, que tout va commencer.

Un matin, très tôt, dans la savane en compagnie de formidables pisteurs de la tribu des Ndorobo, nous découvrons de fraîches traces d'éléphants accompagnées de crottins encore chauds. Nous décidons de suivre les traces des pas qui nous amèneront aux pachydermes. Nous passons la journée avec eux, parcourant une forêt épaisse, traversant de longs marécages, grimpant sur des collines pour rejoindre les profondeurs des pailles géantes.

Comme un enfant ébahi par la beauté de ce monde nouveau, je suis resté durant des heures à observer trois grands éléphants mâles se reposant sous un acacia. Je les écoutais parler entre eux. Quand retentit ce lourd et sourd grondement, j'ai été surpris par une sensation nouvelle, un sentiment de plénitude qui m'a confirmé à cet instant précis que j'avais enfin trouvé mon paradis terrestre. Cette rencontre magistrale et bouleversante avec les éléphants allait tracer mes vingt-cinq prochaines années.

Je décide de tout quitter pour m'installer définitivement dans le Selous et devenir guide de chasse. J'apprends l'art du pistage et le swahili et, avec les Ndorobos, j'apprends comment éviter les ruses d'un éléphant solitaire, comment respecter une lionne avec ses petits, comment déjouer les pièges d'un méchant buffle et comment vivre et survivre en brousse.

Pour la première fois de ma vie, je me sentais grandir, mûrir, assagir, devenir un homme. J'avais de nouveaux repères, je m'épanouissais et j'évoluais dans la simplicité et l'authenticité.

J'étais dans un rêve, un rêve qui, malheureusement, s'arrêta brutalement, rapidement plongé dans la dure réalité liée au commerce illégal de la viande en brousse et du traffic de l'ivoire et des cornes de rhinocéros, une espèce disparue depuis de nombreuses années d'une grande majorité du territoire africain. Je n'aurai jamais eu la chance d'en croiser un seul.

Comme électrocuté par une prise de conscience subite et un sentiment profond de culpabilité, je décide de quitter définitivement le milieu de la chasse.

Sans but précis, je vais errer dans la brousse, parcourir pendant près de dix ans le Selous, découvrir des régions totalement perdues, gravir chaque colline à la suite de marches interminables sous un soleil souvent écrasant, remonter toutes les vallées possibles dans l'espoir de rencontrer LE grand éléphant.

Ce sentiment de culpabilité mêlé à un devoir d'agir ne me lâchait plus. Mais comment agir sans moyens? C'est là que m'est venue l'idée de construire un «safari lodge». Suite à un travail acharné de plusieurs mois, je crée Chem-Chem Lodge, dans le nord de la Tanzanie autour du Parc national du Tanragire, et enchaîne rapidement sur le second «safari lodge» Little Chem-Chem. Il nous aura fallu plus de dix ans de travail et d'investissements pour voir enfin les premiers résultats.

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Adopté par les tribus et les populations locales, je lance la Chem-Chem Foundation, dont l'activité principale est de lutter contre le braconnage et cherche désespérément des fonds pour me battre pour et aux côtés des éléphants.

Aux côtés de mes éléphants, puisque chacun d'entre eux porte un nom et illustrent des albums photos dans les safari lodges de Chem-Chem.

Vivant désormais en pleine savane, je deviens le malheureux témoin du massacre des animaux en brousse. De 2007 à 2014, en Afrique et tout particulièrement en Tanzanie, c'est un véritable génocide qui se déroule sous nos yeux impuissants. En Tanzanie, la population d'éléphants passe d'environ 100 000 a 40 000 espèces vivantes. Soixante pour cent de la population des éléphants est massacrée pour son ivoire revendu illégalement en Asie. Aujourd'hui, le chiffre reste alarmant, avec un éléphant tué toutes les 15 minutes par les braconniers pour les mêmes raisons.

La Fondation Chem Chem accueille aujourd'hui plus de quarante personnes spécialisées dans la lutte anti-braconnage. Avec davantage de moyens, nous pourrions en embaucher beaucoup plus. Et voilà que nous entrons dans une guerre armée, n'agissant que dans la répression, dent pour dent. Malgré tous les efforts engagés, les problèmes n'ont fait qu'empirer et l'audace des braconniers n'a fait qu'augmenter.

La violence n'était bien évidemment pas la solution pour régler le problème. Il fallait sensibiliser les populations aux conséquences dramatiques de ces actes, bien maîtriser l'écosystème et cerner les besoins de la région, économiquement et socialement parlant.

Il nous a semblé important de développer à travers la Fondation Chem-Chem des actions en faveur de l'éducation, car pour pouvoir respecter l'environnement et le patrimoine commun et espérer pouvoir changer les usages, la sensibilisation et les prises de conscience sont essentielles. C'est en construisant des écoles, en donnant accès à l'éducation aux jeunes et en les sensibilisant dès leur plus jeune âge à leur environnement dangereusement menacé que nous gardons espoir de contribuer à changer les choses.

Soutenir les populations locales et trouver des solutions à leurs problèmes quotidiens liés à leur vie et à leur survie était une bien meilleure approche pour tenter de faire évoluer les mentalités. La sensibilisation et l'éducation des populations deviennent alors incontournables pour protéger la faune et la flore et mesurer le potentiel qu'elles recèlent pour leur avenir.

À Chem Chem, je me bats jour et nuit pour sauver les derniers grands éléphants. Mon rêve serait que le monde entier se réveille pour mener ce combat à nos côtés, pour la survie des éléphants, certes, mais aussi pour la survie des villages et des populations. Protégeons ensemble l'un des plus beaux héritages de la biodiversité au monde.

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