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Afghanistan: une commémoration qui oublie ceux qui se sont enlevé la vie

En cette journée de commémoration pour les militaires canadiens ayant servi en Afghanistan, certains ne sont pas officiellement invités: les familles de celles et ceux qui ont commis l'ultime acte, s'enlever la vie après leur déploiement.
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En cette journée de commémoration pour les membres des Forces armées canadiennes ayant servi en Afghanistan entre 2001 et 2014, certains ne sont pas officiellement invités: les familles de celles et ceux qui ont commis l'ultime acte, s'enlever la vie après leur déploiement.

Depuis novembre dernier, une vague, une déferlante, une épidémie, appelez ça comme vous voulez, a frappé durement les Forces armées canadiennes. Alors qu'en 2012 il y avait eu 12 suicides officiels, entre novembre 2013 et avril 2014, on a dénombré pas moins de 13 présumés suicides.

À VOIR AU BAS DE L'ARTICLE:

» Carte recensant les présumés suicides de militaires au Canada

De Victoria (Colombie-Britannique) à Frédéricton (Nouveau-Brunswick), en passant par Petawawa, Québec ou Calgary, personne n'a été épargné par cette épidémie.

En 2012 et en 2013, l’ombudsman de la Défense nationale, Pierre Daigle avait bien prévenu le gouvernement du problème. Dans son dernier rapport à ce sujet, il rapportait que les unités d’appui pour les soldats malades ou blessés souffraient d’une pénurie de personnel «aiguë», laissant ceux qui étaient chargés d’aider les anciens combattants de la guerre d’Afghanistan les plus gravement touchés surchargés de travail, souvent insuffisamment formés et en danger d’épuisement professionnel.

Le médecin-chef des Forces, le brigadier-général Jean-Robert Bernier, a indiqué lors d'un témoignage devant le comité de la Défense de la Chambre des communes début avril qu'il y avait pour lui deux facteurs ayant entraîné cette vague de suicides: la dépression associée au syndrome de stress post-traumatique (SSPT) ainsi que... les médias.

Des professionnels de la santé établissent un lien direct entre les cas de dépression et les suicides, a-t-il noté. Il a souligné que la dépression, particulièrement chez les hommes des Forces armées canadiennes, est deux fois plus présente que dans la population civile et représente une «inquiétude majeure».

Environ 7,8 % des militaires avaient signalé des épisodes de dépression avant la mission en Afghanistan, mais ces statistiques sont actuellement mises à jour, a-t-il ajouté.

Plusieurs experts rencontrés au civil et dans le militaire s'accordent pour dire que le déploiement n'est pas la seule cause possible pour passer à l'acte. Bien souvent, c'est un facteur aidant, mais d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Une situation familiale complexe, par exemple.

Le sénateur et général à la retraite Roméo Dallaire, qui souffre lui-même d'un trouble de stress opérationnel et a fait plusieurs tentatives de suicide, a dénoncé à l’antenne de la télévision publique canadienne les propos du médecin-chef de l’armée canadienne. «Je suis incroyablement déçu», a-t-il dit en réagissant aux propos de Jean-Robert Bernier.

Pour le sénateur Dallaire, l’armée refusait de voir la vérité: «Ne venez pas me dire que quand on vit cette expérience-là et qu’on se retrouve dans un milieu différent, où la famille est éclaboussée, avec les Fêtes qui s’en viennent et l’isolement… on peut s’attendre à ce que les gens prennent une décision radicale», avait-il alors déclaré.

Incapable d'expliquer pourquoi il y avait eu une hausse soudaine de suicides, le médecin-chef a aussi affirmé que la couverture médiatique de la vague de décès de l'hiver dernier pouvait avoir contribué aux suicides en vertu du phénomène de «suicides par imitation», un «copycat suicide» en anglais.

S'il existe une recherche abondante aux États-Unis sur ce phénomène chez les adolescents, il n'y a pas d'étude similaire chez les militaires. Il a en outre été démontré que faire du suicide un sujet tabou pouvait être tout aussi dévastateur.

Plusieurs élèves-officiers à qui nous avons parlé et qui connaissaient le caporal Alain Lacasse, retrouvé sans vie chez lui à la mi-mars, nous ont confié avoir été particulièrement affectés.

Tout d'abord parce que ce caporal a été un instructeur lors de cours aux recrues. «La mission en Afghanistan est terminée. On ne sait pas quelle sera 'notre guerre'», nous a confié un élève-officier. Tandis qu'un autre ajoute: «Quand mon coloc est revenu [d'Afghanistan], il était désœuvré, totalement désorienté... Peut-être que les gens voient difficilement un avenir après l'Afghanistan, je ne sais pas.»

Ensuite, parce que l'institution ne veut pas en parler, ne veut pas l'entendre. Pourtant, ces jeunes qui n'ont même pas commencé leur carrière sont confrontés à la mort... sans possibilités d'être écoutés ou entendus.

Fin janvier, alors qu'on comptait une dizaine de présumés suicides, la Défense nationale s'est finalement décidée à répondre à cette crise en accélérant l'embauche de spécialistes. De plus, le ministre de la Défense nationale Rob Nicholson a également annoncé avoir constitué une équipe spéciale afin de rattraper tout le retard accumulé dans les enquêtes sur les suicides.

Il y avait tout récemment encore jusqu'à 50 dossiers ouverts à différentes étapes d'enquête, certains remontant à cinq ans, qui n'étaient pas encore arrivés à conclusion.

« Les résultats de ces enquêtes permettront de mieux comprendre le suicide dans les Forces armées canadiennes, et la façon dont nous pouvons améliorer la qualité de notre programme de soins de santé mentale», a déclaré pour sa part en avril le chef d’état-major du Canada, le général Tom Lawson.

Pour leur part, les deux partis de l’opposition n’ont pu que souligner qu’il était «profondément choquant» que des soldats aient dû s’enlever la vie pour que la bureaucratie fédérale commence enfin à bouger.

Tant le député néo-démocrate Jack Harris que la critique libérale de la défense Joyce Murray ont affirmé que cela était inadmissible, surtout à la lumière des histoires entendues des soldats et des familles qui attendent parfois jusqu’à deux ans pour avoir accès à des services

Des vétérans sont eux-mêmes montés au front pour prendre le problème par les cornes. Mi-janvier, ils ont lancé une ligne d'aie sans frais pour fournir un système de soutien aux anciens militaires et aux militaires encore en service aux prise avec le syndrome de stress post-traumatique et les autres troubles liés au stress opérationnel.

Et les soins? Si le manque de soins a été beaucoup dénoncé, ce ne serait pas la réalité. Beaucoup d'anciens et d'actuels militaires, certains ayant été confrontés à une tentative de suicide ou d'autres ayant le SSPT, nous ont indiqué que les soins existent et que les moyens sont mis à la disposition des militaires. En revanche, il n'y avait, jusqu'à tout récemment, que peu de communication à ce sujet. Il fallait donc se battre pour savoir ce qui existait.

Nous ne mentionnerons même pas la problématique de la «culture» militaire voulant qu'un soldat qui se soigne ou qui est malade est un soldat faible. Demander des soins, c'est comme aller chez le médecin. Pas de honte à se faire soigner!

Début août 2013, une autre problématique a été soulevée lorsqu'un militaire de la base de Petawawa se disant atteint du SSPT aurait poignardé sa femme à de multiples reprises. Il a été formellement accusé de meurtre prémédité.

Comme l'a dit en décembre dernier, le général Tom Lawson, chef d'état-major de la Défense, «les tabous doivent cesser».

Rappelons qu'à défaut de contacter un des programmes d'aides des Forces armées canadiennes, il existe de l'aide dans le civil, comme la ligne 1 866 277 3553 de l'Association québécoise de prévention du suicide ou on peut appeler tout simplement le 911. Il y a également la ligne d'aide lancée par des vétérans, le 1 855 373 8387.

Un frère d'armes est un frère avant tout, alors aidez-vous les uns les autres, vous vous aiderez vous-même!

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