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Appropriation culturelle de la poutine: réponse de l'auteur

L'appropriation est uniquement dans l'identification de la poutine en tant que plat de cuisine canadienne. Pourquoi cela représente-t-il une appropriation culturelle, et surtout, pourquoi est-ce que ce sujet importe? C'est juste de la poutine après tout!
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Depuis quelques jours, le contenu de mon article Poutine Dynamics suscite de vives réactions. J'y avance que l'identification de la poutine en tant que plat de cuisine canadienne plutôt que plat de cuisine québécoise représente une appropriation culturelle. Attention aux dérives, je n'y prétends pas que la consommation, la préparation ou l'adaptation de la poutine en dehors des frontières du Québec représenterait une appropriation culturelle - au contraire, la moitié de mon article fait l'éloge de cette hybridation culturelle. L'appropriation est uniquement dans l'identification de la poutine en tant que plat de cuisine canadienne. Pourquoi cela représente-t-il une appropriation culturelle, et surtout, pourquoi est-ce que ce sujet importe? C'est juste de la poutine après tout!

S'il existe un besoin d'attribuer une appartenance à ce mets, elle ne peut être autre que québécoise. Pour comprendre pourquoi, il faut se tourner vers le contexte sociohistorique dans lequel s'inscrit la poutine au sein de la société québécoise. Ce plat d'origine populaire, qui a vu le jour à la fin des années 1950 dans le Centre-du-Québec, a longtemps été ridiculisé, en plus d'être utilisé pour humilier, rabaisser et réduire la capacité d'agir de la société québécoise. Or, la consommation de la poutine est récemment devenue en vogue, et ce même à l'extérieur du Québec. Du même coup, le plat a commencé à être identifié comme un plat typiquement canadien, voire comme le plat national du Canada.

Les conclusions de Poutine Dynamics suggèrent ainsi que les processus d'assimilation de la société québécoise historiquement construits sur des procédés de dénigrement et de rejet de sa culture font aujourd'hui place à certains procédés basés sur l'appropriation culturelle.

En quoi est-ce de l'appropriation culturelle? Il y a appropriation culturelle lorsqu'un groupe majoritaire ou dominant utilise ou fait sien un élément culturel d'un groupe minoritaire, minorisé ou marginalisé au préjudice de ce dernier. Dans le cas de l'appropriation de la poutine, le préjudice -- la conséquence négative pour le groupe mineur -- vient du processus de dilution, voire d'effacement, de la culture québécoise au profit du groupe majeur canadien. Les conclusions de Poutine Dynamics suggèrent ainsi que les processus d'assimilation de la société québécoise historiquement construits sur des procédés de dénigrement et de rejet de sa culture font aujourd'hui place à certains procédés basés sur l'appropriation culturelle. Voilà pourquoi ce débat importe, et voilà aussi la beauté des food studies qui nous permettent d'utiliser la nourriture pour débattre publiquement d'enjeux qui seraient autrement trop sensibles.

Différents exemples de canadianisation de la poutine. Image coin supérieur gauche: The Sporkful qui souhaite "Happy Canada Day" sur Facebook, avec une photo de poutine. Image coin supérieur droit: croustilles à saveur de poutine avec la mention "inspiré par le Canada". Image inférieure: Smoke's poutinerie qui décrit la poutine comme étant le mets iconique du Canada.

Je ne compte plus les entrevues que j'ai accordées sur le sujet dans les derniers jours. Je compte cependant parmi les réponses récurrentes deux préconceptions :

1) « Puisque le Québec est dans le Canada, la poutine serait de facto un plat canadien. »

Cet argument se tient sur une pente glissante qui mène à prétendre que la culture québécoise équivaut à la culture canadienne, et à nier l'existence du Québec en tant que société distincte. Attention, il n'est pas ici question d'indépendance ou de relations anglo-franco. Le Gouvernement canadien reconnait officiellement le Québec en tant que nation distincte. Qui dit nations distinctes, dit cultures - et donc gastronomies - distinctes. Si dès qu'un trait culturel québécois commence à être apprécié à l'international, il se met à être identifié comme typiquement canadien, cela empêche la culture québécoise de rayonner, et vient s'inscrire dans des processus d'absorption et d'assimilation. Tout ça n'est pas sans rappeler les raisons pour lesquelles la cuisine cajun est différenciée dans le contexte états-unien.

2) « L'appropriation culturelle est un concept inutile, voire nocif, aux échanges culturels. Il empêcherait, par exemple, de dire que la poutine est à la fois un plat du Centre-du-Québec et un plat québécois. »

La différence entre cet exemple et celui de la canadianisation de la poutine, c'est qu'il n'implique pas un rapport de domination, comme cela est requis pour parler d'appropriation culturelle. La culture est un phénomène de groupe qui peut transcender les frontières, et dont les éléments sont appris et partagés. Le partage implique une notion de réciprocité. Si un groupe mineur indique à un groupe majeur ou dominant qu'il n'y a pas de réciprocité, il peut y avoir appropriation. Ainsi, dans le cas de la canadianisation de la poutine, s'il y a un malaise palpable, c'est qu'un lien de réciprocité est brisé. Le stigma de la poutine a été subi par la société québécoise entière, incluant les personnes du Centre-du-Québec qui de façon réciproque s'identifient en tant que personnes québécoises. Dans ce contexte, l'appellation de la poutine comme plat de cuisine québécoise originaire du Centre-du-Québec semble légitime, contrairement à celle controversée de la poutine en tant que plat de cuisine canadienne.

Selon les contextes, l'appropriation culturelle peut prendre différentes formes et impliquer différents degrés de préjudice. Précisions ici que dans le contexte de la société québécoise, il existe une pluralité de groupes dont plusieurs sont mineurs. Les revendications de ces groupes liées à une appropriation culturelle sont ainsi bien souvent plus valables que de réclamer que cesse l'appropriation culturelle de la poutine. Il en revient au groupe majeur de se responsabiliser face à celles-ci.

Poutine Dynamics fait partie de l'édition 7.2 de CuiZine : Le journal des études sur l'alimentation au Canada, un journal revu par les pairs et libre d'accès hébergé par l'Université McGill (version intégrale ; version résumée en français). Poutine Dynamics est récipiendaire du Student Paper award 2017 octroyé par l'Association canadienne des études sur l'alimentation.

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