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«Je me dois d'être austère...»

Imaginez que vous venez d'être élu et que le premier ministre vous nomme à la tête de la Santé. Vous avez hâte de commencer, vous avez hâte à vos premières rencontres de négociations, vous trépignez d'excitation...
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Imaginez-vous pendant un instant que vous venez d'être élu au gouvernement, félicitations! Grâce à votre stature et à votre apport au parti, vous savez que vous aurez fort probablement un ministère ou deux à gérer. Effectivement, le premier ministre vous nomme à la tête de la Santé. Vous êtes heureux comme un bœuf, vous vous y connaissez en santé, vous êtes médecin après tout! De plus, vous adorez négocier, vous aurez donc tout un plaisir à négocier serré avec les médecins pour vous assurer que le gouvernement n'y perd pas au change. Vous avez hâte de commencer, vous avez hâte à vos premières rencontres de négociations, vous trépignez d'excitation...

Vous voilà donc dans votre nouveau bureau, avec une seule directive claire, ne pas augmenter les dépenses et les réduire d'une façon ou d'une autre. Vous êtes donc pratiquement aussi excité qu'en arrivant... Car après mûre réflexion, vous réalisez qu'il n'y a pas d'argent à sauver dans les négociations avec les médecins : même si vous êtes un adversaire redoutable en négociation, le résultat de votre meilleure performance ne sera, qu'au mieux, une légère augmentation des salaires ou des avantages sociaux de ces derniers. En bonus, vous arriverez peut-être à les faire travailler plus, mais cela n'aura comme effet que de ralentir les augmentations de dépenses, aucune réduction de celles-ci!

« Humm... » Une réflexion nait en vous... Vous vous dites tout à coup que même si vous êtes d'accord avec la prémisse de votre patron, l'austérité, ce ne sera pas aussi facile que vous l'aviez envisagé. Vous demandez donc à vos sous-ministres et aux hauts fonctionnaires de vous dénicher les dossiers qui ne touchent pas la plupart de vos électeurs, ni une grande partie du public. Vous êtes intelligent et prévoyant, vous savez ou vous aller couper: là où l'impact ne jouera pas sur votre image publique, là où vous aurez le support de certains portes-paroles de la droite, là où vos chances de nuire à votre réélection sont les plus basses.

Après quelques mois, vos sous-ministres vous reviennent en vous disant n'avoir rien trouvé selon vos critères, ils vous donnent donc ce qu'ils ont trouvé de mieux: la fécondation assistée. Elle possède un gros budget, vous êtes d'accord avec l'austérité et puis vous avez des objectifs après tout! Vous n'êtes pas allé en politique pour vous tourner les pouces ou vous poser des questions sur vos convictions!

Vous naviguez donc avec les chiffres en vous rendant compte que les coupures que vous allez faire seront absurdes dans leur critères, que leur impact sera des plus difficile à prévoir et qu'en plus les économies seront ridicules... Mais vous avez des objectifs: réduire les dépenses et puis votre patron ne vous a pas donné de montants précis. L'important c'est de rester dans le concept d'austérité, pas nécessairement d'en faire quelque chose de concret et d'utile à la société! Selon vous, de toute façon, l'austérité en soi, peu importe comment elle est appliquée, c'est un baume qui relancera le dynamisme individuel!

Vous faites donc des simulations en modifiant quelques règles d'admissions au programme d'aide à la fécondation. Vous jouez avec les chiffres et les règles, après tout, un être humain normal n'a pas besoin de cela : il n'a qu'à copuler! Et si ça ne fonctionne pas, on les aidera dans trois ans. Si le couple tient la route pendant ce temps, vous dites-vous intérieurement. Sinon, ce sera une économie bonus à moyen terme, voilà!

Vos objectifs d'austérité ne vous permettent pas d'évaluer combien il est plus rentable à long terme d'avoir un nouvel humain québécois que d'empêcher, par les embûches artificielles, l'aide à la fécondation! Pour valider vos coupes arbitraires, vous pourrez de toute façon vous appuyer sur certaines statistiques bien choisies et certains termes appropriés comme: «la plupart des couples», «la majorité des femmes» et «des économies substantielles». Ce n'est pas faux.

Voilà, dossier clos! Les journaux vont se plaindre quelque temps, peut-être même les juristes, mais la population elle, saura que seuls les riches devraient avoir droit à l'aide à la fécondation et les autres, ils ne sont que des profiteurs. Même si vos coupes sont arbitraires, même si vous avez joué avec les règles qu'en ne comparant la colonne des dépenses, vous êtes certain que l'impact sur les naissances ne se fera pas sentir... Enfin... Une petite voix à l'intérieur de vous tente de s'exprimer: «À moins que le collègue de l'éducation, que celui de la famille, ou encore celui du trésor, ne fassent aussi des coupes dans les bases de l'aide aux familles...» Non! Vous ne voulez pas penser à cela! Vous, c'est votre objectif d'austérité et votre mission qui vous importe, pas l'objectif d'austérité de vos collègues. L'ensemble de l'œuvre est le problème des futurs gouvernements ou au pire, de votre patron.

Vous voilà donc avec un dossier réglé, ou presque! Voilà donc qu'un nouveau dossier à gros budget, et possiblement une cible opaque pour le public, vient de se déposer sur votre bureau : les méga-hôpitaux. Pour ce dossier, vous devez par contre placer vos pions avant de pouvoir faire vos changements : c'est bien plus difficile de les faire lorsqu'un conseil d'administration indépendant tient les rênes du budget... En plus, ça fera plaisir à quelques amis!

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