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Réduire les pertes de l'industrie agroalimentaire: inefficace contre la faim

Le problème de la faim ne sera pas résolu par la réduction du gaspillage, puisque la faim n'est pas le résultat d'un manque de nourriture localisé mais bien le résultat de revenus insuffisants.
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Éliminer le gaspillage de nourriture en redistribuant les surplus aux personnes défavorisées semble logique. Moins de gens souffriraient de la faim, et nous produirions moins de déchets. C'est en tout cas ce que prétendent les partisans du projet de loi C-231, déposé par la députée Ruth Ellen Brosseau et portant sur la lutte au gaspillage alimentaire.

Or, ce mariage est voué à l'échec. Au même titre que d'autres initiatives semblables, ce projet de loi d'initiative parlementaire ne s'attaque pas aux vraies causes de la faim et du gaspillage. En faisant un amalgame confus entre ces deux enjeux, j'ajouterais même qu'il entrave le développement de stratégies plus efficaces.

En résumé, le problème de la faim ne sera pas résolu par la réduction du gaspillage, puisque la faim n'est pas le résultat d'un manque de nourriture localisé mais bien le résultat de revenus insuffisants. Les gens souffrent d'insécurité alimentaire parce qu'ils sont incapables de payer leur facture d'épicerie.

Le problème du gaspillage ne sera pas davantage résolu par les stratégies de redistribution aux ménages à faible revenu, puisque les immenses surplus de nourriture ne sont pas le résultat d'un manque de bouches à nourrir, mais bien le résultat des inefficacités de l'industrie agroalimentaire, dont les politiques se traduisent par des récoltes détruites ou endommagées, la surproduction de denrées largement subventionnées, et un modèle de vente au détail axé sur la surabondance. À cela s'ajoute le comportement des consommateurs, qui emplissent leur panier avec les meilleures intentions du monde, mais laissent trop souvent leurs denrées pourrir au fond du réfrigérateur.

La pauvreté n'a rien à voir avec le fait que nous jetons de 30 à 40 pour cent de la nourriture produite.

Nous avons du pain sur la planche, car nous devons attaquer tous ces problèmes de front et à la source pour avoir quelque chance de succès.

Pour enrayer le problème de la faim au Canada, nous devons d'abord faire en sorte que les personnes souffrant d'insécurité alimentaire aient accès à la nourriture. Cela implique de revoir nos méthodes de calcul de la pauvreté.

La proportion de travailleurs pauvres, dont le salaire ne parvient pas à couvrir les nécessités de base, ne cesse en effet d'augmenter au pays. Les données les plus récentes du Projet de recherche en insécurité alimentaire de l'Université de Toronto indiquent que la majorité des ménages souffrant d'insécurité alimentaire peuvent compter sur un revenu d'emploi. Les salaires inadéquats sont donc au cœur du problème au même titre que la maladie, les handicaps, l'accessibilité de plus en plus restreinte aux programmes d'assistance sociale et les maigres pensions de vieillesse. Bref, la pauvreté n'a rien à voir avec le fait que nous jetons de 30 à 40 pour cent de la nourriture produite.

Bien entendu, le gaspillage demeure un enjeu majeur qui mérite toute notre attention. Produire autant de nourriture accapare une quantité considérable de ressources. La valeur de l'eau, de l'énergie, des terres agricoles et de la main d'œuvre utilisées en pure perte totalise 100 milliards de dollars par an. Les aliments qui aboutissent au dépotoir contribuent également aux changements climatiques, puisqu'ils génèrent 20 pour cent des émissions de méthane du Canada.

Toutefois, ce gaspillage n'est pas uniquement attribuable aux détaillants, qui sont la cible de la plupart des projets de redistribution. Le gaspillage survient en effet à toutes les étapes de la chaîne, c'est-à-dire du champ au frigo. En réalité, 34 pour cent de la nourriture est perdue avant même d'aboutir sur les tablettes des supermarchés, et 47 pour cent est perdue à domicile. Les détaillants et les restaurateurs ne sont responsables que de 10 et 9 pour cent des pertes à l'échelle nationale.

Si nous voulons résoudre ce problème monumental, nous devons développer une approche systémique et globale, qui passe par la taxation des déchets et l'éducation du public aux bonnes pratiques de réduction des déchets à la source.

Mais de grâce, cessons de confondre la lutte au gaspillage alimentaire et la lutte à la pauvreté. Cet amalgame est extrêmement dommageable sur le plan moral. Sommes-nous en train de dire que les personnes démunies méritent uniquement de manger les rebuts de l'industrie, qui se caractérisent souvent par leur forte teneur en sel, en sucre et en gras et leur propension à augmenter le risque de maladies? Il n'y a aucun doute que nous pouvons et devons faire mieux en tant que société.

Rediriger les surplus de l'industrie vers un nombre toujours plus grand de banques alimentaires ne réglera pas le problème de fond.

Les premières banques alimentaires, qui ont fait leur apparition au Canada il y a environ 40 ans, étaient perçues comme un palliatif temporaire. Malheureusement, la faim a progressé de manière constante depuis les années 1970.

Plus de quatre millions de Canadiennes et de Canadiens se demandent chaque jour quand sera leur prochain repas. Plusieurs sont contraints de se priver afin que leurs enfants puissent manger. Toutefois, rediriger les surplus de l'industrie vers un nombre toujours plus grand de banques alimentaires ne réglera pas le problème de fond. Ce geste profite surtout aux donateurs, qui s'en servent pour mener de belles campagnes de relations publiques.

Dans le même ordre d'idées, les projets visant à instaurer des incitatifs fiscaux favorisant la redistribution des surplus aux organismes de bienfaisance - comme celui préconisé par le National Zero Waste Council - seront surtout à l'avantage des grandes entreprises. Ils ne visent pas à changer nos habitudes et vont même jusqu'à reléguer au second plan des débats plus productifs sur l'éradication de la pauvreté.

Au lieu d'encourager la surproduction en faisant miroiter des crédits d'impôt, nous devrions appuyer les travailleurs et les travailleuses qui réclament des salaires décents et viables. Nous devrions utiliser les fonds publics pour renforcer notre filet de sécurité sociale, et faire en sorte que personne ne dépende des rebuts de quelqu'un d'autre pour assurer sa subsistance. Nous devons appuyer les politiciens qui agissent dans un souci d'équité et de justice, et imaginer des solutions à la faim et à la pauvreté qui seront à la fois durables et rassembleuses.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post Canada.

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