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Élections en RDC: quel rôle pour la communauté internationale?

Le gouvernement congolais a-t-il été avant-gardiste en excluant la communauté internationale du processus électoral congolais?
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Le candidat de l'opposition congolaise, Martin Fayulu, salue ses partisans lors d'un rassemblement à Kinshasha, au Congo, le vendredi 11 janvier 2019. Des centaines de personnes se sont rassemblées pour dénoncer ce qu'ils ont appelé «la victoire volée du peuple» aux élections présidentielles.
AP Photo/Jerome Delay
Le candidat de l'opposition congolaise, Martin Fayulu, salue ses partisans lors d'un rassemblement à Kinshasha, au Congo, le vendredi 11 janvier 2019. Des centaines de personnes se sont rassemblées pour dénoncer ce qu'ils ont appelé «la victoire volée du peuple» aux élections présidentielles.

Pour la première fois de son histoire, la République démocratique du Congo (RDC) va connaître une alternance politique du pouvoir depuis son indépendance en 1960. Alors que l'élection de Félix Tshisekedi en tant que président, grâce aux résultats obtenus au scrutin du 30 décembre 2018, pour succéder à Joseph Kabila suscite beaucoup d'espoir, il semble par la même occasion plonger le pays dans une crise politique du moins inattendu.

Sorti deuxième, le candidat Martin Fayulu dénonce un «hold-up électoral» et saisit la cour constitutionnelle afin de contester les résultats proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Étant donné que plusieurs thèses ont déjà été élaborées sur ce sujet, ce texte veut se distinguer en focalisant le débat autour du rôle que peut jouer la communauté internationale dans les élections africaines. Pour ce faire, la présidentielle Ivoirienne de 2010 sera évoquée en fin d'article dans le but de percevoir des similarités avec le cas de la RDC.

Martin Fayulu, qui était alors inconnu à l'échelle nationale, voit sa popularité s'accroître grâce notamment aux caméras des chaînes internationales telles que TV5, France 24 et RFI. Le temps d'antenne accordé à Martin Fayulu laisse croire que l'Occident en général, et la France en particulier, s'est choisi son candidat.

La confirmation de ce choix intervient quelques heures après que des résultats provisoires, annoncés par la Ceni, accordent à Félix Tshisekedi 38,54% des voix, loin devant ses deux principaux rivaux, Martin Fayulu et Emmanuel Shadary qui obtiennent respectivement 34,83% et 23,84% des suffrages exprimés.

C'est la France qui réagit en premier pour contester. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, soutient sur la chaîne Cnews, que «les résultats proclamés [...] ne sont pas conformes aux résultats que l'on a pu constater ici ou là, parce que la conférence épiscopale du Congo [CENCO] a fait des vérifications et annoncé des résultats qui étaient totalement différents».

Selon les données dont dispose la CENCO, «Monsieur Fayulu était a priori le leader sortant de ces élections», conclut le ministre. Rappelons-le, quelques jours auparavant, la France avait également saisi le Conseil de sécurité des Nations unies afin de faire pression sur la Ceni.

Comment expliquer l'intérêt de la France sur les élections congolaises?

C'est depuis les dernières élections de 2011 que les relations entre la RDC et les pays occidentaux ont commencé à se refroidir. Joseph Kabila, autrefois l'allié des Occidentaux, a changé de stratégie. Il s'est tourné vers la Chine et la Russie et leur a accordé un accès privilégié aux contrats congolais, tant sur le plan économique que militaire. Ainsi, c'est au profit de la Chine et de la Russie que l'Occident a vu son influence diminuer dans cette région hautement stratégique économiquement et géopolitiquement. La RDC, qui partage ses frontières avec neuf autres pays, occupe une position centrale en Afrique et permet d'avoir accès à la région des Grands Lacs, riche en minerais.

C'est à coup de sanctions infligées à Kabila et ses proches que les États-Unis et l'Union européenne (EU) ont essayé de reprendre la main, mais sans trop de succès. Les sanctions ont eu l'effet pervers de radicaliser le régime Kabila, qui est allé jusqu'à refuser l'aide des États-Unis, de l'UE et de l'ONU dans l'organisation des récentes élections. De même, il a privé de visas à tous les Occidentaux qui souhaitaient faire le déplacement pour assister aux élections congolaises en qualité d'observateur.

Kabila a également forcé à l'exil son principal adversaire, Moise Katumbi, l'ancien gouverneur du Katanga qui entretient de bonnes relations avec plusieurs pays occidentaux, tel que la France, la Belgique et les États-Unis.

Moise Katumbi qui reste très populaire auprès des Congolais n'a pas pu présenter sa candidature, alors qu'on lui donnait une longueur d'avance sur l'ensemble des candidats.

N'ayant pas d'autres options, les Occidentaux ont été contraints de se trouver un autre allié et se sont tournés vers Martin Fayulu, un proche de Moise Katumbi. C'est d'ailleurs sous la coalition LAMUKA (réveille-toi, en français), qui compte les opposants les plus farouches de Kabila, dont Moise Katumbi et Jean-Pierre Bemba (récemment acquitté par la Cour pénale internationale), que Fayulu a présenté sa candidature.

La presse internationale fait-elle officieusement pression?

TV5 Monde, RFI et le Financial Times, affirment avoir en leur possession plusieurs documents qui remettraient en cause les résultats proclamés par la Ceni. D'après une rigoureuse analyse faite conjointement avec le Groupe d'étude sur le Congo, un institut de recherche de l'Université de New York, les médias occidentaux affirment que Martin Fayulu serait le vrai vainqueur de ses élections avec 62,8% des suffrages, devant Emmanuel Shadary qui obtient 17,99% et 15% pour Felix Tshisekedi.

Le collectif de journalistes et chercheurs occidentaux qui expliquent clairement la méthodologie utilisée pour arriver à des telles affirmations, soutient également qu'à part les données de la CENCO sur lesquelles on peut se fier, celles obtenues du fichier de la Ceni n'avaient «ni en-tête, ni logo ou signes caractéristiques de la Commission» (TV5 Monde) et sont passées dans les mains de la coalition LAMUKA.

La fiabilité des données présentées remise en question

Premièrement, le nom de la personne ayant fourni ces informations reste inconnu. Deuxièmement, on ne peut pas affirmer avec certitude que ces données viennent bel et bien des fichiers de la Ceni. Tel que l'affirme TV5 Monde, il n'y aucun indicateur sur les documents obtenus permettant de retracer sa provenance. Néanmoins, Gérard Gérold, présenté comme expert en matière électorale, et ancien conseiller de la mission de l'ONU en RDC affirme que: aucun autre organe dans le pays n'est capable de produire et de compiler de telles données, aussi précises et détaillées.» Finalement, les données provenant de la CENCO sont un échantillon estimé à 43% des suffrages et encore là, il ne s'agit que d'une estimation.

Depuis le début de la campagne, jusqu'aux résultats proclamés par la Ceni, aucun autre candidat à la présidentielle Congolaise n'a eu autant de temps d'antenne que Fayulu auprès des médias internationaux. En communication, l'information est contrôlée et les médias ne donnent que l'information qu'ils souhaitent diffuser. En brandissant Martin Fayulu dans toute la presse internationale qui est très suivie par les auditeurs congolais, y aurait-il eu là une volonté masquée de l'Occident de faire passer Fayulu en force, en dépit du choix des Congolais?

Le cas de la Côte d'Ivoire

Ces manœuvres pilotées par la France rappellent un scénario observé ailleurs en Afrique. Il y a près de 10 ans, en Côte d'Ivoire, la commission électorale ivoirienne (Cei) avait proclamé élu l'actuel président Alassane Ouattara, à la suite des suffrages exprimés aux élections de 2010. Quelque temps après, la cour constitutionnelle avait invalidé ces résultats et avait proclamé Laurent Gbagbo président.

À la surprise des Ivoiriens, la communauté internationale avait proclamé de la bouche de Choi Young-jin, le représentant du secrétaire général des Nations unies à Abidjan, ses propres résultats, différents des deux premiers, qui donnaient Alassane Ouattara gagnant. Avec trois résultats différents, en provenance de trois différentes institutions, on avait là des bonnes raisons pour recompter les voix. Cependant, la France s'opposa à tout recomptage et jusqu'à présent on ne saura jamais lequel des trois résultats était conforme aux urnes.

Afin d'éviter la propagande, les canaux des chaînes internationales, radios et télévisions avaient été interrompus par les autorités ivoiriennes. Pendant quelques mois, la Côte d'Ivoire a été paralysée et coincée entre deux présidents, dont l'un est confirmé par les institutions de l'État et l'autre, prôné par la communauté internationale.

Avec l'aide de la France, tous les moyens furent mis en œuvre pour que Ouattara prenne le contrôle du pays. Outre les moyens militaires mis à la disposition de Ouattara par la France, les médias français répétaient en boucle la victoire de ce dernier. Après des semaines de conflit qui ont fait près de 3000 morts, Lurent Gbagbo fut arrêté par les Casques bleus et envoyé à la CPI. Aujourd'hui, l'histoire nous montre que toutes les accusations retenues contre lui n'ont pas pu être prouvées en cour.

Conclusion: faudrait-il laisser la communauté internationale s'ingérer dans les élections africaines au risque de créer des conflits post-électoraux?

Le mardi 22 janvier, les diplomates européens qui se réunissaient à Bruxelles afin d'apporter une position commune face aux élections en RDC étaient encore divisés. Alors que les uns appelaient à continuer les pressions sur la Ceni et le gouvernement congolais, les autres se voulaient conciliants en saluant la volonté d'alternance exprimée par les Congolais.

Quant au peuple congolais, il devrait rester vigilant et s'assurer que le coup de la Côte d'Ivoire ne se répète pas en RDC. Il est vrai que les médias étrangers restent une source fiable d'information, mais l'information diffusée n'est pas toujours amputée d'impartialité. Autant les médias congolais peuvent être acquis au pouvoir en place, les médias internationaux ont aussi un agenda qui sert avant tout les intérêts de leurs pays respectifs.

Le gouvernement congolais a-t-il été avant-gardiste en excluant la communauté internationale du processus électoral congolais? Pour l'instant, le nouveau président élu vient de recevoir ces premiers messages de félicitations des pays africains tels que l'Afrique du Sud, le Kenya ou encore le Burundi.

L'UE quant à elle, reste prudente et revient sur sa position initiale qui demandait plus de transparence. Certains pays européens ont même annoncé qu'ils enverront des représentants assister à l'investiture du 5e président de la RDC.

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