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Ils ont encore dé-jeûné...

Depuis trois ans, des citoyens algériens organisent des déjeuners publics en plein ramadan, posant sur la voie publique l'épineuse question de la liberté de conscience.
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Pour la troisième année consécutive, des citoyens algériens posent sur la voie publique l'épineuse question de la liberté de conscience. Une première dans le monde arabo-musulman!

Le 3 août 2013, à midi, dans la ville de Tizi Ouzou (Haute Kabylie, est d'Alger), des citoyens ont bravé le saoum (le jeûne) en dé-jeûnant sur la voie publique en plein mois de ramadan. Le même jour, à Aokas, village situé sur la côte de Saphir, à quelques kilomètres de la ville de Béjaia (Basse Kabylie, est d'Alger), un groupe d'individus a entrepris une opération similaire dans les rues de cette station balnéaire où affluent chaque été des milliers d'estivants.

Ramadan 2014. L'action des «dé-jeûners» s'est élargie à d'autres communes de la Kabylie. À Tizi Ouzou, à Aokas, à Akbou (wilaya de Béjaia) et dans la ville de Béjaia, des sit-ins ont été organisés, à midi, sur la voie publique.

Le 25 juin 2015, bien loin de la Kabylie, à Oran (ouest d'Alger), des hommes, accompagnés d'enfants, ont manifesté, arborant des pancartes mettant en évidence des slogans qui revendiquent le droit au non-jeûne et la protection des minorités.

À la même période, la presse locale rapporte qu'à Akbou, le propriétaire d'une cafétéria a fait l'objet d'une «opération policière musclée» lors d'une vérification de papiers. Son crime? Avoir ouvert son commerce en pleine journée et accueilli des «clients habitués».

Tout au long de ces trois années, comment la population a-t-elle perçu ces individus qui ont bravé l'interdit «sacré»? Comment ont-ils été traités par les forces de l'ordre?

En 2013, l'action des dé-jeûneurs de Tizi Ouzou a été fortement critiquée par une grande partie de la population, l'assimilant à une manifestation de politique politicienne. En effet, les protagonistes ont été taxés de partisans du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) convertis au christianisme. Leur manifestation a été interprétée comme un acte de souillure et une tentative de porter atteinte à la religion musulmane.

D'une manière générale, dans les représentations collectives, ces dé-jeûneurs ont essentiellement été perçus comme des mécréants, des semeurs de troubles, des perturbateurs, incitant à la fitna (anomie ou désordre social). À titre d'exemple, le lendemain du premier «déjeuner républicain» organisé à Tizi Ouzou, Ali Belhadj, l'ex-dirigeant de l'ex-Front islamique du salut (FIS), accompagné de religieux, a organisé une séance de prière publique sur le lieu du rassemblement dans le but de purifier la ville de l'acte des dé-jeûneurs.

En 2014, le regroupement des non jeûneurs sur l'esplanade de la maison de la culture de Béjaia a failli tourner à l'émeute. Des natifs de la ville ont réagi violemment à l'encontre des dé-jeûneurs, les accusant de vouloir destabiliser la quiétude de la ville. En guise de riposte, le jour même, à l'heure de l'adann (rupture du jeûne), une poignée d'hommes qui observent le ramadan ont, à leur tour, occupé l'esplanade de la maison de la culture et rompu le jeûne.

À Oran, la police a procédé à l'arrestation d'un groupe de non-jeûneurs pour motifs de «trouble à l'ordre public, association de malfaiteurs, port d'armes prohibées et commercialisation de stupéfiants». Dit autrement, ces individus qui ont bravé les habitudes de jeûne ont été classés par dans la catégorie des délinquants et de «repris de justice».

Pourquoi depuis trois ans, des citoyens algériens organisent-ils des déjeuners publics, en plein ramadan, mois réputé sacré, dans une société où l'islam est la religion de la grande majorité des Algériens?

La liberté de conscience et de religion est la motivation première de l'action de ces dé-jeûneurs. Bien que l'islam ait été institué religion d'État (article 2 de la Constitution algérienne), ce même texte garantit la liberté de culte et de conscience. En effet, la Constitution algérienne (1996/2002/2008) dans son article 36 met l'accent sur «l'inviolabilité» de la liberté de conscience et de la liberté d'opinion, de même que l'article 32 garantit «les libertés fondamentales et les droits de l'homme et du citoyen».

En 2006, un décret publié au Journal officiel algérien réaffirme le principe de liberté religieuse.

Cependant, la liberté de pratiquer une autre religion que l'islam présente des limites puisqu'elle est autorisée dans le respect de l'ordre public et de la moralité et est assortie de mesures qui condamnent le prosélytisme. Il est important de noter que la réciprocité n'est pas toujours de mise pour la religion musulmane.

En février 2010, à l'initiative des Églises évangéliques anglo-saxonnes et sous l'égide du ministre algérien des Affaires religieuses, Bouabdallah Goulamallah, un colloque sur le thème de la liberté de conversion des musulmans convertis au christianisme a été organisé à Alger. Outre des sociologues, des islamologues, des juristes et des historiens ont également participé à ce colloque plusieurs représentants du culte chrétien.

Pourtant dans les faits, la situation n'est pas toujours évidente pour les non croyants et les convertis à une autre religion que l'islam. Durant ces déjeuners publics, les groupuscules composés de personnes athées, de convertis venus de l'islam et de sympathisants de la cause des non-jeûneurs ont dénoncé la répression dont fait l'objet toute personne qui s'aventure à manger en public pendant le mois de ramadan.

«Pourtant«, affirme Brahim, natif d'Aokas et farouche défenseur des droits de l'Homme, «la liberté de mener son existence selon ses propres orientations religieuses est un principe universel, humaniste et on ne peut plus légitime. Nul n'a le pouvoir ni le droit d'interdire à l'autre le droit de changer de religion, de croire ou de ne pas croire.»

Malgré les textes de loi qui garantissent la liberté de culte et de religion, dans la pratique, l'Algérie souffre d'un grand déficit en matière de pluralisme religieux. Pour s'assurer de l'application du principe de liberté, il est indispensable que les pouvoirs publics veillent scrupuleusement à l'application de la loi et à la protection des minorités religieuses, notamment lorsque ces dernières sont haranguées, voire menacées, par des individus qui refusent à l'autre le droit de pratiquer une autre religion que celle que le pouvoir a institué religion dominante. Le grand devoir des dirigeants algériens est d'encourager la cohabitation des groupes de religions qui existent dans la société algérienne et de promouvoir le dialogue des communautés pour un vivre ensemble harmonieux .

Alors que les musulmans vivant en France revendiquent une place plus conséquente à la religion musulmane, pourquoi la réciproque ne serait-elle pas possible en Algérie? Ne serait-il pas logique et naturel que cette liberté religieuse soit pratiquée et respectée également en Algérie, aussi bien par les pouvoirs publics que par les citoyens de confession musulmane?

À lumière de tous ces éléments, il semble important de noter que le grand défi auxquels l'Algérie et beaucoup de pays arabo-musulmans auront à faire face dans les prochaines années concerne la question des religions et de leur place dans ces sociétés et dans les représentations collectives.

La question épineuse de la diversité religieuse ne doit pas éluder la nécessité de la séparation des pouvoirs politique et religieux. En effet, si la liberté de culte et le respect des croyances restent à consolider en Algérie, il nous semble important que soit envisagée la sécularisation des affaires de la cité algérienne aussi bien culturelles, juridiques, politiques et sociales. La désacralisation de l'islam et sa relégation dans la sphère du privé est une nécessité voire une urgence!

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