Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Qui est le chef universel de l'islam?

C'est le Grand Sheykh de l'Azhar, Dr Ahmad al-Tayyeb, qui semble être à la hauteur des enjeux capitaux de ce nouveau siècle de violences religieuses.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Le Grand Sheykh de l'Azhar, Dr Ahmad al-Tayyeb, pape de l'islam?

Il est désormais bien connu que l'Église catholique et les chiites ont un clergé plus organisé que les sunnites. Il peut sembler à certains que les sunnites ont une hiérarchie religieuse d'autant plus confuse, que les sources de production du discours islamique se sont multipliées et les discours sont eux-mêmes très divergents. Pourtant, il existe bel et bien une hiérarchie sunnite. La distinction tient au fait que l'imam a un rôle très différent de celui du prêtre. Il dirige la prière, c'est tout. Tout le monde peut devenir imam. Il est choisi en toute indépendance par sa communauté de prière, parmi les laïcs. Il faut bien distinguer l'imam du prédicateur.

La hiérarchie sunnite commence au niveau du prédicateur, qui officie depuis sa chaire surélevée du minbar, tandis que l'imam est à même le sol, le visage tourné vers le mihrab. Le prédicateur fait face aux fidèles et dit le prêche. L'imam leur tourne le dos, et récite uniquement la prière. Le prédicateur est un « lettré ». Il a étudié la religion. Au-dessus de lui, se trouvent différents niveaux de juges, d'exégètes et de théologiens. Ces docteurs de la religion ont été formés dans les grandes universités islamiques, la plus prestigieuse étant l'Azhar, en Égypte, et dépendent du ministère des Affaires islamiques. On est loin d'un système chaotique et dispersé.

L'autre différence avec l'organisation de l'Église catholique, c'est, aujourd'hui, l'absence d'un chef universel, formellement reconnu comme tel. Chaque pays majoritairement musulman a son mufti. Depuis l'abolition du Califat ottoman par Atatürk, qui a destitué le Calife et son pendant spirituel, le Sheykh al-islam, qui était la plus haute personnalité du clergé ottoman, l'islam a perdu son chef universel. D'ailleurs, il faudrait préciser ce qu'on entend par chef universel. Le Calife était le chef temporel, mais il était dépourvu de tout pouvoir spirituel, qui revenait aux ulaymas, les docteurs de la foi. À leur tête se trouvait le Sheykh al-islam d'Istanbul. Ce dernier était le chef spirituel universel des musulmans sunnites. Sa chaire est demeurée vacante, et d'aucuns se la disputent sans avoir réussi à l'occuper.

Depuis la révolution contre les Frères musulmans, en Égypte, l'Azhar a repris la main sur le champ religieux musulman et se verrait bien occuper la place qu'a perdu le Sheykh al-islam d'Istanbul. On se souvient de la rencontre historique entre le Grand Sheykh et le pape.

L'Azhar est la plus importante institution de l'islam sunnite, dans le monde arabe. Fondée au Caire, en Égypte, dans le milieu du 10e siècle, il y a, aujourd'hui, plus de 1000 ans, par les califes Fatimides, c'est le siège du Grand Sheykh, doyen de tous les ulaymas. Il s'agit d'une institution bicamérale : il y a l'université, qui organise les études de ceux qui exerceront, plus tard, des responsabilités religieuses, et dirige également la recherche en religion. Mais il y a surtout la « mosquée » qu'on appelle aussi la mashéyakhât, le siège du Grand Sheykh, lequel dit la justice au nom de Dieu, et élabore le discours religieux.

«Le Grand Sheykh de l'Azhar, Dr. Ahmad al-Tayyeb, vient tout juste d'inaugurer son combat contre cette pensée déviante en déclarant en Tchétchénie qu'il faut lutter contre le wahabisme et le salafisme, des courants dévoyés étrangers aux ''écoles'' canoniques.»

Il y a peu d'institutions comparables à l'Azhar, dans le monde musulman. On a tous à l'esprit Bagdad et Damas, les capitales abbasside et omeyyade. À Bagdad, la Beyt al-Hikma, haut lieu de la pensée religieuse musulmane, a disparu il y a plus de 700 ans. Damas, elle, demeure encore une cité importante pour les études de l'islam. Mais les écoles y sont trop nombreuses. Et la rivalité des maîtres a empêché qu'émerge un lieu particulier, qui serait devenu LE siège de la recherche religieuse musulmane.

Il existe deux autres universités historiques encore en activité : à Tunis, la Zeytuna qui date du 8e siècle, d'où toute l'Afrique du Nord a été islamisée et le Caravillin de Fès, au Maroc, fondé au 9e siècle. Mais leur influence est infiniment inférieure à celle de l'institution égyptienne.

Cela tient à la structure très particulière de l'Azhar, et au régime sécularisé de l'Égypte. Contrairement au roi du Maroc, la présidence égyptienne est dépourvue de toute fonction religieuse. Le Grand Sheykh de l'Azhar a donc le champ libre. Il a aussi cet avantage d'être un religieux, à l'inverse du roi du Maroc, qui est un chef d'État, dont la vocation est donc limitée à son pays. Le Grand Sheykh, en tant que religieux dépourvu de tout rôle politique et institutionnel auprès de l'État égyptien, a une vocation universelle, qui dépasse largement les frontières égyptiennes. Enfin, l'Égypte est le foyer de civilisation de l'Orient. Elle est naturellement à la tête du monde arabe. L'Azhar tire aussi son autorité d'être égyptienne.

C'est la mashéyakhât qui permet à l'Azhar d'incarner une certaine autorité dans le monde musulman, alors que les autres institutions sont seulement des universités. Cela signifie que l'Azhar dispose d'une structure depuis laquelle elle exerce, en sus de la direction des études et de la recherche religieuse, l'autorité judiciaire en la matière du droit religieux.

Cela fait de son Grand Sheykh, le juge suprême de l'islam, ou disons, dans un vocabulaire qui choquerait moins le consensualisme sunnite, qu'il est le doyen des juges de l'islam. On pourrait le comparer, sous certaines réserves, au Sheykh al-islam ottoman.

La mashéyakhât de l'Azhar est le siège d'un pouvoir religieux sans équivalent dans le monde sunnite.

Le Grand Sheykh de l'Azhar, qui est actuellement le Dr Ahmad al-Tayyeb, est la plus importante référence religieuse sunnite. À l'inverse du pape, toutefois, il est contestable, certes très difficilement, par le collège de ulaymas, qu'il préside. D'ailleurs, c'est un abus de langage de dire qu'il serait le pape des musulmans sunnites. Il est le doyen des ulaymas, le « premier juge ». Il préside le collège du haut clergé.

Sa mission est de maintenir le consensus, et de le renforcer. À cet égard, il a le devoir d'être neutre par rapport aux diverses sensibilités doctrinales, dont il doit assurer l'expression libre, dans le cadre des écoles canoniques.

Dans notre contexte contemporain, sa première mission est de combattre le takfirisme, qui est une menace contre l'ijtimaa', l'idée de l'unité plureille par consensus. Takfir signifie prononcer l'accusation de mécréance. C'est un courant qui accuse toutes les autres sensibilités musulmanes d'être hérétiques. Le calife de Daech est aujourd'hui le chef politique de ce courant né du wahabisme, lequel puise ses origines dans une certaine lecture de l'œuvre de Taymiya par Ibn Wahab, le fondateur du courant éponyme.

Le Grand Sheykh de l'Azhar, Dr. Ahmad al-Tayyeb, vient tout juste d'inaugurer son combat contre cette pensée déviante en déclarant en Tchétchénie qu'il faut lutter contre le wahabisme et le salafisme, des courants dévoyés étrangers aux « écoles » canoniques.

On peut donc dire aujourd'hui que l'islam est en train de retrouver un chef spirituel universel. C'est le Grand Sheykh de l'Azhar, Dr Ahmad al-Tayyeb, qui semble être à la hauteur des enjeux capitaux de ce nouveau siècle de violences religieuses.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Assaut sur Fallouja, bastion du groupe État islamique (mai 2016)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.