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Syrie, la guerre qui change le monde

L'affrontement des puissances se disputant le leadership de la région ne fait qu'enfiévrer une arène hautement inflammable.
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Toutes les guerres ont une fin et celle-ci ne fera pas figure d'exception.
Bassam Khabieh / Reuters
Toutes les guerres ont une fin et celle-ci ne fera pas figure d'exception.

Depuis sept ans, un conflit au cœur de la poudrière moyen-orientale est en train de reconfigurer l'ordre mondial. La Syrie, devenue l'épicentre d'un conflit global, est le théâtre de guerres par procuration qui ont coûté la vie à plus de 340 000 victimes et condamné à l'exode des millions de naufragés. Un « conflit non international » qui a détruit un pays, ébranlé toute une région, attisé l'escalade entre puissances, permis la montée du terrorisme, déstabilisé l'Europe et remis en cause le tracement des frontières. Le chaos syrien se nourrit de plusieurs guerres interconnectées où se joue le destin des nouveaux équilibres du monde, chaque belligérant étant soutenu par des acteurs régionaux, impliquant des puissances internationales, sur un territoire morcelé. Dans cette sanglante partie d'échecs, les enjeux extérieurs s'enchevêtrent aux enjeux internes dans l'une des principales zones sismiques des relations internationales.

La guerre de tous contre tous

L'affrontement des puissances se disputant le leadership de la région ne fait qu'enfiévrer une arène hautement inflammable. Par des raids aériens récurrents, Israël veut prolonger la guerre chez son voisin afin d'affaiblir par effet de domino «l'axe du mal» auquel appartiennent le Hezbollah et Téhéran, ses ennemis prioritaires et alliés de Damas. Au Liban, le risque d'embrasement est accentué par les tensions entre Téhéran et Riyad autour du Hezbollah, mais c'est la Syrie et le Yémen qui constituent les champs de bataille du bras de fer entre l'Iran et l'Arabie Saoudite. En effet, l'axe politique reliant Damas à Téhéran a permis à l'Iran d'étendre son influence par une assistance multiforme au pouvoir syrien. Bien que partageant la volonté d'abattre le gouvernement syrien en parrainant les groupes armés de l'opposition, le Qatar se retrouve mis au ban par Riyad l'accusant de soutenir le terrorisme, mais fait surtout payer au petit émirat gazier son rapprochement avec Téhéran. Instrumentalisant le religieux au service du politique, Riyad hanté par le spectre de « l'influence chiite », continue d'utiliser les éléments les plus radicaux de la rébellion. Les rebelles très divisés qui se mènent des luttes intestines perdent du terrain depuis l'intervention russe. Ils restent actifs, dans la banlieue de Damas, au Sud et dans la province d'Idleb, dominée par Al Qaeda. Au niveau politique, excepté leur volonté commune de se débarrasser d'Assad, les membres de l'opposition s'opposent sur la majorité des sujets. Leur fragmentation prouve pour le moment leur incapacité à régir un pays aussi sensible que la Syrie.

L'intérêt de Washington n'est pas la défense de la cause kurde, mais de garantir la sécurité d'Israël, de ménager l'Arabie Saoudite détentrice de la manne énergétique, mais surtout l'endiguement de son grand ennemi iranien.

La Turquie instrumentalise certaines factions comme l'Armée Syrienne Libre pour un autre agenda. Ankara, qui a joué un rôle actif dans la formation de l'opposition armée et rêvait d'un « régime change», s'assigne une autre priorité : empêcher la constitution d'une entité autonome kurde. Cependant, l'implication des milices kurdes syriennes, les YPG, dans le combat contre Daesh en a fait les alliés de Washington. Cela entraîne des tensions entre la Turquie et les États-Unis et également un alignement déjà amorcé d'Ankara sur la position russe, qui promet aux Kurdes l'octroi d'un statut fédéraliste s'ils consentent à un modus vivendi avec Damas. Tout en ayant une sorte d'accord de non-agression avec les forces kurdes malgré certains affrontements, Damas voit avec intérêt l'affaiblissement des YPG et espère récupérer ces territoires, riches en hydrocarbures, pour restaurer son autorité sur l'ensemble du territoire national. Pour Moscou, jouer la carte kurde permet de prendre un peu plus l'ascendant sur Ankara, en accentuant les divergences avec Washington, qui a paradoxalement comme alliés deux ennemis communs. Dans ce jeu d'alliances qui se font et se défont au gré des intérêts, les Kurdes pourraient être sacrifiés par leur allié, qui privilégiera l'apaisement avec son allié de l'OTAN. L'intérêt de Washington n'est pas la défense de la cause kurde, mais de garantir la sécurité d'Israël, de ménager l'Arabie Saoudite détentrice de la manne énergétique, mais surtout l'endiguement de son grand ennemi iranien.

Un Orient en quête d'orientation

Dans cette mosaïque de fronts mal éteints et évolutifs, d'alliances de circonstances entre faux alliés et vrais rivaux, les perspectives de solution politique restent sombres. L'issue ne se dessinera pas en une solution globale, mais prendra la forme d'une série d'aboutissements. Dans cette partie où se décide le sort de la région, mais aussi celui de l'Europe prise aux dépourvues d'une action qui se fait sans elle, Moscou et Washington ne pourront être les seuls acteurs d'une solution, même si cela reste impossible sans eux. La Russie s'est imposée comme principal interlocuteur de toutes les puissances en profitant d'une passivité diplomatique d'une communauté internationale engluée dans ses contradictions. Face à un pays exténué et fracturé, la priorité est de cesser le soutien aux groupes islamistes qui pullulent sur le terrain et ne sont que l'un des mille visages d'Al Qaeda. Pour en finir avec cette idéologie qui emporte des jeunes du monde entier capables de tout sacrifier en son nom, il est fondamental de changer de politique à l'égard des pays avec lesquels nos démocraties entretiennent des liaisons dangereuses et qui abreuvent ces groupuscules de pétrodollars. Il faudrait des mesures sécuritaires plus coordonnées sans restreindre les libertés individuelles et soutenir les acteurs au niveau socio-éducatif promouvant un Islam en accord avec les libertés fondamentales de la démocratie. Même si Daesh a été défait militairement au Levant, la capacité de nuisance de telles organisations reste encore bien vivante. On ne tue pas une idéologie qu'avec des balles. Tout comme les kalachnikovs, les F16 ou les MIG n'instaureront pas la paix. La paix suppose d'établir un cadre qui permette une représentation politique équitable de toutes les idées. Tous devraient soutenir objectivement le processus de paix de l'ONU défini dans la résolution 2254 prévoyant un cessez-le-feu permettant une transition suivie de l'élaboration d'une nouvelle constitution avec des élections sous égide onusienne.

Toutes les guerres ont une fin et celle-ci ne fera pas figure d'exception. Un siècle après la fin du premier conflit mondial, lesquels de ces protagonistes qui ont tous contribué au tourbillon de violence qui a ravagé ce pays arriveront à remporter la paix dans une guerre qu'aucun n'aura au fond réellement gagnée ?

Avril 2018

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