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Constitutions arabes: entre progrès et régression

La constitution tunisienne peut-elle véritablement servir de modèle à ses voisins, tout comme la Tunisie révolutionnaire a inspiré nombre de soulèvements ?
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Ce texte est cosigné par Myriam Benraad, Chercheuse au CERI-Sciences Po et analyste sur le Moyen-Orient au Conseil européen des relations internationales et Karina Piser collaboratrice scientifique à l'ECFR, programme Afrique du Nord et Moyen-Orient

Le président François Hollande effectuait, le 7 février 2014, une visite remarquée en Tunisie pour y saluer, devant l'Assemblée nationale, l'adoption d'une nouvelle Constitution qualifiée de "texte majeur" faisant honneur à la révolution tunisienne et devant servir d'exemple aux autres États de la région. Cette Constitution est incontestablement une étape significative pour un pays qui s'est voulu à l'avant-garde des soulèvements populaires du printemps 2011 et qui a fait l'expérience d'une transition marquée par de nombreuses crises et phases de violence. Il aura fallu de longs mois pour qu'un consensus voit le jour ; mais signe d'une consolidation démocratique tangible, société civile et syndicats ont fait office de médiateurs de premier plan pour parvenir à un accord.

Plusieurs avancées notables doivent être soulignées, notamment sur le statut des femmes, dont les droits sont garantis et l'égalité avec les hommes reconnue dans tous les domaines, y compris dans la sphère politique (article 46). Liberté de création, diversité et ouverture sont également encouragées comme piliers de la culture nationale et de son renouveau. Le patrimoine est enfin protégé (article 42). Or certains défis de taille subsistent, parmi lesquels la place de l'islam, autour de laquelle l'article 6 laisse s'affronter des visions antagoniques qu'il s'agissait précisément de concilier. Alors que les milieux religieux voient l'État comme un garant du sacré, les laïcs revendiquent la liberté de culte et l'interdiction du takfir (terme signifiant l'excommunication en arabe) invoqué lors de l'assassinat des députés d'opposition Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013.

Au-delà, la Constitution tunisienne peut-elle véritablement servir de modèle à ses voisins, tout comme la Tunisie révolutionnaire a inspiré nombre de soulèvements ? Le consensus auxquels sont parvenus les forces politiques du pays et le rôle joué par la société civile pour sortir de l'impasse sont des aspects prometteurs pour un monde arabe longtemps sclérosé et prisonnier de la violence. Mais chaque contexte diffère, tant au niveau politique que sur un plan social et culturel, entre des pays tels le Maroc, l'Algérie, la Libye, le Yémen, l'Irak ou encore l'Égypte. Dans le même temps, la récurrence de certains thèmes et débats de fond devrait permettre à la communauté internationale, et à l'Europe plus particulièrement, de mieux orienter ses efforts d'accompagnement de ces transitions : renforcement des institutions, soutien aux élections et dialogues nationaux, réforme des secteurs de la justice et de la sécurité, défense des droits de l'homme, femmes et minorités, réorganisation territoriale).

Le Maroc et l'Algérie sont les deux pays où le statu quo est sans conteste le plus visible en matière d'avancées constitutionnelles. En 2011, le roi Mohamed VI, au pouvoir depuis près de 15 ans, a fait adopter par référendum une série d'amendements qui n'ont foncièrement rien changé aux structures politiques. Sur fond de pauvreté croissante, les perspectives de progrès démocratique restent donc faibles et la nouvelle Constitution s'est vue immédiatement rejetée par le mouvement du 20 février. En Algérie, la réforme constitutionnelle demeure inexistante, en dépit des annonces faites par Abdelaziz Bouteflika qui n'a cessé de consolider son emprise. Symptomatiquement, le président algérien est candidat aux élections du 17 avril 2014 pour un quatrième mandat, comme l'y autorise la Constitution depuis 2008. Cette annonce a provoqué plusieurs manifestations appelant au changement, mais sévèrement réprimées par l'armée.

Dans le cas de la Libye, le processus constitutionnel n'a même pas encore démarré du fait de l'instabilité qui règne dans le pays. Ce processus est pourtant essentiel pour rétablir un État de droit et trancher sur la question du rôle de l'islam. En juillet 2013, le Congrès national général (la nouvelle assemblée libyenne élue pour la première fois en 2012) adoptait une loi électorale ne prévoyant que six sièges pour les femmes et minorités, et aboutissant au boycott politique des Amazighs, Toubous et Touaregs et au retrait du gouvernement du Parti de la justice et de la construction, islamiste. Les élections législatives du mois de février 2014 ont été marquées par un fort taux d'abstention et de nouvelles violences miliciennes suite au recul des partis islamistes à Tripoli et Benghazi. L'État libyen, au bord de l'effondrement, peine aujourd'hui à contenir les poussées autonomistes en Cyrénaïque, province longtemps tenue en marge.

Une logique analogue est à l'œuvre ailleurs dans la région. Depuis 2005 et l'adoption d'une Constitution permanente, l'Irak est ainsi le théâtre d'un conflit qui oppose son centre, Bagdad, aux périphéries kurdes et chiites. Depuis 2011, certains sunnites réclament eux-aussi une plus grande autonomie dans leurs provinces. Les tensions sont d'autant plus vives qu'à l'instar de la Libye, le sol irakien regorge d'hydrocarbures cristallisant de violentes rivalités entre partis, milices et tribus. Moins médiatisé, le Yémen se trouve également face au défi constitutionnel, après plusieurs mois d'un dialogue national tendu. Un référendum pourrait avoir lieu au cours de l'été et conduire à l'établissement d'un système fédéral fondé sur des régions autonomes, une étape considérée par beaucoup comme le seul moyen d'apaiser les violences, surtout dans le Sud.

L'Égypte est enfin sur la voie d'un retour à l'autoritarisme dans sa forme la plus pure depuis le putsch militaire de juillet 2013. Une Constitution a certes été adoptée en janvier 2014, avec certaines avancées portant sur la représentation des femmes, mais dans un climat de passivité et de désenchantement populaires latents. En réalité, la crise politique interne a largement pris le pas sur le contenu même du texte voté, sans réel débat et sur fond de répression constante contre les Frères musulmans, journalistes et militants. Le maréchal Al-Sissi, nouvel homme fort du pays, vient d'ailleurs d'annoncer sa candidature officielle à la présidence, laissant peu d'espoirs à un règlement pacifique et démocratique du conflit...

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