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Vers un meilleur avenir de l'intégration au Québec et au Canada

On peut dire que le vote libéral massif est, entre autres, révélateur de l'attrait réel de l'interculturalisme. Le nationalisme a fait peur.
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«Je pense, donc je suis est un propos d'intellectuel qui sous-estime les maux de dents. Je sens, donc je suis est une vérité de portée beaucoup plus générale et qui concerne tout être vivant.» - Mila Kundera.

Si on procède par simplisme, on peut dire que la société, en plus d'être un ensemble démographique qui vit sur une terre, est divisée en quatre sous-systèmes : le système économique, le système social, le système politique et le système psychoculturel.

Les théories de l'intégration sociale partent toutes du démographique territorialisé selon quatre orientations paradigmatiques générales :

• L'orientation économique (libérale, social-démocrate ou socialisante) ;

• L'orientation sociale (individualiste, inter-individualiste (communautariste) ou «sociétalisante») ;

• L'orientation politique (nationaliste, mitoyenne ou citoyenne) ;

• L'orientation psychoculturelle (culturaliste, interculturaliste et multiculturaliste).

Toutes ces orientations commettent une généralisation abusive à partir d'un critère fondamental, bien qu'elles traitent évidement de ce qui reste des trois autres éléments. Le défi majeur de toute appréhension théorique et de toute pratique intégrationniste est de traiter du «social total» ou du «social global», selon l'expression de Marcel Mauss, sans économisme, ni sociologisme, ni politisme, ni psychoculturalisme.

L'interculturalisme québécois, bien qu'ayant le grand mérite d'être une des plus évoluées des orientations intégrationnistes dans les démocraties occidentales, demeure néanmoins ethnoculturaliste ; la société est avant tout une majorité ethnoculturelle (linguistique et culturelle) francophone, des minorités autochtones ou anglophones, et des communautés ethnoculturelles allophones.

Ceci n'est naturellement pas faux, mais ce n'est pas tout. Encore plus : l'interculturalisme me semble appréhender les individus, les groupes sociaux et la société en termes culturalistes, et oublie ou laisse en arrière-plan le fait que nous sommes également des êtres sociaux, économiques et politiques.

L'homo sapiens (dans le sens premier d'humain parlant et savant) est l'arbre qui cache la forêt de l'homo economicus, de l'homo sociologicus et de l'homo politis. On est tous, avant tout, des êtres qui parlent, sentent et pensent, puis agissent selon la définition d'origine durkheimienne qui dit que la culture est l'ensemble des manières de sentir, de penser et d'agir chez un groupe ou un peuple.

On a tous en quelque sorte, et avant tout, une nature ethnoculturelle, voire même ethno-religieuse pour l'homo religiosus juif, musulman ou sikh «contre» l'homme laïc, par exemple. La situation humaine (existentielle et chère aux existentialistes) totale et globale est appréhendée selon le paradigme culturaliste, bien que, heureusement, d'orientation interculturaliste.

Cette approche paradigmatique culturaliste rend les critiques économiques, sociales et politiques qui se revêtent du nationalisme strictement culturaliste, du républicanisme citoyen, du socio-économisme socialisant ou libéral non sans raisons, bien que toutes les critiques demeurent insuffisantes car elles partent, elles-mêmes, d'une autre généralisation qui, inversement et quant à elle, est culturellement critiquable.

Tout le monde pense le social total à partir d'un de ses éléments. Et c'est là où réside le cercle vicieux commun.

L'interculturalisme pense les individus, les groupes et la société en essentialisme culturel. Les interactions sont essentiellement ethnoculturelles et elles sont parfois simplifiées et ridiculisées par certains praticiens en «interactions culinaires», lors des fêtes faisant l'éloge des cuisines communautaires, et en «causeries» linguistiques religieuses et culturelles.

Si on revient sur les deux dernières élections, provinciale et fédérale, on peut dire que le vote libéral massif est, entre autres, révélateur de l'attrait réel de l'interculturalisme. Les citoyens québécois et canadiens ont voté libéral car le programme libéral a pu convaincre de sa capacité à joindre, momentanément, l'économique, le social, le politique, le culturel et l'international.

Le nationalisme «républicain» a fait peur pour la liberté (surtout religieuse) et pour l'union sociale, y compris des Québécois, bien que s'affichant social-démocrate.

Québec solidaire n'a pas évolué, car il ne s'est pas démarqué des positions essentielles du Parti québécois, indépendantistes et socialisantes. Au niveau fédéral, le Nouveau Parti démocrate (NPD), social-démocrate, a hésité surtout à propos des revendications sociales, et les conservateurs car économiquement trop libéraux, politiquement trop «sécuritaires» et trop éloignés des positions historiques du Canada sur le plan international.

Les citoyens ont donc choisi ceux qui, dans la conjoncture actuelle, semblent représenter «le social total», bien que certains facteurs aient été décisifs, tels que la gestion de la crise économique et sociale, la question de la liberté et de son impact sur la division sociale ethnoculturelle, et l'image du pays dans le monde.

Néanmoins, on pense que cette victoire électorale, en partie due à l'interculturalisme, peut être considérée partiellement comme une victoire négative, car elle découle en partie des sanctions électorales contre le Parti québécois et le Parti conservateur. Elle est donc une victoire instable, et on peut s'attendre à tout lors de la prochaine crise économique et sociale, et après la routinisation du charisme du gouvernement libéral actuel.

Pour que l'interculturalisme n'entre pas lui-même en crise lors de sa rencontre avec la crise économique, sociale ou politique prochaine, nous pensons qu'une réforme interculturaliste doit s'opérer dès maintenant.

Le fond de cette réforme doit partir d'un déplacement paradigmatique de l'ethnoculturel vers le social total. Les implications de ce fond paradigmatique doivent signifier la nécessité de compléter l'interculturel par l'interéconomique, l'inter-social et l'inter-politique. Et les conséquences en matière de politique d'intégration doivent se recentrer non sur les individus et les groupes vus en tant que membres d'entités ethnoculturelles, mais aussi en tant que membres de groupes économiques, sociaux et politiques. Bref, en tant qu'êtres humains et citoyens totaux ou globaux.

C'est la nation citoyenne et humaniste qui œuvre pour une démocratie sociale totale qui doit être notre modèle d'intégration sociale. Sinon, l'interculturalisme qui réussit à donner une réponse momentanée aux tensions ethnoculturelles risque de perdre sa capacité d'attirer et de convaincre quand il ne réussit pas à réaliser l'intégration économique, sociale et politique ; et provoquera le retour, encore plus fort, du culturalisme identitaire «infra-citoyen» et du multiculturalisme «pancitoyen».

Notons à la fin que cette réforme positive de l'interculturalisme n'est pas forcément une affaire politique libérale, comme on pourrait le penser. Elle est une affaire sociale qui touche le projet québécois et/ou canadien de société, qui peut et doit être le fruit du travail de toutes les forces intellectuelles, politiques et communautaires, et qui aidera ceux qui sont actuellement en crise et ceux qui, peut être, le serons dans l'avenir.

L'interculturalisme québécois et canadien réussira quand il deviendra une partie intégrante d'un projet démocrate et humaniste «social total». C'est l'homme-citoyen total - à ne pas confondre avec la notion médiévale de l'homme complet- qui doit devenir le centre de notre pensée. Et ce sont les droits de l'homme et du citoyen dans leur totalité qui doivent guider notre politique d'intégration. L'interculturel deviendra alors une partie de l'interhumain et de l'inter-citoyen.

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