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Fusillade à Moncton: la face cachée d'une commémoration

S'il est tout à fait légitime que la ville de Moncton et sa population veuillent marquer cet évènement tragique, on peut cependant se demander ce que cache et ce que recouvre toute la ferveur investie dans cette peine remémorée.
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Vendredi a eu lieu la commémoration de la fusillade du 4 juin 2014, à Moncton, qui couta la vie à trois policiers de la GRC et en blessa deux autres, frappant d'un deuil innommable leurs familles - sans parler de l'effroi et de la peur qui, 36 heures durant, ont pétrifié la population qui en garde nécessairement un souvenir douloureux. Depuis, le coupable, alors âgé de 24 ans, a été jugé et condamné à 99 ans de réclusion.

S'il est tout à fait légitime que la ville de Moncton et sa population veuillent marquer cet évènement tragique, on peut cependant se demander ce que cache et ce que recouvre toute la ferveur investie dans cette peine remémorée. Et ce, au-delà du déferlement médiatique fait d'interviews fébriles, de déclarations à l'emporte-pièce, de témoignages, d'images, de photos, de chansons, de reportages, de discours et de propos convenus dont on nous a abreuvés vendredi et les jours précédents sur toutes les tribunes. Autant dire qu'il est important de prendre du champ avec ces commémorations en s'interrogeant sur leur portée générale, et, avant tout, sur ce qu'elles révèlent de l'ordre actuel qui nous régit.

Au plus près de nous, elles refoulent et ignorent visiblement la peine, l'horreur et la douleur que cet évènement a entrainées au sein de la famille du coupable. Dans l'entrevue qu'il a accordée à Radio-Canada le 3 juin, Daniel St-Louis, photographe de Moncton et voisin de cette famille, n'a pas hésité de nous rappeler à notre devoir d'humanité et de compassion à l'égard de cette dernière.

Et puis, ce que ces commémorations refoulent et trahissent à la fois, c'est aussi notre inquiétante amnésie des règles les plus élémentaires du droit qui, dans les pays démocratiques, ne trouvent pas leurs fondements et leur légitimité dans l'arbitraire et encore moins dans un esprit de vengeance collective. Ce sont justement ces règles qu'a rappelées Jean-Claude Hébert, avocat criminaliste et professeur associé au Département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal. En effet, dans l'article qu'il a publié dans le Journal du Barreau du Québec, il juge lourde et excessive la sentence infligée au coupable, et ce, au mépris des règles de droit que je viens d'évoquer. Il a d'ailleurs qualifié « d'insolite » la stratégie de l'avocat de la défense; stratégie qui a étrangement porté ce dernier à se ranger à l'avis des procureurs de la Couronne. Il n'épargne pas non plus le juge qui présidait le Tribunal et dont il considère que son rôle aura finalement été celui d'un « inquisiteur » au cours d'un procès qu'il qualifie, avec raison, de « lynchage » juridique. (Voir l'édition de L'Acadie nouvelle du 18 mars 2015). Rappelons ici que ce point de vue a été partagé par la journaliste Lysiane Gagnon dans La Presse et The Globe & Mail.

Mais il y a plus grave et plus inquiétant encore. Bien au-delà de la ville de Moncton et de l'esprit du souvenir et du respect dus aux victimes tombées le 4 juin 2014, ces commémorations appuyées font malgré elles écho, globalement, à une idéologie sécuritaire aujourd'hui rampante et mondialisée. Une idéologie insidieusement entretenue en Occident par les pouvoirs politiques qui prennent prétexte d'une conjoncture mondiale tourmentée pour confondre à dessein faits divers et dangers terroristes potentiels. De cette confusion, et en dépit de l'esprit démocratique revendiqué et proclamé par nos gouvernants avec assurance et allégresse, il découle au fond le projet de nous installer dans des sociétés de « bons et de méchants », de « vrais et de faux citoyens »; des sociétés dont la violence étatique - tant sous ses formes militaires que policières - peu à peu banalisée, risque dorénavant de se déployer de manière obscène et de devenir l'un des modes privilégiés et systématiques de la régulation des corps et des esprits avec ce que cela implique immanquablement de restrictions progressives des libertés, d'arbitraires juridiques et de contrôles des discours publics.

Inutile de rappeler ici la liste interminable des effets délétères de ces tendances qui, ici et ailleurs, gagnent peu à peu, et sur un mode obsidional, les sociétés contemporaines et qui les ouvrent ainsi au danger réel de tous les terrorismes - à commencer par celui des États.

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