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Mais que se passe-t-il en Catalogne?

La directrice du HuffPost Espagne explique la gravité de la crise autour de ce référendum impossible.
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Aucun pays ni aucune institution internationale ne reconnaîtra l'indépendance d'un territoire obtenue avec si peu de garanties démocratiques.
En riposte à l'arrestation de hauts responsables du gouvernement séparatiste de Catalogne, des milliers de manifestants ont occupé les rues de Barcelone mercredi 20 septembre.
Aucun pays ni aucune institution internationale ne reconnaîtra l'indépendance d'un territoire obtenue avec si peu de garanties démocratiques.

Recette du cocktail de cet automne: dans un verre, mélanger des concepts chargés en émotion comme la rébellion, la démocratie, la désobéissance, l'indépendance et «Nous voulons voter!» Ajouter un trait de bon cava catalan. Bien agiter. Déguster dans un verre glacé. Ce cocktail stimulant et pétillant est idéal pour laisser de côté les problèmes du quotidien, oublier le passé et envisager l'avenir avec optimisme.

Mais prenez garde, ce mélange est également incendiaire: si les doses ne sont pas respectées ou si le barman est maladroit, vous obtenez un cocktail Molotov.

La vie politique et sociale espagnole est sous haute tension à l'approche du 1er octobre, date à laquelle le gouvernement catalan (govern) a appelé ses citoyens à se prononcer sur l'indépendance de cette communauté autonome.

Jusqu'ici, la situation est similaire à celle de l'Écosse en 2014 ou du Québec en 1995. Mais pour le reste, ce scrutin relève de la plus pure irrégularité.

Après d'énormes rassemblements jeudi, les séparatistes catalans ont promis de continuer à manifester au lendemain de l'arrestation d'une quinzaine de responsables régionaux, en lien avec l'organisation du référendum d'autodétermination illégal, ignorant ainsi les appels à la raison du chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. Mais comment en est-on arrivé là?

La première irrégularité, c'est que le référendum a été suspendu par le plus haut tribunal espagnol, la Cour constitutionnelle, en raison de sa probable illégalité.

La première irrégularité, c'est que le référendum a été suspendu par le plus haut tribunal espagnol, la Cour constitutionnelle, en raison de sa probable illégalité. La deuxième, c'est que personne ne sait s'il y aura bien des urnes, hormis le govern qui dit en avoir caché quelque part (la police cherche ces urnes, ainsi que les bulletins de vote, dont personne ne sait où ils se trouvent, avec quel argent ils ont été financés ni même s'ils existent vraiment). La troisième, c'est que personne ne sait où le vote sera organisé, ni qui sera chargé d'en garantir l'impartialité: la loi interdisant aux fonctionnaires de l'État de s'en charger, le govern assure qu'il fera appel à des bénévoles. Le plus kafkaïen dans cette histoire: personne ne sait quelle liste électorale le govern compte utiliser. C'est le gouvernement central qui conserve les listes actualisées sous haute sécurité, car cela relève de ses compétences.

Ajoutons à tous ces ingrédients le péché originel: la "loi de référendum", censée donner une valeur juridique à cette étrange représentation, est née début septembre au cours d'une session parlementaire houleuse au parlement catalan. La majorité indépendantiste avait alors modifié les délais légaux et les garanties parlementaires de la procédure, malgré les protestations des partis de l'opposition, qui représentent plus de 50% du vote populaire.

Pourtant, ce n'est pas tant la loi de référendum qui préoccupe le gouvernement espagnol que la loi de transition, approuvée par la même procédure, qui rend possible la proclamation de la République catalane en cas de scrutin majoritaire, même si le "oui" ne l'emporte que d'une voix. Le taux de participation n'a donc aucune importance.

Théoriquement, à partir du 2 octobre, les Catalans pourraient proclamer leur indépendance à l'issue d'une procédure à laquelle moins de la moitié de la population aurait participé, en ayant recours à des listes électorales non valides, et à des urnes, des bulletins et des lieux de vote introuvables. Qui plus est, le parti du "non" à l'indépendance n'a pas eu l'occasion de faire campagne alors que celui du "oui" est omniprésent dans le paysage politico-médiatique catalan depuis déjà trois ans, en dépit de l'interdiction des publicités et des affiches.

Aucun pays ni aucune institution internationale ne reconnaîtra l'indépendance d'un territoire obtenue avec si peu de garanties démocratiques.

Les indépendantistes catalans, dont le spectre idéologique va de l'extrême gauche à la droite traditionnelle, sont parfaitement conscients que cette procédure est imparfaite. Ils affirment qu'ils n'ont pas d'autre option.

Et ils n'ont pas tort.

En effet, les conservateurs du gouvernement espagnol affirment que la Constitution espagnole actuelle interdit un référendum d'autodétermination. Eux aussi ont raison. Bien entendu, il est toujours possible de changer les lois, mais une révision de la constitution implique le concours du Parti Populaire (PP), qui n'acceptera jamais par peur de ne plus être le premier parti d'Espagne (en Catalogne, il occupe la cinquième place). Donc, retour à la case départ.

Les dynamiques indépendantistes catalanes existent depuis un siècle, mais elles étaient minoritaires jusque récemment.

La situation est aussi complexe pour les pro-indépendantistes que pour ceux qui veulent réaffirmer leur volonté de rester en Espagne. Ensemble, ils représentent 70 % de la société catalane, chiffre important, car le débat sur l'indépendance se superpose au débat sur le droit à l'autodétermination. Les dynamiques indépendantistes catalanes existent depuis un siècle, mais elles étaient minoritaires jusque récemment. Ces dernières années, avec la crise économique et la réduction des dépenses publiques, l'impression d'injustice fiscale et politique face aux autres régions du pays s'est cristallisée pour nourrir un sentiment antiespagnol qui attend le moindre excès d'autorité de la part du gouvernement central pour se justifier.

Le président Mariano Rajoy espérait quant à lui que tout retomberait comme un soufflé: "Nous avons déjà eu par le passé des élans indépendantistes. Laissons-les s'affaiblir d'eux-mêmes en restant sous couvert de la loi", expliquait-il. Il paie cher aujourd'hui la rigidité de sa position: le cocktail à bulles s'est mué en Molotov. Le référendum, d'abord vu comme un élément de construction culturelle, est devenu une réalité sordide où les maires indépendantistes (qui sont plus de 700 et représentent 40% de la population catalane) sont poursuivis par la justice avant même qu'il se soit passé quelque chose, tandis que ceux qui souhaitent rester dans le giron de l'Espagne (globalement, ceux des grandes zones urbaines) se font harceler dans la rue et sur les réseaux sociaux par des citoyens furieux. Certains juges, encouragés par ce climat délétère, interdisent les débats et le soutien au référendum. Un cas de pure folie, où le pouvoir de Madrid se cache derrière les tribunaux et le gouvernement catalan, derrière les maires. Chaque action de la justice nécessitant l'intervention des forces de police se traduit par une forte contestation dans la rue. Les responsables politiques chargés d'organiser le référendum risquent même la prison: tout cela n'a rien d'une plaisanterie.

Le président Mariano Rajoy, le roi Felipe VI et le président de la Generalitat, Carles Puigdemont, lors de la manifestation contre le terrorisme djihadiste en août 2017.
AFP
Le président Mariano Rajoy, le roi Felipe VI et le président de la Generalitat, Carles Puigdemont, lors de la manifestation contre le terrorisme djihadiste en août 2017.

L'Europe a pourtant du mal à y croire. La chancelière Angela Merkel est très inquiète: l'Espagne était la bonne élève de l'austérité et la preuve que ses recettes fonctionnaient. Cette année, dix ans après la crise financière des États-Unis, la croissance du PIB espagnol a même dépassé les 3%, au-dessus de la moyenne européenne. Les créations d'emploi sont précaires, certes, mais en constante augmentation. Juste au moment où Bruxelles et Berlin recommençaient à respirer, pensant que le mouvement des Indignés avait été dompté, elles sont confrontées à une Catalogne où toute la colère, la défiance des institutions et l'écœurement face à l'oligarchie se cristallisent autour de l'Espagne. Un improbable scénario, relevant de la théorie du cygne noir.

Le conflit catalan est à la fois ancien et postmoderne. Ce qui domine aujourd'hui, ce sont les nouvelles lois du populisme, l'habitude d'exalter les sentiments au lieu de donner des arguments valables, et les fausses informations qui empoisonnent le débat. Cherchez, par exemple, un seul indépendantiste catalan qui admette que la Catalogne indépendante ne ferait pas partie de l'UE, et qu'elle se retrouverait hors des remparts que constituent la Banque centrale européenne, les fonds structurels, l'euro et les centres décisionnaires. Comme c'est inconcevable, ils répondent que c'est impossible, que cela n'arrivera pas.

Et cela n'arrivera pas, car il y aura peut-être des urnes le 1er octobre, mais pas de référendum et encore moins d'indépendance. Ce qu'il y aura à n'en point douter, c'est la photo que certains instigateurs de cet opéra bouffe semblent rechercher avec obstination: celles des forces de l'ordre tentant d'empêcher le vote des citoyens lourdement armés... de leurs bulletins de vote. Ils n'excluent pas la possibilité de voir certains politiciens incarcérés. La cause souverainiste aura alors fait de nouveaux émules et nous, tous les Catalans et Espagnols qui croyons que notre avenir est plus radieux ensemble que séparés, nous aurons perdu.

Manuel Chaves Nogales était un journaliste espagnol, qui dans les années 1920 et 1930 a relaté avec un talent rare l'essor du fascisme et du communisme en Europe, la Seconde République d'Espagne et le début de la Guerre civile. En 1936, depuis la Catalogne, il écrivait: "Le séparatisme est une substance rare qui s'utilise, dans les laboratoires politiques de Madrid, comme réactif pour créer du patriotisme et, dans les laboratoires catalans, comme liant des classes conservatrices." C'est l'origine d'un conflit qui, 80 ans plus tard, a dépassé la sphère politique.

Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost espagnol, a été traduit par Chloé Delhom et Anne-Laure Martin Fast For Word pour le HuffPost France.

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