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Lutter efficacement contre la corruption: le cas de la Suède

Les citoyens qui vivent dans un pays où ils perçoivent de la corruption ou de l'injustice sont moins disposés à soutenir des politiques favorisant le bien commun ou la redistribution de la richesse.
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Selon de nombreux organismes internationaux comme l'OCDE et Transparency International, la Suède fait partie de la liste courte des pays où il y a le moins de corruption au monde. Les scandales de corruptions y sont rares et les manquements éthiques et des élus et des fonctionnaires bien moins importants qu'au Québec par exemple.

Face à la corruption et au manquement éthique des élus et fonctionnaires, le Québec et la Suède ont fait des choix fondamentalement différents. La Suède, et c'est également le cas des pays nordiques en général, cherche davantage à prévenir la corruption que le Québec. Elle a développé une approche plus indirecte afin d'influencer les comportements des agents publics qu'ils soient élus ou fonctionnaires.

Contrairement au Québec, la Suède est peu active dans les domaines de la réglementation du financement des partis politiques, ou dans la réglementation de la pratique du lobbyisme. Cette dernière, et c'est également le cas pour la Finlande notamment, n'a pas de grand plan d'action ou de grande institution coordonnant la lutte contre la corruption. Les lois suédoises sur la corruption, malgré leur resserrement en 2012, pour aborder la question du trafic d'influence et le financement de la corruption, ne sont pas particulièrement dures ou sévères.

C'est la liberté de presse, les mécanismes de transparence publique ainsi que des politiques administratives qui visent à prévenir les situations possibles de corruption ou de manquement à l'éthique.

Ce qui fonctionne le mieux pour prévenir la corruption se trouve ailleurs. C'est la liberté de presse, les mécanismes de transparence publique ainsi que des politiques administratives qui visent à prévenir les situations possibles de corruption ou de manquement à l'éthique.

La transparence publique et la liberté de presse

La liberté de la presse est un principe fondamental en Suède. Elle a été le premier pays au monde à avoir adopté une loi sur la liberté de la presse en 1766, il y a plus de 250 ans. Cette loi, en plus de protéger la liberté d'expression, donne le droit aux Suédois d'avoir un accès à tous documents publics. Les documents peuvent même être réclamés anonymement.

Page titre de la Loi sur la liberté de la presse de 1766

Hellmark & Folke (2012) Rätten att kritisera överheten: kring den svenska tryckfrihetens historia, p. 28

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Title-F%C3%B6rordning_ang%C3%A5ende_Skrif-_och_Tryck-friheten.png

Même s'il existe quelques exceptions (politiques monétaires, budget, relations internationales), l'application de cette loi va beaucoup plus loin que leur équivalent au Québec ou au Canada. Aucune agence ou organisation publique suédoise n'échappe à ce droit d'accès à l'information. En pratique, cette loi confère à tous les citoyens un accès aux documents publics incluant des frais de déplacement des fonctionnaires et des élus. Ainsi, ces lois permettent aux citoyens d'avoir accès en tout temps à des renseignements détaillés sur les projets du gouvernement, sur les dépenses personnelles des élus ou sur le budget de l'État, des municipalités et des agences gouvernementales. Les élus et les fonctionnaires sont aussi libres de divulguer l'information puisqu'elle est par nature publique. C'est par ces mécanismes d'accès à l'information que les journalistes peuvent documenter les abus et autres pratiques non reconnues.

En Suède, les rares scandales et les démissions de ministres sont généralement le fait d'une enquête journalistique.

Les politiciens et les fonctionnaires sont bien conscients de cette situation. Ils craignent d'être un jour ou l'autre enquêtés. C'est ce sentiment de vivre dans une maison de verre qui a l'effet le plus important pour prévenir la corruption. La peur d'être dénoncée et de voir sa carrière politique prendre fin favorise les comportements exemplaires. En Suède, les rares scandales et les démissions de ministres sont généralement le fait d'une enquête journalistique. Et contrairement au Québec, lorsqu'un élu s'est fait prendre en flagrant délit, le premier ministre ne vient pas à sa rescousse.

Les raisons de la situation

Il est plus facile en Suède qu'au Québec de faire des enquêtes sur l'abus de biens publics des politiciens et des fonctionnaires pour plusieurs raisons. Premièrement, en Suède, les journaux et les médias jouissent d'un support financier public très important afin de maintenir un secteur médiatique diversifié et compétent. L'aide du gouvernement suédois à la presse écrite représentait 100 millions de dollars canadiens en 2010 pour 170 quotidiens. C'est le cas également pour le financement public de la radiodiffusion où la Suède investit près de quatre fois plus qu'au Canada.

Deuxièmement, les lois sont organisées de manière à rendre la dénonciation de tout acte de corruption ou de tout système de corruption facile, peu coûteuse et peu risquée. En Suède, il est interdit par la loi aux journalistes de révéler leur source, mais il y a plus, il est également interdit pour les fonctionnaires de faire enquête afin de trouver l'origine d'une fuite. La loi protège les fonctionnaires qui souhaitent divulguer des informations aux publics. Ces derniers ont le droit de demeurer anonymes et c'est une offense criminelle en Suède que de divulguer l'identité d'un dénonciateur. En 2016, la Suède a même renforcé la protection des « dénonciateurs » et a été le premier pays scandinave à se doter d'une loi sur la protection des lanceurs d'alerte. Cette s'applique désormais également au secteur privé.

Troisièmement, il est très facile pour les journalistes d'enquêter sur les politiciens et fonctionnaires puisque les documents publics sont facilement accessibles. La transparence va jusqu'au numéro d'assurance sociale et aux rapports d'impôt de tous les Suédois. Le gouvernement suédois publie en effet chaque année, le Taxeringskalandern, c'est-à-dire la publication officielle des rapports d'impôt.

Le prix à payer, c'est clairement la perte de vie privée.

À partir de ces données, une société privée a même créé l'annuaire RATZIT qui est désormais également disponible en ligne. Cet annuaire compile, le nom, l'adresse, l'âge, le salaire, l'état marital, si une personne a un bon crédit à la banque, de tous les Suédois, etc. On peut même en ligne avoir accès à une photo de la devanture de la maison ou encore le nom du conjoint. Cet annuaire a cinq millions d'utilisateurs chaque année. S'il est vrai que les particuliers s'en servent pour savoir à qui louer leur propriété ou le revenu d'un voisin, les journalistes s'en servent aussi pour leurs enquêtes. Cette mesure a pour effet d'empêcher ceux qui ont du pouvoir d'abuser de leur position. Le prix à payer, c'est clairement la perte de vie privée.

Conclusion

La question de lutte à la corruption est fondamentale pour l'avenir du Québec. En effet, les citoyens qui vivent dans un pays où ils perçoivent de la corruption ou de l'injustice sont moins disposés à soutenir des politiques favorisant le bien commun ou la redistribution de la richesse. En effet, pourquoi accepter de payer plus d'impôts si c'est pour entretenir des réseaux de corruption? Vu sous cet angle, le modèle québécois est la victime secondaire de la corruption. Encore une fois la Suède peut servir de modèle au Québec.

Stéphane Paquin,

Professeur à l'École nationale d'administration publique

Directeur du Groupe d'études sur l'international et le Québec (GERIQ)

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