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Le paradoxe féministe de la Suède

Comment se fait-il qu'un État doté d'une politique centrale d'égalité des sexes présente le plus haut taux d'inconduites sexuelles de l'Union européenne ?
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Aron Urb, Wikimedia Commons

#MeToo, #Time'sUp. Ces mouvements ont rassemblé les femmes autour du monde sur les médias sociaux, mais aussi dans les rues des villes et métropoles. Par l'intermédiaire des actrices hollywoodiennes qui ont dénoncé haut et fort la violence sexuelle répandue au sein de leur milieu de travail au monde entier, la conversation douloureuse, mais fondamentale sur les agressions sexuelles a fait fureur sur la scène internationale. Les pays à politique « féministe » tels que la Suède n'y ont pas échappé. En effet, ce dernier pays a vu un grand nombre de dénonciations et de protestations de violences sexuelles perpétrées dans plusieurs cadres de la société autres que professionnels. Voilà l'exemple d'un paradoxe féministe : comment se fait-il qu'un État doté d'une politique centrale d'égalité des sexes présente le plus haut taux d'inconduites sexuelles de l'Union européenne ?

Tout d'abord, des études statistiques effectuées en 2014 sur l'ensemble de l'Union européenne par Eurostat montrent que la Suède est le pays où l'on rapporte le plus grand nombre d'agressions sexuelles en Europe. D'autres études conduites par l'ONU en 2012 ont identifié la Suède comme ayant le deuxième plus haut taux d'agressions sexuelles au monde. Toutefois, il reste à considérer que ces statistiques, particulièrement les données de l'ONU, requièrent la considération de certains facteurs. Eurostat énonce que le système de justice criminelle, les pratiques d'enregistrement de crimes, le taux de dénonciation de violence sexuelle, l'efficacité des organisations de justice criminelle ainsi que les types de crimes inclus dans la catégorie « agression sexuelle »influencent l'exactitude et la réalité qui se cache derrière de hauts taux d'agression sexuelle ou tout autre statistique. Suivant ces variables, il devient difficile de comparer les pays entre eux et il serait préférable de se fier aux tendances propres à chaque pays afin d'identifier un problème croissant de cette envergure.

Cela étant dit, à l'affût d'un problème social à l'échelle européenne, plusieurs ont été rapides sur la gâchette à accuser les migrants en Suède, étant donné qu'il s'agit du pays européen ayant accepté le plus grand nombre de migrants par habitant. Les données illustrent une augmentation de demande d'asile passant de 81 000 en 2014 à 163 000 demandeurs d'asile en 2015.

Pourquoi autant de migrants la Suède ? La configuration favorable de leur système social est particulièrement attrayante. Ce pays possède un indicateur élevé en termes de la qualité de l'environnement, de l'engagement civique, de l'éducation, de l'emploi et des salaires. En ce qui a trait aux emplois, 76% des Suédois travaillent dans des conditions rémunérées, comparé au reste des pays de l'OCDE pour lequel le pourcentage atteint est autour de 67%. En plus d'un taux généralement élevé de travailleurs payés, il n'y a qu'une minorité de ces derniers qui travaillent de longues heures, soit 1 % comparé au 13% des autres pays de l'OCDE. De plus, la Suède détient la liberté convoitée par les demandeurs d'asile provenant souvent de territoires en pleine guerre ou en crise politique tels que la Syrie et l'Afghanistan en plus de se situer à proximité de leur terre natale comparativement aux Amériques.

La Suède détient la liberté convoitée par les demandeurs d'asile provenant souvent de territoires en pleine guerre ou en crise politique tels que la Syrie et l'Afghanistan en plus de se situer à proximité de leur terre natale comparativement aux Amériques.

Or, cette crise de migrants affecte certains davantage que d'autres sur le plan du nationalisme suédois. Des citoyens « pure-laine » suédois manifestent leur colère en mettant le feu à des camps de réfugiés ainsi qu'en utilisant des attaques à l'arme blanche dont la seule motivation est la couleur de la peau de la victime.

Soit, une corrélation entre la crise des migrants et le taux de violence sexuelle en Suède semble se présenter. Le nombre de dénonciations de violences sexuelles a augmenté depuis le début de la crise des migrants, mais il reste à savoir si la cause de cette conséquence est véritablement l'afflux croissant de réfugiés dans les dernières années ou si d'autres facteurs entrent en jeu.

En observant de plus près le système judiciaire et légal suédois, on remarque qu'une plus forte corrélation existe entre la mise à jour des lois sur la violence sexuelle et l'augmentation du taux d'agressions sexuelles.

Graphique montrant les taux de crimes à caractère sexuel en Suède, https://www.bra.se/bra-in-english/home/crime-and-statistics/rape-and-sex-offences.html[/caption]

De 2006 à 2015, le nombre de violences sexuelles dénoncées a augmenté et il devient facile de pointer les migrants du doigt. Toutefois, une loi entrée en vigueur en avril 2005 a fait en sorte que certains actes classifiés en tant qu'exploitation sexuelle ont vu leur statut modifié en tant qu'agression sexuelle. Effectivement, tel que le graphique ci-après l'indique, les statistiques d'exploitation et de coercition sexuelles ont diminué en faveur d'une augmentation du nombre de cas d'agressions sexuelles répertoriées. Une autre modification de la loi ayant eu lieu en 2013 a élargi la définition d'agression sexuelle afin d'inclure également les cas où la victime n'est pas ferme dans le refus d'avances sexuelles.

Mis à part le changement régulier de la loi sur les violences sexuelles, un autre aspect de la législation suédoise contribue à faire augmenter le taux d'agression sexuelle et lui attribue la première place dans les statistiques européennes : le dénombrement des crimes. Dans ce pays scandinave, dans le cas où une personne aurait vécu des agressions sexuelles chaque jour sur une période de plusieurs mois ou de plusieurs années par le même individu, chaque instance sera traitée comme un cas indépendant et isolé contrairement au Canada où la justice traitera la situation en tant qu'un seul cas à multiples instances.

Par ailleurs, toujours afin d'expliquer la hausse de violences sexuelles constatées en Suède, le Conseil national suédois pour la prévention de la délinquance (Brå) constate que la hausse de cas reportés en 2016 pourrait être due à l'abus ayant lieu durant les festivals de musique qui gagnent en popularité depuis quelques années. Ceci s'inscrit également dans l'essor des mouvements féministes sur les médias sociaux qui ont incité les victimes ayant souffert en silence de montrer leur solidarité et de prendre leur voix en main en dénonçant leurs agresseurs. Ainsi, un nombre accru de femmes se sont mobilisées comparativement aux années antérieures augmentant alors d'autant plus le taux d'agressions sexuelles répertoriées en Suède, mais également dans d'autres pays comme les États-Unis. Le paradoxe féministe semblerait alors plutôt correspondre à une revendication féministe.

En constatant le taux élevé de violences sexuelles par rapport au reste de l'Europe, on remarque une prise de pouvoir des femmes face à l'adversité et non une hausse de criminalité proprement migratoire. Ces dernières se sentent visiblement plus en sécurité de dénoncer les crimes dont elles sont majoritairement victimes en saisissant leurs droits et s'inscrivant ainsi effectivement dans la politique féministe suédoise. Les migrants ne constituent qu'un bouc-émissaire propice à la droite politique autour du monde tel que M. Trump l'a démontré en faisant allusion à « ce qui s'est passé en Suède hier soir » dans l'une de ses apparitions publiques. La délégitimation de fausses accusations ne règle toutefois pas les violences sexuelles contre les femmes ; ces dernières devront continuer à utiliser leur voix afin d'éradiquer la misogynie.

Par Ikram-Nour Abda et Janeetta Sivakumar Thambirajah

Étudiantes au baccalauréat international au Collège Jean-de-Brébeuf

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