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L'Asie centrale entre deux géants : les opportunités de l'intégration eurasienne

L'Asie centrale est une des régions du monde les moins intégrées et les relations bilatérales sont souvent glaciales.
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Située au cœur de la Route de la soie, l'Asie centrale a jadis été le carrefour d'importants échanges culturels et commerciaux. Quand on constate la faible mobilité des personnes et des biens en Asie centrale aujourd'hui, en raison de systèmes de visa et tarifaires stricts, on a peine à croire qu'il s'agissait d'un seul et même pays il y a deux décennies. L'Asie centrale est en effet une des régions du monde les moins intégrées et les relations bilatérales sont souvent glaciales. Pourtant, la compétition entre la Russie et la Chine pourrait favoriser l'intégration économique et politique des 'Stans' entre eux et avec leurs puissants voisins. Et malgré les effets pervers du ralentissement économique russe provoqué entre autres par le conflit en Ukraine, celui-ci pourrait donner une impulsion à l'intégration eurasienne.

Dans ce contexte, la Russie se voit de plus en plus marginalisée en raison des sanctions économiques de l'Union européenne, des États-Unis et du Canada. La baisse des prix du pétrole et la chute du rouble ont provoqué un ralentissement de l'activité économique[1] ayant des répercussions importantes sur ses partenaires économiques. En effet, le déraillement de la 8e économie mondiale n'est pas sans conséquence. Les effets se font déjà sentir en Allemagne, dont les exportations vers la Russie devraient chuter de 15% en 2015, après avoir déjà chuté de 20% en 2014.[2]

Les économies d'Asie centrale, très dépendantes de la Russie, en subissent les contrecoups immédiats. Les monnaies centre-asiatiques ont elles aussi été dévaluées, ce qui a provoqué une inflation galopante. Dans l'espace postsoviétique, les conséquences ne sont pas que commerciales, elles sont aussi humaines. En effet, l'ex-URSS est une région aux flux migratoires importants, et des millions de travailleurs centre-asiatiques, en provenance surtout du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan, vont chercher du travail en Russie afin de subvenir aux besoins de leur famille. Les transferts d'argent des migrants contribuent à environ 30% et 50% du PIB pour le Kirghizstan et le Tadjikistan respectivement. Selon la Banque centrale de Russie, les transferts d'argent ont diminué de 9% au troisième trimestre de 2014.[3] La stagnation pousse de nombreux migrants à retourner dans leur pays d'origine, une situation redoutée par les gouvernements qui craignent le retour en masse de chômeurs sans occupation.

Pourtant, la crise pourrait permettre aux économies centre-asiatiques de développer de nouveaux marchés. En effet, suite à l'interdiction d'importation des produits alimentaires en provenance de l'UE et des États-Unis, la Russie a invité les pays d'Asie centrale à combler les pénuries.[4] Les économies centre-asiatiques pourraient certainement en bénéficier même si cela risque de créer des pénuries locales en plus de faire monter les prix des produits de base.

Malgré le peu d'attractivité économique qu'offre la Russie en ce moment, le Kirghizstan est en voie d'intégrer l'Union économique eurasienne (UEE) qui réunit l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie. L'Union promet la libre circulation du capital, des biens, des services et de la main d'œuvre parmi ses membres. Les autorités tadjikes ont annoncé leur intention de faire de même en 2015.[5] Réagissant aux critiques américaines, le premier ministre kirghize Djoomart Otorbaiev déclarait que la Russie était un partenaire logique : «I would like to hear the arguments of those who would like us to close the border. [...] With whom are we going to trade? I don't know. The United States is not here. Europe neither. China is very aggressively importing things».[6] C'est sans doute cette compétition qui pousse la Russie à promouvoir cette union auprès des pays d'Asie centrale. À ce titre, la Chine a récemment annoncé des investissements de 40$ milliards sur une période de trois ans dans le «Silk Road Fund», destiné à financer des projets d'infrastructure en Asie, dont au moins 16$ milliards en Asie centrale.[7] En comparaison, les programmes de développement de l'UE prévoyaient d'allouer 1€ milliard en Asie centrale entre 2014 et 2020.[8]

Partenaires stratégiques

Au-delà du potentiel de coopération économique, l'intégration eurasienne passe aussi par la consolidation de partenariats stratégiques, à travers notamment la Collective Security Treaty Organization (CSTO) et l'Organisation de la coopération de Shanghai. La CSTO est une organisation multilatérale de sécurité comprenant la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Turkménistan. La Russie possède encore trois bases militaires en Asie centrale : au Kazakhstan, au Kirghizstan et au Tadjikistan où la 201e unité motorisée des Forces armées russes compte environ 7000 soldats.[9] La CSTO a coupé les liens avec l'OTAN depuis le début de la crise ukrainienne pour se rapprocher de l'Organisation de coopération de Shanghai.[10] Cette organisation a été créée en 2001 par le « Shanghai Five », c'est-à-dire la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan auxquels s'est joint l'Ouzbékistan. Elle vise à promouvoir la coopération entre les membres à plusieurs niveaux : économique, politique et militaire. L'organisation conduit régulièrement des exercices militaires et un des volets importants de cette action est destiné à combattre l'extrémisme et le terrorisme. L'organisation, peu portée sur la défense des droits démocratiques, mais plutôt sur la promotion de la stabilité politique, offre un cadre d'intervention séduisant pour les pays d'Asie centrale.

Les propos du Président Vladimir Poutine, qui disait vouloir protéger les Russes où qu'ils soient, ont fait craindre une intervention dans les pays limitrophes, notamment au Kazakhstan, où ils sont très nombreux[11]. Une telle intervention semble pourtant improbable. Contrairement à l'Ukraine, les relations entre la Russie et les pays d'Asie centrale sont beaucoup plus harmonieuses du fait qu'ils ont des intérêts communs. Les « Stans » intéressent peu l'Occident qui y a une influence limitée; dirigés par des gouvernements plus ou moins autoritaires, ils aspirent également à la stabilité politique et redoutent l'effet d'entraînement que pourrait avoir le scénario ukrainien. C'est d'ailleurs aussi ce qui explique le soutien tacite des dirigeants centre-asiatiques à la Russie dans le conflit ukrainien. Mais un tel retournement en Asie centrale est peu probable, à court terme du moins, les sociétés civiles étant moins politisées et la liberté d'expression y étant beaucoup plus limitée qu'en Ukraine. L'opinion publique centre-asiatique est d'ailleurs très favorable à la Russie, perçue comme le porte-étendard d'un discours conservateur face à un Occident libéral qui menace les valeurs traditionnelles. Un sondage effectué en août 2014 au Tadjikistan indiquait que parmi les leaders du monde, 85% des répondants avaient davantage confiance en Vladimir Poutine contre 25% en Barack Obama et Angela Merkel.[12]

Si les intérêts des pays d'Asie centrale semblent converger au sein des organisations multilatérales, les relations bilatérales entre les « Stans » gagneraient à être intensifiées. Située entre deux géants, l'Asie centrale pourrait se retrouver décloisonnée sous l'impulsion de la compétition sino-russe, le réalignement de l'économie russe ainsi que la convergence des intérêts économiques, politiques et stratégiques partagés des États de la zone.

Par Hélène Thibault

Chercheure postdoctorale

Cérium/Chaire de recherche du Canada en étude du pluralisme religieux

Université de Montréal

Pour consulter les références, monde68.

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Mai 2017

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