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Brexit: encore une crise de l'Union européenne?

Les deux campagnes -rester ou quitter l'Union européenne- ont l'air désorganisées et conflictuelles, et le résultat reste imprévisible.
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Le 23 juin 2016, les citoyens du Royaume-Uni vont décider soit de quitter, soit de rester dans l'Union européenne (UE). La décision d'organiser un référendum sur le «Brexit», prise par le premier ministre conservateur David Cameron en 2013, était motivée par des considérations de politique interne, surtout pour solidifier sa majorité avant les élections de 2015 (Liddle, 2014, Partie 3). Les élections gagnées, Cameron passe à l'acte.

Martin Schulz, président du Parlement européen, et David Cameron, 16 février 2016.

© European Union 2016 - European Parliament (/by-nc-nd/4.0/)

Cet article décrit l'histoire difficile des rapports entre le Royaume-Uni et l'UE, les enjeux du référendum, et les conséquences à prévoir si les Britanniques choisissent le «quitter».

Le Royaume-Uni n'a jamais été très pris par le rêve d'une Europe intégrée. Si Winston Churchill avait prononcé des allocutions élégantes en faveur de la fin des guerres et de la coopération entre Européens, les Britanniques ont ensuite choisi de s'abstenir des actes fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1950 et de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957. Au début des années 1960, face à ses défis économiques et la réussite de la CEE, le Royaume-Uni a demandé l'adhésion, pour se la voir refusée par le président français Charles de Gaulle, qui le trouvait insuffisamment européen et trop atlantiste.

En 1973, le Royaume-Uni est finalement entré, au prix d'un accord d'entrée défavorable qui a provoqué un premier référendum en 1975 suivi d'une décennie de tentatives de le modifier, qui a parfois paralysé l'action de toute la CEE. En 1984, Margaret Thatcher, première ministre du Royaume-Uni, a réussi à négocier une ristourne budgétaire et s'est montrée brièvement enthousiaste au projet, qu'elle croyait à son goût très libéral, de compléter le marché unique. Cependant, peu après, elle en est devenue farouchement critique, ayant découvert qu'avec les ouvertures du marché venaient maintes nouvelles réglementations communautaires.

Puis les Britanniques se sont fait excuser de ne pas participer à l'Union économique et monétaire (et d'utiliser l'euro) ainsi qu'à l'accord de Schengen sur la libre circulation des personnes. Les différends se sont calmés un peu sous le gouvernement travailliste (1997-2010), mais les divisions de fond ne sont pas dissipées, menant à une montée d'euroscepticisme et à la campagne référendaire actuelle.

Les référendums peuvent être de nobles expressions de la démocratie directe et en même temps poser des grands risques. Première exigence, il faut que la question soit claire : «Voulez-vous quitter ou rester dans l'UE» l'est, en principe. Mais y répondre n'est pas chose facile. Peu de gens savent vraiment comment l'UE fonctionne et peuvent juger si ses conséquences sont positives ou négatives.

Les campagnes référendaires sont volatiles. Les débats sont souvent capturés, déviés, et ré-encadrés par des leaders, des mouvements de protestation, des intérêts riches et d'autres, autour des problèmes que les citoyens sentent profondément mais qui ne sont pas toujours très pertinents à la question centrale (Atikcan, 2016).

Derrière son recours au référendum, David Cameron avait une stratégie. Désirant que le «rester» gagne, il voulait d'abord obtenir des concessions de l'UE sur quatre enjeux : trouver un langage légal pour dire que le Royaume-Uni n'était pas engagé par la phrase «union sans cesse plus étroite» dans le traité de Rome ; établir des limites au libre mouvement des personnes ; au soi-disant «welfare shopping» des migrants ; et surtout protéger le secteur financier de la City de Londres contre des exclusions que la zone euro pourrait imposer.

Des concessions en main, il rentrerait triomphal à Westminster pour mener une campagne qu'il comptait gagner. Cependant, les concessions venant des sommets européens en hiver 2016 sont minimalistes et vagues, et ont été vite dénoncées par la presse britannique et les chefs de la campagne «quitter».

Faute du triomphe escompté, les clivages dans son propre parti s'élargissent, faisant sortir des aspirants à sa succession, et permettent à l'United Kingdom Independence Party (UKIP) de percer dans les médias. En plus, les premiers sondages de la campagne sont serrés - 43 % à 41 % pour rester (Financial Times, 5 avril), avec 15 % à 20 % d'indécis. Ils indiquent aussi que ce qui préoccupe les citoyens est l'immigration (autour de 50 % voulaient moins d'immigration ou pas du tout) plutôt que les détails des concessions.

La situation au sein du Parti travailliste n'est pas plus rassurante. En principe, le parti soutient le «rester». Cependant, le nouveau chef, Jeremy Corbyn, avec un passé eurosceptique, ne dit pas grand chose, et la position des syndicats n'est pas évidente.

Le monde des affaires ainsi que la presque totalité des économistes s'alignent sur «rester», se mobilisant autour des coûts d'une rupture, mais leurs projections économiques sont souvent beaucoup trop compliquées pour mobiliser les foules (par exemple, Dhingra et al, 2016).

Les deux campagnes - rester ou quitter - ont l'air désorganisées et conflictuelles, et le résultat reste imprévisible. Pour sa part, le paysage européen reste orageux et peu rassurant : la crise de la zone euro n'est pas terminée, une nouvelle confrontation avec la dette grecque menace. Entre temps, l'arrivée sur les plages sud-européennes de milliers de réfugiés demandeurs d'asile a exposé des clivages profonds entre États membres, presqu'en même temps que des attentats terroristes de l'organisation État islamique tuaient des centaines de personnes.

Nous n'aurons pas de résultat avant le 23 juin. Si le «rester» gagne, la situation se stabilisera pour l'instant, même si les Britanniques garderont certainement leurs habitudes de rouspéter contre l'Europe.

Si le «quitter» l'emporte, la situation deviendra compliquée. L'article 50 du traité de Lisbonne alloue deux ans pour négocier un divorce, avec possibilité de prolongation si tous les États membres l'accordent. En deux ans de négociations, le Royaume-Uni devrait redessiner de fond en comble ses relations avec l'Union. Des milliers de pages de lois et d'accords seraient à renégocier et des pratiques courantes à changer. En plus, l'UE étant habilitée à conclure des traités commerciaux internationaux au nom des États membres, le Royaume-Uni serait obligé de tout renégocier pour lui-même.

Un tel résultat porterait également des risques pour la stabilité économique et politique du Royaume-Uni et pour d'autres. En plus, il y aurait sans doute une nouvelle demande des Écossais, qui veulent rester dans l'UE, pour un référendum sur leur indépendance. Les Irlandais seraient obligés de créer une nouvelle façon de réguler la circulation des personnes à l'intérieur de l'UE, pour remplacer celle qu'ils partagent avec le Royaume-Uni et aussi faire face à une nouvelle division économique de l'île, dès que l'Irlande du Nord quitte l'UE. Qui a dit que «nous vivons une période intéressante»?

George Ross

ad personam Chaire Jean Monnet, Université de Montréal, CEUE Université de Montréal-McGill University, CÉRIUM.

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