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Guerres biologiques: l'arme invisible

Avec les allégations d'usage d'armes chimiques sur des civils en Syrie, il ne faudrait pas douter de la possibilité d'un usage d'armes biologiques.
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Inaudible, invisible et impalpable, voilà ce que la fine pointe de la technologie de l'armement offre en termes de commodités en notre 21e siècle. L'arme biologique, une menace à l'abri des sens, est classée arme de destruction massive au même titre que l'arme chimique et nucléaire. Cela va du fait que l'emploi à fins militaires de micro-organismes pathogènes, qui composent l'arme biologique, peut occasionner des répercussions à bien plus grande échelle que les armes traditionnelles, vu notamment la toxicité et la contagiosité, largement considérés et amplifiés dans la logique militaire.

À la fin des années 1960, la communauté internationale s'est finalement inquiétée de la nature non discriminante, imprévisible, épidémiologique et difficile à traiter efficacement de l'arme ; celle-ci fut donc bannie en 1972 par la Convention sur l'interdiction des armes biologiques, qui interdit la mise au point, la fabrication et le stockage de ces armes, à l'instar des conventions régulant les armes nucléaires et chimiques.

Toutefois, l'arme biologique comporte ses enjeux propres et distinctifs, découlant notamment du fait qu'elle est beaucoup moins difficile ou coûteuse à produire que ses homologues chimiques et nucléaires. L'ONU affirme même que «tout groupe infra-étatique déterminé à fabriquer un agent biologique peut probablement le faire avec un investissement minimal et, même si la diffusion des agents biologiques est difficile, certains moyens de dissémination peuvent être obtenus assez facilement.»

La Convention, qui n'est pas dotée de mécanismes de contrôle et de vérification suffisants, laisse la porte ouverte aux recherches et usages clandestins. Mais qu'arrive-t-il lorsqu'on fait usage de tels pouvoirs destructifs sans en avoir un savoir et un contrôle suffisant ? L'histoire nous a déjà fourni la réponse à cette question ; il suffit d'entreprendre un voyage jusqu'aux steppes asiatiques des temps médiévaux.

Enluminure du manuscrit de Rashid ad-Din's Jami al-Tawarikh, circa 1307. Bibliothèque de l'université d'Édimbourg.

Là, dans une vaste étendue à l'ombre de l'intérêt du monde, où l'on pouvait compter au 13e siècle quelques cinq à dix animaux domestiques pour chaque être humain, se préparait l'essor du plus grand empire terrestre au monde. Les sociétés pastorales nomades de la Mongolie, unifiées par Genghis Khan, avaient en effet réuni un ensemble d'avantages aux dépens des sociétés sédentaires : une culture de l'équitation et de l'arc à flèches, une diète de viande et de produits laitiers, ainsi qu'un chef aux stratégies ambitieuses. L'empire mongol, dans sa lancée, conquit plus de terres en 25 ans que l'empire romain n'en eut conquis en 400, et il s'étira de la mer du Japon jusqu'en Europe, incluant sur son chemin le Moyen-Orient, la Russie et la Chine entiers.

Ce qui nous mène à un événement très particulier de l'an 1346 en Crimée mongole, plus précisément à Caffa. Cette ville portuaire était très active en commerce d'esclaves et gérée par des Génois ; ils n'entretenaient pas la meilleure relation avec les Mongols, et ces derniers firent éventuellement le siège de la ville. Toutefois, en ces temps, les Mongols avaient ramené d'Asie la peste bubonique, et lors du siège, leurs rangs tombaient de ce mal étrange et violent. Ils décidèrent donc d'en profiter, forts de leur valeur stratégique, en catapultant les cadavres pestiférés par-dessus l'enceinte, pensant que l'odeur putride ferait capituler les assiégés. De là, les Génois qui prirent la déroute par la mer emmenèrent avec eux cette peste meurtrière jusqu'en Méditerranée.

Cet événement, rapporté par Gabriele de Mussis et reconnu par la communauté scientifique, représenterait donc à la fois la première utilisation d'arme biologique et la cause du plus grand cataclysme de l'histoire de l'Europe.

En effet, la peste a tué près de 25 millions d'Européens, soit entre le tiers et la moitié de la population de l'Europe, et cette mort n'était pas la plus aisée ; Giovanni Boccacio, auteur ayant vécu les temps de peste à Florence, en décrit les symptômes premiers. Tout commençait avec la formation de bubons, ou inflammations, aux aisselles et vers l'entre-jambe. Les bubons normaux avaient une forme d'œuf, et les plus gros pouvaient même atteindre la taille d'une pomme. Ces bubons proliféraient graduellement sur le corps, pour enfin devenir des taches noires gangréneuses. À ce stade, la mort était inévitable. Et tant de gens vécurent cette mort atroce que le fléau détruisit complètement l'ordre social qui dominait l'Europe depuis la chute de Rome. Un autre Florentin relata que les citoyens du temps étaient sans relâche occupés à transporter des cadavres à travers la ville, et cela était le cas presque partout en Europe du 14e siècle. Cette grande peste fut probablement le pire désastre de santé publique de l'histoire.

Les Mongols, en catapultant d'une telle manière des cadavres pestiférés, n'avaient pas le savoir médical pour prévoir les conséquences qui en découleraient. Mais l'usage d'armes dont on ne comprend ou ne contrôle pas l'entièreté des rouages va toujours comporter cette probabilité catastrophique ; considérant le caractère clandestin du développement d'armes biologiques dans le cadre de son interdiction internationale, les quelques agents qui utilisent ou menacent d'utiliser les armes biologiques ramènent un côté inconnu et dangereux à cette forme d'arme.

La Syrie, qui en 2012 a confirmé l'existence de son programme d'armement biologique, inquiète la communauté internationale, notamment avec le programme d'orthopox qu'on la soupçonne de mener. Cette famille dangereuse de maladies infectieuses comprend pour virus principal la variole, un virus éradiqué en 1975 mais duquel certaines souches furent conservées en laboratoire et génétiquement modifiées de façon à résister aux vaccins connus.

Avec les allégations d'usage d'armes chimiques sur des civils en Syrie, il ne faudrait pas douter de la possibilité d'un usage d'armes biologiques. Par ailleurs, les armes biologiques sont parfois utilisées par des terroristes, avec motivations politiques, criminelles ou religieuses, et il est quelque peu fréquent que ces bioterroristes envoient des enveloppes contenant des préparations poudreuses d'agents pathogènes en guise de menace.

N'a-t-on pas une leçon à apprendre de l'histoire, de ce précédent mongol dévastateur ? Peut-être faudrait-il reconsidérer les mécanismes de contrôle et de vérification de la Convention sur les armes biologiques, et ce, au nom de la conservation de l'humanité.

Laurent Ipperciel

Étudiant au collège Jean-de-Brébeuf

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