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Aide humanitaire en Haïti: le cas de la Croix-Rouge américaine

Cinq ans après le désastre, et avec le plus gros budget parmi les ONG répondantes sur le terrain, la Croix-Rouge n'a seulement réussi à bâtir que six maisons.
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12 janvier 2010. Un séisme d'une magnitude de plus de 7 sur l'échelle de Richter dévaste la capitale d'Haïti, Port-au-Prince. Des milliers de bâtiments détruits, des pertes humaines évaluées à 200 000 morts dans les semaines suivant la catastrophe, 1,3 million d'habitants se retrouvant sans abris (Croix-Rouge canadienne, 2010), un gouvernement, un système de santé et des services d'approvisionnement en besoins fondamentaux complètement désorganisés: Haïti est dans un chaos total. L'état d'urgence est déclenché, et quelques jours plus tard l'aide internationale arrive à Haïti.

Toutefois, la mobilisation sur le terrain reste difficile en raison du système de transport qui n'est pas assez efficace. En plus de tous les dommages causés aux infrastructures et aux habitants de la ville, on craint une éventuelle épidémie dans la capitale (Guay, 2015). La Croix-Rouge intervient immédiatement dans le pays suite au tremblement de terre: «l'intervention immédiate de la Croix-Rouge à la suite de ce tremblement de terre est l'une des plus grandes opérations humanitaires dans l'histoire de l'organisation.[...] Le chemin du rétablissement s'annonce long en Haïti, mais la Croix-Rouge sera présente dans les mois et les années à venir, alors que le pays fera face à de nouveaux défis et à de nouvelles crises, et que le peuple haïtien commencera à devenir plus fort et plus résilient»(Croix-Rouge canadienne, 2010).

Coopération humanitaire

Le séisme détruit plusieurs bâtiments gouvernementaux, dont le palais présidentiel, et tue plus de 16 000 fonctionnaires. Le gouvernement haïtien, alors déstabilisé, se reconstruit de manière provisoire dans des campements avec des ressources d'opérations limitées: téléphones, ordinateurs et électricité ne sont plus chose courante. À l'opposé, on retrouve la «Logistical Base», le campement des Nations Unies. Ce site, qui renferme des produits de luxe et où se base la coordination humanitaire, est difficilement accessible aux Haïtiens. En effet, ils doivent fournir des documents d'identification et une invitation de quelqu'un occupant le site pour y entrer. Or, ces documents sont souvent égarés après la catastrophe, ce qui rend l'accès au site encore plus difficile pour les Haïtiens. Les «Cluster Meetings» excluent les dirigeants locaux par des rencontres qui se tiennent en anglais, langue souvent mal maîtrisée par les Haïtiens (Klarreich & Polman, 2012).

La coopération et la standardisation avaient toutefois été prévues pour répondre à la catastrophe, mais les démarches ont mené à la marginalisation du gouvernement et des organisations locales. La normalisation fut contestée à l'intérieur du secteur pour ses tendances d'universalisation des codes d'intervention et pour l'exclusion de la prise de décisions. Notamment, l'utilisation du code de conduite de la Croix Rouge était obligatoire pour les acteurs humanitaires. Le réseau optimisant l'expertise de l'aide créa une concentration culturelle qui fut le moteur de distanciation des engagements locaux.

On y hiérarchise les relations entre les groupes, au détriment du défaut de capacités haïtiennes qui, pourtant, connaissent bien les enjeux régionaux (Martel, 2015). D'ailleurs, le Président de l'époque René Préval mentionne le désordre humanitaire, manifesté entre autres à l'aéroport, saturé par 74 avions venus la même journée. (Nouvelle Obs avec L'AFP, 2010).

Une controverse dans l'implication de la Croix-Rouge américaine

Une polémique entoure l'action de la Croix-Rouge en Haïti. Il s'agit de la plus grande campagne de financement jamais lancée par la Croix Rouge américaine. De fait, lors du Super Bowl, Michelle Obama a lancé le message de «donner pour la cause» dans un message d'intérêt public. Les sollicitations totales de la Croix-Rouge américaine ont amassé près d'un demi-milliard de dollars américains. Cet argent n'a pas su être dépensé dans les besoins réels en dépit de la volonté de «reconstruire les quartiers et les vies détruites».

Cinq ans après le désastre, et avec le plus gros budget parmi les ONG répondantes sur le terrain, la Croix-Rouge n'a seulement réussi à bâtir que six maisons.

Alors, où l'argent est-il allé?

Selon les analyses de Laura Sullivan, la Croix-Rouge américaine a bel et bien répondu aux besoins immédiats de la catastrophe, tels que l'acheminement de nourriture, de couvertures et d'assistance médicale. Cependant, la reconstruction du pays à long terme semble être la zone grise de leurs actions.

Cinq ans après le désastre, et avec le plus gros budget parmi les ONG répondantes sur le terrain, la Croix-Rouge n'a seulement réussi à bâtir que six maisons. Il semble que l'argent n'aurait été dirigé qu'en très petite quantité à la population en besoin: il se serait davantage retrouvé dans les dépenses administratives. Les promesses de construction d'habitations et d'approvisionnement en eau courante n'ont jamais été concrétisées dans certains quartiers comme celui de Campeche.

De plus, certaines absurdités furent retrouvées dans les campagnes de la Croix-Rouge, comme celle qui incitait les gens à bien se laver les mains avec de l'eau et du savon, alors qu'aucune des deux ressources ne leur était disponible (Sullivan, 2015). Malgré son budget très avantageux quant au reste des ONG, la Croix Rouge américaine a toutefois connu des lacunes importantes dans la pertinence, la transparence, et la réussite et de ses projets (Sullivan, 2015).

En 2015, le Sénateur Charles Grassley, président de la commission judiciaire, a demandé au chef de la Croix-Rouge américaine Gail McGovern de répondre à 17 questions concernant l'utilisation du financement de la campagne haïtienne. Il demanda à l'organisation de spécifier les projets, l'argent dépensé, ainsi que le nombre de personnes aidées (Elliott, 2015). La Croix-Rouge n'a su offrir qu'une seule réponse précise sur les allégations. Elle aurait donné une grande partie de son financement à d'autres organisations humanitaires. Or, les détails sur l'utilisation de l'argent restant auraient été divulgués au sénateur avec la demande de ne pas partager ces informations avec le public. La réponse de la Croix-Rouge sera loin de satisfaire le Sénateur Grassley (Elliott, 2015).

Aujourd'hui la situation dans le pays évoque encore le chaos survenu lors du séisme de janvier 2010. Le décompte final des victimes s'élève selon le gouvernement haïtien à plus de 316 000. Il laisse des dizaines de milliers de personnes sans-abri. C'est une date tragique pour le peuple haïtien qui ne semble pas en être entièrement rétabli. (Kahn, 2015)

Le pays, politiquement et économiquement fragilisé bien avant la catastrophe par son passé instable, connaît des difficultés au cœur de la gestion de l'État. Le régime du Président Martelly baigne dans la corruption et se tient en place contre la volonté populaire. Ce dernier favorise un développement répondant aux intérêts étrangers plutôt qu'à ceux de son peuple. De fait, Martelly a dépensé l'argent d'aide humanitaire pour l'expansion et la modernisation des transports du Nord, région éloignée des dégâts du séisme.(Wilentz, 2015)

La surabondance d'organisations non-gouvernementales n'a pu mieux organiser la société. La mauvaise coopération entre chaque groupe a détruit les espoirs du peuple haïtien éveillés par les mouvements de secours internationaux. Les débris ont été retirés des rues, mais une réelle reconstruction est encore à venir. On estime qu'un montant de 13,5 milliards de dollars a été recueilli par l'ensemble de la communauté internationale. À l'image de la campagne de la Croix-Rouge, il est clair qu'un manque financier n'a pas été l'impasse pour la réponse humanitaire. Les crises épidémiques de choléra qui ont heurté la population ont été défavorables au rétablissement du pays, certes, cependant le manque d'habitations permanentes persiste.

Malgré la diminution des crimes et la croissance économique observables depuis les dernières années, les gens vivent aujourd'hui en Haïti dans des conditions de pauvreté extrême. (Kahn, 2015)

Frédérique Gauvreau et Amélie Martelle, diplômées en sciences humaines du Collège Jean-de-Brébeuf

Pour le texte avec ses références: monde68.ca

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