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L'islam en crise: entre califat et obstacles à la laïcité

L'organisation de l'État islamique, qui a détruit les trésors préislamiques du musée de Mossoul, souhaite instaurer un système de califat. Mais qu'est-ce qu'un calife?
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L'organisation de l'État islamique, qui a détruit les trésors préislamiques du musée de Mossoul, souhaite instaurer un système de califat. Mais qu'est-ce qu'un calife ? Ce terme renvoie à la période des quatre califes appelés les "bien guidés". Ils ont succédé au prophète Mahomet. Mais cette période comporte en elle une ambiguïté. En effet, les musulmans se trouvent face à deux qualificatifs contradictoires. En tant que compagnons du prophète, les califes occupent un rang d'une supériorité morale. Mais, en même temps, certaines de leurs décisions ou de leurs choix ont été contestés. Durant des siècles, cette contradiction n'a pas été assimilée et, au contraire, a été écartée. Cela ajoute une confusion supplémentaire. Les tentatives visant à clarifier les bases de gouvernance et des éléments constitutifs d'un État ont été biaisées.

Les califes

Peu après la mort du prophète, l'Islam (sunnite) s'étend et pénètre rapidement le monde chrétien, gréco-romain et persan. Le deuxième calife Omar est assassiné en 644. L'assassinat du commandeur des croyants ajoute un désordre autour des modalités de choix de son successeur. Le troisième calife, Osman, est nommé par un Conseil. Il est à son tour assassiné en 656, par un groupe d'opposants. Ces derniers nomment le quatrième calife en l'appelant Imam (guide des croyants). La question autour de qui peut porter le titre de calife, Imam (terme chiite) ou de commandeur (sunnite) met les membres de cette nouvelle communauté face à face et la confrontation s'annonce violente.

Nous sommes en 657. Une armée venant de la Syrie, sous le commandement du gouverneur de Damas, se prépare à affronter l'armée du 4ème calife Ali. Ce dernier perd la bataille. Cette perte provoque sa chute. Il est assassiné par ses fidèles en 661. La dynastie des Omeyyades se met en place. Les deux fils d'Ali (petits-fils du prophète Mahomet) sont à leur tour assassinés lors de la bataille de Kerbala en 680. La notion de la fitna (divisions internes) apparaît et ouvre la voie à une confusion durable.

La période qui suit la mort du prophète, avec ses quatre califes est cruciale. Durant des siècles, des tentatives s'emploient à comprendre la confusion qui la caractérise. Mais ces tentatives ajoutent, à leur tour, des erreurs d'interprétations. Le monde arabo-musulman se trouve alors avec une série de couches successives de malentendus sujettes à contestations. C'est le cas notamment pour les quatre écoles juridiques sunnites qui interprètent différemment le texte coranique et les consignes du prophète. Ces écoles laissent certaines questions en suspens, notamment la question de l'accès au pouvoir : légitimité par la filiation, ou au contraire par la concertation (la Choura). Le modèle de gouvernance devient élastique et les dynasties se forment. (Omeyades, Abbassides, Fatimides, Ayyoubides, Mamlouks ou Ottomans, etc.)

Dynastisation et obstacles perturbateurs

Les Omeyades gouvernent le monde arabe de 661 à 750, et établissent leur capitale à Damas. Ils cèdent la place à la dynastie des Abbassides. Ces derniers prennent Bagdad comme capitale entre 750 et 1260. Sous leur règne, la culture arabe connaîtra un immense essor, intégrant les cultures perses et grecques. En 1258, les Mongols s'emparent de la Perse et mettent la main sur Bagdad. En exécutant le dernier calife, ils mettent fin à la dynastie des Abbassides.

L'ère de la prospérité intellectuelle arabe, mise à mal par les Mongoles, s'est estompée suite à l'arrivée de l'empire Ottoman en 1517. Les Ottomans mettent la main sur tous les pays du monde arabe durant cinq siècles, jusqu'en 1920. Cette longue période est caractérisée par une stagnation dans tous les domaines. Quelques siècles passent et le sort de ce monde se trouve entre les mains des puissances coloniales, françaises et britanniques. La vague de l'indépendance, des années 1950, donne lieu à de multiples structures étatiques. Les pays arabes se trouvent alors entre les mains de familles monarchiques ou de régimes nouvellement formés instaurant des dictatures.

Depuis des siècles, le débat autour des liens entre État et croyance a été perturbé. L'expérience des quatre califes n'a pas été placée dans son contexte social et historique. Au contraire, la difficulté à se démarquer par rapport à cette période forme un obstacle à la naissance d'un nouvel horizon conceptuel. Cette phase de séparation entre passé et présent, comme un sas historique, n'a pas existé. Elle aurait pu rendre compte de la profondeur de la différence entre le contexte historique durant la période des califes et la période dans laquelle nous vivons. Ce détachement a du mal à naître. Certains gardent une fixation intellectuelle tendant à reproduire les mêmes choses dans deux contextes différents. C'est devenu un fardeau historique difficile à surmonter.

Le travail de synthèse a toujours été bordé de difficultés, voire de crises. Déjà au XVIe siècle, Ibn Khaldoun décrit clairement la crise dans le dynamisme de la pensée et ses conséquences politiques, en raison des tendances familiales et tribales. Les sociétés arabes ont toujours tendance à favoriser le modèle d'un État "Oumma" (nation), se référant ainsi à un seul groupe ethnique, une seule famille ou une seule personne pour gouverner.

Parmi les obstacles majeurs au sein des sociétés arabes, on trouve une crise morale profonde. Elle se manifeste par la contradiction entre la façade voulue et l'état de droit. Tous les efforts visant à trouver une issue à ces crises morales ont échoué. Un modèle égalitaire, basé sur les droits, a été totalement absent. À travers les âges, les gouvernants dominent en imposant la soumission par obligation. Ils enfouissent la notion de la choura (concertation) et de l'ijtihad (l'initiative). Pourtant, ces deux univers sont des piliers conceptuels majeurs pour la gestion des affaires publiques dans l'Islam. .

Confusion autour de la laïcité

La confusion persiste, car la frontière entre ce qui relève du politique et ce qui relève de la croyance n'est pas définie. On suppose que toute décision politique est bonne tant que sa source est religieuse. Il est donc difficile d'admettre qu'un modèle, mis en place et exercé par des non musulmans, soit bon. Le refus est alors catégorique envers des modèles laïcs. Cela donne lieu à l'idée non fondée, selon laquelle la laïcité est une conception des non croyants visant l'émancipation de toute forme de valeurs morales. Alors que l'un des avantages de la laïcité est, justement, la protection de la sphère de croyances et que cette laïcité est basée sur la conviction par le choix et non pas sur la soumission par obligation.

Reste à dépasser une problématique d'ordre sémantique. Il s'agit du concept de "laïcité" lui-même. L'idée de séparation entre la sphère politique et la religion n'est pas appréciée. Il faut donc chercher un discours que le monde musulman puisse entendre. C'est l'idée forte du juriste égyptien Abdel Razzak El-Sanhouri, au milieu du siècle dernier, selon laquelle il est important de séparer les autorités spirituelles et les autorités de gouvernance. Depuis des années, Al Azhar ne cesse de demander son autonomie par rapport au pouvoir et donc ne plus entremêler religion et politique. C'est-à-dire que l'institution égyptienne appelle à la laïcité sans la nommer. De ce point de vue, on voit que l'Islam est à la recherche de sa propre laïcité.

Mais, les penseurs théologiques, comme Qaradaoui et ses fatwas servant certaines monarchies, se rangent derrière les accusations du philosophe allemand Heiner Bielefeldt. Ce dernier considère qu'Auguste Compte fait de la laïcité la "religion de l'humanité". Rappelons que la logique de ces Muftis, détracteurs de la laïcité, contraste avec leurs discours autour de la religion musulmane selon lesquels l'Islam est une religion valable pour tous les contextes. Dans ce sens et depuis 1966, le débat penche, du point de vue sémantique, vers l'usage de la notion d'un État civil, ou un État constitutionnel.

Ces appels à une possible séparation se heurtent à une nature de pensée géographiquement étalée dans un environnement de culture politique pyramidale et personnifiée. Dans ce contexte, les régimes arabes, aidés par les fatwas émises par les muftis de la cour, se sont drastiquement opposés à la laïcité, la considérant comme une expérience occidentale. Cette logique tend à considérer que la laïcité est le résultat des pratiques de l'église qui ont conduit à des guerres. Mais depuis les révolutions arabes et la montée en puissance des guerres civiles, dues à une idéologie religieuse, le monde arabe ne peut plus user de cet argument puisqu'avec Daech, il passe par la période la plus noire de son existence.

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