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Échec des révolutions arabes et vague de terrorisme

La frustration de toute une génération révolutionnaire a alors donné lieu à la montée en puissance d'une vague d'appartenance religieuse qui déborde, envahissant ainsi le milieu de la jeunesse.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

L'année 2011 a marqué le début d'une vague révolutionnaire dans le monde arabe. Mais quatre ans plus tard, c'est le constat d'échec concernant ces différents mouvements d'ampleur majeure et sans précédent. Quatre ans, jour pour jour, après le début de la révolution de la place Tahrir, une militante de la gauche laïque a été tuée par balle alors qu'elle voulait commémorer l'anniversaire morose de la révolte.

Shaimaa El-Sabbagh voulait déposer des fleurs sur la place Tahrir en mémoire aux 2200 victimes de la révolution. Elle a marché pour protester contre la démolition, par le gouvernement, d'une statue qui a été élevée sur la place en mémoire de toutes les victimes tombées au nom de la liberté. Shaimaa est devenue à son tour l'une des 20 nouvelles victimes tombées en deux jours. Sous les balles et à quelques pas de la place Tahrir, elle a été tuée lors des manifestations réprimées dans le sang. Il s'agit des événements les plus meurtriers depuis l'arrivée d'Abdel Fatah Al-Sissi au pouvoir en juin 2014.

Début 2015, l'ancien dictateur Moubarak a été blanchi de toutes les accusations qui pesaient contre lui. Ses deux fils, eux aussi, ont été relâchés. Le ministre de l'intérieur et six autres personnalités, accusés de torture et de corruption, ont été à leur tour acquittés. Les jeunes continuent toujours à organiser des marches, criant les mêmes slogans qu'ils scandaient il y a quatre ans : "à bas le régime", "liberté, justice sociale", "la prison pour Moubarak et les figures de son régime".

Le choc de l'échec

2011 a été l'année des révolutions. Mais l'échec de ces révolutions a augmenté le sentiment de frustration, voire le choc d'avoir perdu le noble combat pour la liberté. La frustration de toute une génération révolutionnaire a alors donné lieu à la montée en puissance d'une vague d'appartenance religieuse qui déborde, envahissant ainsi le milieu de la jeunesse. Les régimes vacillants se sont réveillés et la realpolitik sécuritaire a imposé sa logique en passant par des arrestations massives. Amnesty avance alors le chiffre de près de 50 000 jeunes qui ont été arrêtés entre 2013 et 2014 en Égypte.

Le retour en force des anciens régimes totalitaires aide les islamistes à accueillir la jeunesse frustrée qui ne croit plus aux changements. Sans perspective d'avenir, c'est ce premier refuge de toute une tranche de la jeunesse souffrante de chômage qui fournit les candidats en nombre, tentés de rejoindre les extrémistes. Le pas est facilement franchissable pour basculer dans une lutte djihadiste parmi les rangs d'Al-Qaïda ou de Daesh. Sur la base du volontariat ou par le biais de cellules de recrutement, les premiers pas commencent par l'opposition aux régimes oppressifs existants, comme en Égypte, au Yémen ou en Syrie. D'autres cas montrent des milices, bien organisées, comme en Libye, au Mali et au Nigeria, qui prêtent allégeance à Ayman El-Zawahiri d'Al-Qaida ou au chef de Daesh Abou Bakr El-Bagdady.

Depuis l'échec des révolutions arabes en Égypte, en Syrie, au Yémen ou en Libye, le monde s'est réveillé et découvre, en 2013, la séparation entre Al-Qaïda et Daesh. Depuis deux ans, le monde se trouve face à deux organisations terroristes disposant de nébuleuses au Mali, au Nigeria, en Libye, au Sinaï égyptien et ailleurs. Contrairement à Al-Qaïda, Daesh s'organise sur des territoires délimités, trace sa ligne et se proclame en tant qu'État islamique. Daesh s'est alors imposé sur la scène régionale et internationale. Les égorgeurs du troisième millénaire défient les puissances internationales et les armées étatiques régionales. Nous avons aussi eu du mal à les nommer, d'abord État islamique, puis EI avant de s'accorder sur la nomination Daesh (État islamique en Irak et au Levant en arabe). Les deux armées, syrienne et irakienne, même soutenues par les grandes puissances, ont des difficultés à les contenir et à faire face à leur progression qui laisse derrière elle 200 000 morts et 4 millions de réfugiés.

Le nouveau contexte

Il y a 4 ans, en 2011, le monde arabe aspirait à une vague d'émancipation, mais il se trouve aujourd'hui peu à peu submergé par une vague de conservatisme fort appuyée par certaines monarchies du Golfe comme l'Arabie Saoudite et le Qatar. Ces monarchies craignent que la vague d'émancipation se généralise et touche leurs pays. Ils optent pour les politiques de prévention par le soutien d'une part des régimes et d'autre part, des partis de l'Islam politique (Frères musulmans et salafistes). Les régimes policiers, les armées, les monarchies conservatrices et les islamistes n'ont jamais aimé les changements, encore moins les révolutions. Aucun pays arabe n'échappe à l'un de ces quatre pôles qui se partagent la gouvernance. Selon eux, et à des différentes échelles, ces révolutions sont la fabrication d'un Occident tenté de déstabiliser l'ordre social bien établi. Laïcité, démocratie et liberté sont des concepts qui doivent donc rester loin. Ils le seront tant que la jeunesse, qui aspire à l'émancipation, reste en détention, non seulement au Caire mais aussi au Qatar, à Bahreïn, en Arabie et ailleurs.

Dans une entrevue, le prince saoudien Al-Walid ben Talal, homme d'affaires et membre de la dynastie Al Saoud, déclare que l'arrivée d'Al Sissi au pouvoir en Égypte fut un coup sur la tête des Frères musulmans et espère qu'il soit aussi "le coup mortel de ce qu'on appelle les révolutions arabes", dit-il. L'échec des révolutions a produit un vide dans lequel évoluent les défenseurs d'un Islam radical. Cette pensée s'est propagée et a débordé. Elle dépasse actuellement les limites régionales. Les attaques terroristes ne sont plus au Sinaï, au Caire, à Bagdad à Kabul ou à Karachi, mais bien au cœur de l'Europe. Paris se trouve touché et l'un des symboles de la liberté française est visé. L'attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo est perpétré avec la signature d'Al-Qaïda dont l'entrainement des auteurs des attentats s'est fait sur de longues périodes.

Al-Qaïda maîtrise les modes opératoires qui déjouent toutes les mesures sécuritaires des États. Mais, contrairement aux méthodes classiques d'explosions ou de voitures piégées, c'est la première fois qu'un attentat, commandité par Al-Qaïda, passe au mode de l'affrontement direct: tuer avec les armes et affronter les policiers. Tuer avec l'arme de guerre, la Kalachnikov, rappelle l'un des modes opératoires des groupes armés de Daesh et de ses égorgeurs en Irak et en Syrie. Inédite, la mutation dans le mode des opérations terroristes vers le plus rapide et le plus léger à porter, l'arme automatique, donne lieu à une nouvelle forme de terrorisme.

Isolement et ignorance sacrée

"Nous avons vengé le prophète Mahomet", a crié l'un des deux frères Kouachi, après avoir tué plusieurs journalistes dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Ils ont, comme des centaines de milliers, été recrutés pour défendre un Islam déconnecté de ses racines. Ils tuent en raison d'un dessin, mais ignorent que le prophète fut dessiné et que sa représentation imagée a duré des siècles. Dans leurs tentatives de tuer la pensée, ils ignorent un patrimoine de centaines d'ouvrages précieux laissé par des penseurs et philosophes arabes. Entre le VIIIe et le XVIe siècle, ces ouvrages abondent d'illustrations représentant Mahomet. Ils ignorent aussi que cette littérature est ensevelie sous des couches successives de poussières d'ignorance par le fanatisme, témoins de longs siècles de stagnation dans lesquels ce fanatisme prend racine. Ils poussent ainsi le monde musulman à agir tout en tournant le dos et en fermant les yeux à son propre patrimoine.

C'est essentiellement en raison de l'isolement historique et intellectuel dans lesquels s'est réfugiée la pensée des instances religieuses que le monde arabe vit dans une rupture de sens. Le fantasmatique a remplacé la raison historique donnant lieu à un état d'arrêt sur une image de pensée figée dans laquelle Al-Qaïda s'est développée et sur laquelle Daesh construit son modèle d'ignorance sacrée. Initialement lié à Al-Qaïda, Daesh s'en est progressivement affranchi, pour s'en séparer totalement en 2013. Avec une pensée encore plus radicalisée que jamais auparavant, les deux organisations progressent sur les ruines du savoir et de la pauvreté intellectuelle. La question qui se pose est la suivante: quel monde arabe aurions-nous aujourd'hui si les révolutions arabes avaient réussi à apporter des régimes démocratiques qui défendent la liberté?

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