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Le Québec vers une course électorale à quatre?

La déception généralisée envers les partis sociaux-démocrates traditionnels autour du globe pourrait-elle ouvrir la porte à un nouvel espoir progressiste, à gauche?
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Au printemps 2017, le politologue Thomas Guénolé analysait le réalignement politique français comme une « quadripolarisation », dont les pôles conservateurs, nationalistes, individualistes et altermondialistes étaient représentés respectivement par les candidats à la présidentielle François Fillon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Serions-nous en train de vivre un processus similaire sur la scène provinciale québécoise?

C'est ce qu'on pourrait penser à la lecture des récents sondages.

Une période de « désalignement »?

La question ne se pose pas au fédéral, où le système est pratiquement bipolaire: le pouvoir n'alterne qu'entre les deux partis traditionnels depuis la Confédération. L'appellation du Parti conservateur est en fin de compte superficielle, et les sursauts des tiers partis n'ont jamais menacé de chasser à la fois les conservateurs et les libéraux. De plus, de manière continue, le Nouveau Parti Démocratique a incarné une « troisième voie » dont les résultats sont toujours restés à peu près dans la même fourchette. De plus, des tiers partis comme le Bloc Québécois, le Reform Party, le Crédit Social ou même le Parti Vert ont servi de porte-paroles régionaux face aux réalités du régime fédéral, mais avec un potentiel de croissance et de survie dans le temps limité par leurs formes.

Au Québec, on peut convenir de trois alignements électoraux successifs : une première période, alignée à la division fédérale, ou le pouvoir se jouait entre le Parti libéral du Québec (PLQ) et les conservateurs, puis l'Union Nationale, la seconde, entre les libéraux et le Parti québécois (PQ), et finalement, la période actuelle, amorcée par l'entrée en scène de l'Action Démocratique du Québec (ADQ), et puis la montée en force de Québec Solidaire (QS) et la consolidation de la Coalition Avenir Québec (CAQ).

On pourrait donc qualifier cette dernière comme d'une période de « désalignement » prolongé, dont on peut identifier les signes. On remarque par exemple une diminution du pourcentage de votes partagée par les deux partis arrivés en tête : si dans les années 1980, celui-ci se situait au-dessus de 90%, il est maintenant aux alentours de 65%. On voit également un changement alors que certains positionnements remettent en question l'alignement politique, basé sur un nombre limité de clivages dans la société (la question nationale reste encore ce clivage). Le dernier désalignement remonte à la fin des années 1960 et début des années 1970, avant que le système ne se restabilise autour de l'axe PQ/PLQ, après « l'élection critique » de 1976.

Les pôles suggérés par Guénolé suivent deux axes correspondant à ce qu'il a identifié comme les deux grandes questions structurent la vie politique et le débat d'idées en France : la mondialisation et les minorités. De notre côté de l'Atlantique, l'axe gauche-droite a suivi, et continue de suivre, les lignes du débat sur l'avenir du Québec : les partis souverainistes sont à gauche, et les partis fédéralistes, à droite. Toutefois, au cours de la dernière décennie, de nouveaux enjeux ont brouillé ce positionnement strict. Ainsi, on pourrait proposer la version québécoise de ces deux axes en identifiant les nouveaux débats de la vie politique : le positionnement socio-économique (Progressiste ou conservateur) et les enjeux identitaires et questions relevant de l'immigration (Identitaire ou Pluraliste). Nous obtiendrions donc les quatre blocs suivants : conservateur – Identitaire (CAQ), Progressiste – Identitaire (PQ), Conservateur – Pluraliste (PLQ) et Progressiste – Pluraliste (QS).

Adhérer à cette analyse est tentant. Elle semble même avoir été adoptée par plusieurs, surtout dans le camp souverainiste. Toutefois, elle ne tient pas compte de plusieurs facteurs. Bien qu'on puisse exporter cette grille d'analyse, par exemple vers les États-Unis, suivant des lignes similaires à celle de l'Hexagone avec la gauche démocrate (Bernie Sanders), le centre démocrate (Hillary Clinton), la droite républicaine (John Kasich) et la droite populiste (Donald Trump), le modèle Guénolé reste avant tout une réflexion sur la politique française. Ainsi, l'auteur semble l'utiliser pour indiquer un certain « cul-de-sac » électoral : avec quatre blocs aux positions marquées, tous entre 20% et 24%, le vainqueur du second tour aura de la difficulté à s'établir comme un leader majoritaire. Au Québec, le modèle parlementaire uninominal à un tour ne pose pas cette problématique, et l'électorat reste plus concentré chez les deux partis en tête. Ainsi, les résultats estimés pour la CAQ ou les libéraux sont le double de la prévision pour Québec Solidaire.

Au Québec, le modèle parlementaire uninominal à un tour ne pose pas cette problématique, et l'électorat reste plus concentré chez les deux partis en tête.

De plus, ne serait-il pas plus exact de parler d'un système bipolaire, dont l'enjeu central reste encore la question nationale? Estimé à un peu plus de 30%, l'appui à la souveraineté correspond à peu près à la somme des appuis pour le PQ et QS, et la figure est similaire pour les partis fédéralistes. Cela bien que les sondeurs nous disent que l'appui à la souveraineté est dispersé à travers les trois partis d'oppositions, et qu'environ seulement la moitié des électeurs solidaires seraient en faveur de l'option.

Le piège de « l'Extrême-Centre »

Pour Guénolé, le phénomène est synonyme de radicalisation idéologique. Ainsi, avec quatre pôles, les partis ne cherchent plus à « capter le centre » comme le veut la tradition, mais bien à consolider ses positions « de base » sans compromis. Si un parti aspire à s'approprier l'électorat d'un adversaire, il devra sortir de sa « zone de confort » et prendre des risques avec des positions plus tranchées, à la manière des Républicains (ex-UMP) en France sur la question de l'immigration, s'aventurant sur le terrain du Front National. Il s'agit d'un élément intéressant lorsque l'on transpose le modèle vers le Québec : avec l'apparition et la consolidation de l'ADQ/CAQ, l'alignement électoral fût bousculé par la mouvance identitaire. Le Parti québécois, tenté par le passé de capter le centre par des politiques comme l'équilibre budgétaire, force la note de manière plus prononcée en cherchant à courtiser le vote de la CAQ avec des positions plutôt conservatrices sur les enjeux identitaires. Toutefois, comme le Parti socialiste ou les Républicains, les résultats ne sont pas aux rendez-vous. Le PQ se retrouve dans une position déboussolée où, cherchant un succès électoral rapide, s'oriente vers la CAQ, mais effrite la cohésion de sa base. La tension est palpable, car certains croient qu'il faudrait plutôt aller vers Québec solidaire, mais comme l'exprimait un organisateur péquiste en 2016, « [Il est] difficile de converger avec Québec solidaire tout en faisant des guili-guili aux nationalistes de la Beauce ».

De manière normative, j'ai certaines réserves face aux conclusions de Guénolé. Le centre n'est pas une fin, la « captation du centre » n'est pas un projet de société. Trop souvent, on voit une confusion politique entre le centre de l'échiquier politique et l'établissement de consensus. On s'inquiète évidemment de la montée en puissance de la droite populiste et de l'extrême-droite, mais d'un autre côté, la déception généralisée envers les partis sociaux-démocrates traditionnels autour du globe pourrait-elle ouvrir la porte à un nouvel espoir progressiste, à gauche?

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