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Accord nucléaire iranien: quels changements en Iran?

C'est historique. Ce qui était inimaginable il y a deux ans s'est produit. Les puissances mondiales et l'Iran viennent de poser le cadre politique d'un accord qui devra être signé le 30 juin (date butoir prévue depuis novembre dernier).
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C'est historique. Ce qui était inimaginable il y a deux ans s'est produit. Les puissances mondiales et l'Iran viennent de poser le cadre politique d'un accord qui devra être signé le 30 juin (date butoir prévue depuis novembre dernier). L'accord sera très détaillé, technique, long (probablement une quinzaine de pages) et incompréhensible pour le grand public. Mais pour ceux qui suivent les relations avec l'Iran depuis des années, c'est une victoire, car l'histoire des négociations sur le nucléaire s'est faite d'opportunités manquées et de mauvaises nouvelles. Cette fois, les chances de réussite sont tangibles.

Pour la première fois en près de 200 ans, un accord est trouvé sur une base de respect mutuel sans que l'Iran ne termine perdant aux dépens de la victoire des grandes puissances. C'est un accord gagnant-gagnant reconnu par l'administration Obama, les pays européens, les Russes, les Chinois et enfin, les Iraniens. Il est soutenu par le Guide suprême de la révolution islamique Ali Khamenei (qui continuera de critiquer avec véhémence les États-Unis) et le Guide de la prière du vendredi a même demandé à ce que l'on remercie et félicite le ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif et le président de la République islamique Hassan Rouhani. Est-ce que l'accord est parfait ? Cela n'existe pas dans le monde réel, mais il est suffisamment bon pour que des milliers d'Iraniens qui se sont armés de patience célèbrent ce moment historique.

Sur le plan politique

La question du nucléaire est un sujet national en Iran. Ce n'est pas une question partisane. Bien sûr, il y aura toujours des radicaux qui s'opposeront à un accord avec les États-Unis, précisément parce qu'il s'agit des États-Unis. De l'autre côté, les radicaux américains nient - à tort -- toute diversité politique en Iran et ne profitent pas politiquement de la victoire de Barack Obama. Il n'en demeure que les radicaux iraniens se font relativement peu entendre au sujet de l'accord et ne représentent qu'une faible minorité. Les conservateurs sont encore majoritaires au parlement, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose tant que le Guide suprême soutient Rouhani.

En revanche, le camp de Rouhani vient de remporter un capital politique énorme en tenant sa plus grande promesse électorale. En juin 2013, il a remporté l'élection présidentielle dès le premier tour avec 51.7% des suffrages grâce à son programme d'engagement avec l'Occident afin de sortir de l'impasse du nucléaire et lever les sanctions. Cette victoire sert le camp des modérés et des réformateurs pour l'élection législative qui aura lieu le 26 février prochain. Ceci est un signe positif et une victoire aidera Rouhani à mettre en place ses réformes sociales et économiques (chose qui comme dans chaque pays restera une lutte politique).

Comme je l'évoquais au lendemain de l'élection de Rouhani, le débat entre les candidats à l'élection avait révélé un élément clé. Pour la première fois, et à la télévision nationale, le candidat Ali Akbar Velayati, conseillé en affaires étrangères de Khamenei, avait critiqué ouvertement la conduite des négociations de Saïd Jalili (négociateur conservateur de l'époque nommé par Khamenei lui-même). Jalili s'est retrouvé isolé par tous les candidats conservateurs (et bien évidemment par le candidat Rouhani qui était le seul modéré restant). Le consensus de désaveux de sa ligne de négociation était net. Pour rappel, Said Jalili a obtenu seulement 11% des suffrages.

Qu'est-ce que cet accord signifie concrètement pour les Iraniens?

L'accord est une victoire pour l'Occident mais c'est une victoire qui a plus de valeur pour les citoyens iraniens, car ils se couchent avec les sanctions et se lèvent avec. Les Iraniens vivent ces sanctions au quotidien, ils les trouvent injustes et c'est pour cela qu'ils ont accueilli Zarif en héros à Téhéran après ce marathon diplomatique qui restera dans les anales. Quelques clarifications:

Tout d'abord, c'est une excellente nouvelle -- une grande étape -- pour des millions d'Iraniens, car cela fait depuis 2006 que leur quotidien va de mal en pire! Depuis 2006, l'escalade des tensions n'a fait qu'apporter plus de sanctions d'un côté contre plus d'avancées sur le nucléaire de l'autre. Comme l'a dit Zarif après l'accord: «nous avons stoppé ce cycle qui est dans l'intérêt de personne».

Ensuite, il faut garder à l'esprit que la levée des sanctions et l'impact de celle-ci va prendre du temps (comme ce fut le cas en Irak) donc il y aura un changement, mais seulement progressif, car lever des sanctions en places depuis plus de 10 ans prend du temps.

À terme, les échanges bancaires vont reprendre et l'Iran pourra enfin exporter son pétrole et recevoir des devises. Ce sera officiellement la fin du troc qui a fait tant de mal à l'économie iranienne. En effet, sous le prédécesseur de Rouhani, en échange des ses exportations de pétrole dans les quelques pays qui avaient une autorisation américaine (comme la Chine, l'Inde ou la Corée du Sud) l'Iran était payé en denrées alimentaires, en textile ou même en rames de métro pour pouvoir contourner les sanctions. Ce n'est pas comme cela qu'on fait tourner les rouages d'une économie et Rouhani le sait. Désormais, les investissements reviennent et les fonds venant de l'étranger s'empressent de se (re)positionner en Iran.

Les caisses de l'État vont se remplir et les gens vont pouvoir être payés normalement. En ce moment, de nombreux Iraniens doivent attendre des mois pour recevoir leur salaire et de nombreuses entreprises du secteur privé ont dû fermer, créant un désarroi et un malaise social profond. Les sanctions profitaient donc aux entreprises gouvernementales -- pourtant la cible des sanctions! --, car elles étaient mieux équipées pour survivre. Cet accord est donc vu comme une manne pour les entrepreneurs iraniens qui vont pouvoir relancer des projets et exploiter leur potentiel.

Par ailleurs, les États-Unis et l'Union européenne devraient libérer les avoirs iraniens gelés dans leurs banques. Cette somme est estimée à près de 100 milliards de dollars, soit près de deux fois la somme du budget de l'éducation nationale en France! Une partie de cette somme a déjà été versée sous l'accord provisoire signé le 24 novembre 2013 à Genève (à hauteur de 7 milliards de dollars).

Si chaque camp respecte ses engagements, les échanges reviendront dans les secteurs de l'automobile, pétrole, gaz, nucléaire, pétrochimie, médical, pharmaceutique, aviation, tourisme, environnement, etc. La réintégration de l'Iran dans le système financier international sera un facteur de stabilité régionale. La monnaie iranienne devrait se stabiliser puis reprendre face au dollar et l'euro. Le rial iranien s'est effondré depuis 2012 et les Iraniens ont subi une inflation s'élevant jusqu'à 45% sous la présidence d'Ahmadinejad (ramenée à 23% depuis Rouhani). L'inflation continue de baisser et la croissance économique est d'ores et déjà estimée à plus de 8% en cas de levée de toutes les sanctions économiques, bancaires et financières liées à l'impasse sur le dossier du nucléaire. Pour rappel, la France prévoit une croissance de 1% pour 2015 (même si l'économie iranienne part de plus bas).

Concrètement, imaginez votre caddie de course d'une valeur de 100 euros (environ 135 dollars canadiens) passer à 350 euros (environ 470 dollars canadiens) dans la période de 2012 à 2014, la viande étant devenu un luxe pour certaines familles. Les Iraniens ont enfin un espoir tangible de voir leur pouvoir d'achat s'améliorer.

Surtout, c'est une bonne nouvelle pour une jeunesse iranienne au potentiel énorme, mais habituée aux mauvaises nouvelles et aux déceptions. Les Iraniens espèrent la fin d'une discrimination injuste et intolérable pour leur dignité. L'accord final du 30 juin serait une victoire et une joie exceptionnelle.

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